Débats-forums Fespaco 2023 / 7 : David Constantin parle de Regarder les étoiles (Simin Zetwal)

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L’auteur et réalisateur mauricien présentait en compétition officielle au Fespaco 2023 son film Regarde les étoiles. Le film en compétition longs métrages a obtenu une mention spéciale du jury. Il fût invité à en parler avec la presse et les professionnels lors des débats-forums. Transcription résumée.

Annick Kandolo : Regarde les étoiles (Simin Zetwal) raconte un drame qui se passe dans une ville ouvrière de l’île Maurice où le vieux Bolom a disparu. Son fils Ronaldo part à sa recherche et croise la route d’Ajeya, une travailleuse immigrée indienne. Ronaldo rêve d’une vie de golden boy tandis qu’Ajeya fuit sa condition d’esclave moderne. Ensemble, leur traversée nocturne de l’île prend une nouvelle dimension, entre voyage mystique et désir de liberté. Quelle est l’importance ou l’ampleur de cette population immigrée sur l’île pour qu’elle apparaisse dans le film comme envahissante ?

David Constantin, photo Olivier Barlet

David Constantin : Cela commence avec la colonisation ; l’île a été hollandaise puis française. Les Français sont partis et les Anglais arrivèrent. Ils ont aboli l’esclavage, si bien qu’il fallait remplacer la main d’œuvre dans les champs. C’est alors qu’ils ont pratiqué l’engagisme. Ils importèrent en masse de la main d’œuvre indienne dans leurs colonies des îles Caraïbes, de l’Océan indien, etc. Très vite, la population mauricienne est ainsi devenue à majorité indienne, aujourd’hui à 70 %.

Olivier Barlet : Cette thématique devait être centrale dans le film ?

Je suis né à l’île Maurice et y vis. C’est une thématique que j’explore dans mes différents longs et courts métrages. J’avais envie de parler de ce mysticisme hybride local que l’on a recréé en prenant un petit peu d’Inde, d’Afrique, de Madagascar, d’Europe. Au centre de tout ça, on a mis la religion et l’argent. Maurice est construite sur l’idée d’un pays tourné vers les religions et les cultures ancestrales de ses pays d’origine mais où l’argent n’est jamais loin. Dans le film, il y a toujours une négociation ou quelque chose en rapport avec l’argent. Cette galerie de personnages, aussi farfelus qu’ils puissent être, je les ai tous rencontrés. Tout est tiré de choses que j’ai vécues.

Question de la salle : Est-ce que cette persistance pacifique ne tient qu’à un fil ? Et Ronaldo, qui est quelqu’un d’assez bling-bling, a pour objectif de partir au Canada, mais s’avère assez perdu. Qu’est ce que vous voulez traduire à travers cela ?

Ce sont des cercles de communautés, de niveaux sociaux qui coexistent sur l’île mais ne se rencontrent jamais. Ronaldo essaye de pénétrer dans un cercle qui n’est pas le sien et ça ne peut déboucher que sur la violence. Il se trouve être ridicule car s’il croit être à sa place, ce n’est pas le cas car ce milieu n’est pas fait pour lui ; il n’est pas accepté dans ce cercle.

Tout l’objet de ce trajet dans la nuit avec Ajeya est d’essayer de l’amener à voir les choses différemment, décentrer son regard et voir qu’il y a peut être une autre possibilité. Petit à petit, il se dépouille de cette image, ce costume physique et mental de mec qui veut réussir pour assumer ce qu’il est vraiment, ce qui fait que ce rêve canadien est trop grand pour lui. Il le comprend et l’accepte.

Salle : Je voudrais savoir comment vous voyez le futur sur l’île ?

Je ne suis pas très optimiste pour le futur. Ce qui tient à peu près l’île, c’est l’argent car c’est un des pays les plus riches d’Afrique. L’argent coule à flot notamment parce qu’on est arrosés par l’Inde. Maurice est considérée comme la petite sœur indienne en Afrique. Pour l’instant, tant qu’il y a de l’argent, tout va bien. Mais on voit bien que dans les moments de crise, avec la covid par exemple, dès que commence à se poser un problème de survie, resurgit une confrontation communautaire. On essaye de trouver des responsables. Le fait que ce soit un territoire assez petit fait qu’il y a une conscience : si ça pète, il y a la mer comme frontière, donc on ne peut aller nulle part !

Dessus vient se rajouter une strate : le tourisme. Le tourisme est fragile, cela peut s’arrêter en deux semaines. Cette fragilité menace tout le système. La volonté est d’accélérer le développement pour devenir un pays à haut revenu. Cette volonté provoque le déni total de l’élément humain : on développe sans penser aux personnes déjà présentes sur les lieux. Par exemple, on construit un métro sur l’île, dans des endroits où des populations vivaient.

Olivier Barlet : Je voulais continuer sur le personnage de Rony qui est “frontière”. De père noir,  il est à la recherche de sa mère qui est indienne. Il s’aperçoit que le corps à disparu, chose assez grave. Un corps disparu ramène à l’Histoire. Cela me fait penser à Kaya, ce chanteur rasta mort en prison en 1999. Cela avait déclenché des émeutes et des pillages dans toute l’île. C’était révélateur d’une société compartimentée : on ne se mélange pas.

Oui, on ne se mélange pas, c’est un peu moins fort chez les plus jeunes mais ça reste quand même. Rony, à la base, est un gamin perdu qui ne sait pas où il est, où il se situe. Il a deux cultures. Le métissage dont je suis moi même issu n’est pas quelque chose de très bien vécu bien que, de toute évidence, la grande majorité de la population est métisse. Qu’on le veuille ou non, sur un petit territoire de 2000 km2, au bout de 200, 300 ans d’histoire, comment voulez-vous dire que vous n’êtes pas mélangé ? Il y a forcément un métissage très fort qui n’est pas du tout assumé. C’est comme si reconnaître son identité mauricienne ferait qu’on ne pourrait plus se référer à une identité indienne ou à un pays d’origine. Si on regarde sur place, la culture indienne n’a plus rien à voir avec la culture de l’Inde. On a développé quelque chose de propre à nous.

Olivier Barlet : Nous évoquions l’engagisme mais personne ne sait ce que c’est alors que c’est fondamental, la suite de l’esclavage ! Venant du Bangladesh et de l’Inde, des travailleurs sous-payés pour remplacer les esclaves avec un contrat d’engagement qui va servir à payer des dettes contractées dans le pays d’origine…

A l’île Maurice, les bâtiments historiques ont été construits par les esclaves, mais la question de l’esclavage n’a jamais été vraiment étudiée. Il y a eu quelques recherches mais ça n’a jamais été très loin alors que l’engagisme est présenté comme ayant développé le pays. Il y a une différence de taille entre l’esclave et l’engagé : l’un était payé, même s’il était très mal payé, et l’autre pas. L’un a une identité conservée et l’autre pas. L’un pouvait rentrer chez lui au bout de deux, trois ans s’il le voulait, l’autre pas. L’un avait la possibilité d’acheter des terres et développer sa famille, l’autre pas. Pourtant, on veut nous faire croire que c’est l’engagisme qui a développé le pays. C’est aussi une histoire politique : parce que la population est à majorité indienne, le besoin d’affirmer une sorte de tension culturelle. Jusqu’aujourd’hui, la population noire, les descendants d’esclaves, est très marginalisée et ne bénéficie pas objectivement des mêmes possibilités que les autres.

Annick Kandolo : Ronaldo finit par accepter qu’il est issu d’une culture mixte et qu’il n’a plus besoin d’arborer un costume qui n’est pas le sien. Il porte même, à la fin du film, un maillot qui porte son nom, ce qui veut dire qu’il s’assume lui, issu d’un métissage. Est-ce ce message, au plan national, que vous avez voulu faire porter par Ronaldo ?

Il n’y a pas un message à définir mais disons que ce qui m’a toujours interrogé, c’est que je trouve que depuis 15, 20 ans on a perdu une sorte d’étincelle, une envie de faire de ce pays quelque chose de différent. Le film s’appelle Regarde les étoiles parce que l’idée de départ, c’était de relever la tête et d’arrêter de regarder le bitume. Ronaldo va relever la tête et s’assumer, accepter son identité et en faire quelque chose de positif.

Annick Kandolo : Il y a cette idée là mais pourquoi la fin est-elle ouverte ?

Je vois beaucoup de gens qui arrivent à partir à l’étranger, à revenir, qui sont très ouverts aux cultures étrangères, qui mènent une vie très occidentale et puis à un moment donné, arrivés à 30, 35 ans, ça rebascule. Il y a la pression familiale, la pression de la communauté, qui fait que l’on retourne au passé. Toute cette possibilité, tout ce qu’on avait expérimenté pour son propre chemin, on en revient parce qu’il y a cette nécessité de ne pas dilapider le patrimoine familial, il y a une nécessité politique de dire qu’il faut rester entre nous pour être soudés, etc. Des fois on rebascule, et Ronaldo c’est à lui de voir s’il va faire quelque chose de ce qu’il a appris ou s’il va retomber dans ces travers-là.

Annick Kandolo : Cela se passe beaucoup la nuit.

Oui, il y a cette idée de l’ombre et de la lumière. Tout se passe dans l’obscurité : elle sert à révéler les choses pour ramener la lumière.

Salle : Je pense que les jeunes ont besoin de se parler, de partager ce dont ils ont envie, de travailler en synergie d’action. Donc regarder les étoiles ensemble et réaliser ce qu’il y a de beau !

Je ne sais pas comment ça se passe ici mais nous, on est dans un pays où le système éducatif fait qu’on ne nous apprend pas les outils pour exprimer nos sentiments et ce que l’on ressent. On apprend les mathématiques, les sciences, et l’objectif c’est que le fils soit docteur, avocat ou comptable : ce sont les trois débouchés vers lesquels toutes les familles poussent leurs enfants. Il n’y a pas beaucoup de place pour l’émotion, pour vivre les sentiments. C’est pour ça aussi que Bolom le père et Ronaldo le fils ne peuvent pas beaucoup se parler. Ils ne savent pas comment faire : à chaque fois qu’ils se parlent, ils s’engueulent et ça se passe mal parce qu’ils n’ont pas les outils pour se parler, et pour aimer. Ils ne savent pas faire.

Olivier Barlet : J’ai une dernière question sur l’international et le local. Les conditions locales de l’île Maurice sont très peu connues. Un cinéaste qui veut accéder à l’international ne peut pas les considérer comme acquise mais les expliquer serait trop lourd. Comment le scénario a-t-il été élaboré pour arriver à ce qu’un spectateur d’un autre pays puisse entrer dans une certaine compréhension ?

C’est une vraie question et je me retrouve souvent confronté à ça dans les phases d’écriture parce qu’aujourd’hui, quand vous allez chercher des fonds, des financements à droite à gauche, on vous passe dans une moulinette que sont les résidences d’écriture et qui sont obligatoires. On choisit votre projet parce qu’il est singulier, il représente quelque chose qu’on ne connaît pas, il vient d’un territoire spécifique, mais on passe quand même dans une moulinette animée par des consultants qui ne connaissent rien à notre culture, à notre pays.  Je suis souvent allé au clash dans ces ateliers parce que fondamentalement, ils ne savent pas ce dont je veux parler, il n’y a que moi qui connais mon pays. Mon parti-pris, c’est de dire : « J’ai une histoire singulière à raconter, qui est très locale et ancrée. Le contexte, on en perçoit certaines choses dans le film et le reste c’est le travail du spectateur. Je ne fais pas de documentaire sur la culture mauricienne, je ne fais pas un film historique, je raconte une histoire ».

Merci à Sara Adriana ALBINO pour sa transcription

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