Quand Didier Awadi, cofondateur du Positive Black Soul de Dakar, naît en 1969, l’Afrique est encore dans les effluves des indépendances. Quand il a quinze ans, tout le continent noir ou presque déchante déjà. Le rêve cassé des indépendances, la violence de l’histoire du peuple noir et les enjeux planétaires influenceront le choix de son mode d’expression. Il s’appuiera sur l’expression identitaire et la force de persuasion du rap pour proposer une refondation des mentalités africaines. Portrait du bâtisseur de conscience le plus africain des rappeurs du continent.
Né d’un père cap-verdien et d’une mère béninoise à Dakar, la capitale sénégalaise, Didier Awadi a toujours gardé les yeux et les oreilles grands ouverts sur l’Afrique et le monde. En classe de troisième il découvre la culture hip-hop. Elle porte la marque de l’outrage et de l’indignation. Elle raconte un peuple, son univers, sa condition sociale, ses blessures, mais aussi ses amours, et ses rêves
Comme tous les jeunes des métropoles africaines, sensibles à la nouvelle création musicale de leurs cousins d’Amérique, Didier Awadi s’identifie à cette expression urbaine qui le fascine. Il fera ses débuts dans les fêtes du collège Sacré-Cur où, avec son camarade d’école Mahib Bâ, il montera ses premiers spectacles de smurf et de breakdance. En 1984, ils forment leur premier groupe, le Syndicate. Le gamin du quartier populaire d’Amitié2 multiplie ses apparitions scéniques, expérimente ses idées artistiques, cultive son talent de compositeur et s’avère ainsi, à tout juste quinze ans, le précurseur de la scène rap sénégalaise.
Le Syndicate n’occupera pas longtemps le terrain tout seul. La concurrence arrive avec les Kings MC d’Amadou Barry dit Doog E. Tee. Les deux groupes se lorgnent en chien de faïence.
Un soir de 1989, ils se rencontrent sur la scène du club Le Sahel. Malgré les rivalités et l’ambiance électrique, ils se découvrent la même préoccupation: l’incertitude de la jeunesse africaine et le devenir de l’Afrique. Ils veulent » repenser le continent à la base, révolutionner, organiser, réviser, nationaliser, redonner, partager dans l’équité, l’égalité
« . Ils se nourrissent de la même conviction : » En vérité, il faut l’unité pour limiter la tragédie car l’Afrique n’est pas démunie mais seulement désunie
»
Le 11 août 1989, Didier invite le » gang » de Doog E. Tee à son anniversaire. Les deux bandes fusionnent et donnent naissance au Positive Black Soul (PBS). Quatre ans plus tard, toute l’Afrique et l’Europe danse au son de » Boule Falé » ( » T’occupe pas « ). Partout sur la scène mondiale, le PBS est reconnu comme de groupe phare du rap en Afrique.
Pourtant, après une dizaine de productions discographiques et quatorze ans de tournée en Afrique, en Europe et aux USA, Didier Awadi et Doog E. Tee décident en 2003 de mettre le PBS en carafe pour développer leurs projets musicaux individuels.
Avant même l’annonce officielle de la mise en veille de PBS, Didier lançait son ballon d’essai en solo en 2001 avec Parole d’honneur, qui n’est malheureusement distribué qu’au Sénégal. L’uvre regorge des idées panafricanistes qui lui tiennent à cur. Elle aborde les thèmes cruciaux tels que les tensions politiques, le surendettement des États, le patrimoine dilapidé et l’avenir hypothéqué des nouvelles générations. Awadi confirme ce qu’on sait déjà de lui : c’est un artiste conscient, lucide et fermement décidé à aborder frontalement l’indicible.
» Depuis le PBS, je combats l’afro-pessimisme. Je veux m’inspirer de mon quotidien, des penseurs africains tels que Kocc Barma, philosophe sénégalais du XIXe siècle, Amadou Hampaté Bâ, ancien haut fonctionnaire à l’UNESCO, ou de références politiques comme Kwame Nkrumah, premier président du Ghana et leader du panafricanisme
Il y a des hommes et des idées révolutionnaires en Afrique qui devraient nous inspirer pour construire notre continent en ne comptant que sur nous-mêmes
»
Un autre monde est possible, le deuxième opus solo d’Awadi, est enregistré dans son studio à Dakar et sort en automne 2005. Ce sera son premier album solo distribué à l’échelle mondiale.
La nouvelle production est un cri de ralliement altermondialiste. Un plaidoyer pour les opprimés. Une dénonciation de tous les coupables, Truman, Giscard, Bush, Blair, les présidents voleurs d’Afrique et j’en passe. Awadi invite tous les peuples du continent à s’inspirer de leur intelligence et de leurs combattants de la vraie indépendance tels que Lumumba ou Sankara pour penser de vraies solutions à la tragédie du peuple noir qui se joue depuis des siècles. Un chant d’engagement et d’espoir pour une Afrique debout : »
Mes textes sont un requiem pour toute l’humanité / Ils sont la plainte des prolétaires exploités / Ils sont écrits avec le sang des oppressés / Et gravés dans la pierre tombale des opprimés
»
L’artiste apporte un soin particulier à sa musique et opère un mariage intelligent entre la technologie et les instruments du terroir. Flûte, kora, balafon ou percussions s’interpellent, dialoguent et s’étirent sur un beat vigoureux qui donne toute sa force à la colère et à l’aspiration légitime du message. Quand il accuse ou quand il dit sa gratitude pour sa mère, il fait jouer des voix de tête aux churs qui exhalent un parfum chargé d’émotion.
Didier est un créateur toujours en chantier. Son album bouclé, il prend la route pour une série de concerts et d’ateliers en Afrique australe du 4 mai au 26 juin 2005, menant parallèlement la tournée promotionnelle de son nouvel album et la réalisation de son projet » Présidents d’Afrique « .
» C’est un projet artistique pluridisciplinaire et multimédia. Je voudrais revisiter l’histoire de l’Afrique à travers la vie d’illustres leaders qui ont marqué leur pays et le continent. J’ambitionne de le conduire avec des artistes musiciens des grandes régions du continent. J’ai d’abord procédé par la collecte des discours fondateurs de combattants des indépendances africaines. Ensuite, je les mets en musique avec tous les partenaires des pays où passera la caravane ‘Présidents d’Afrique’. Ainsi, dans un même morceau, on retrouvera par exemple feu Kwame Nkrumah et Awadi s’exprimer sur l’unité africaine. L’objectif étant de mettre en lumière des références africaines et d’inviter la jeunesse à s’inspirer de ceux qui ont pensé une Afrique forte, unie et autonome. »
Du Mozambique au Malawi, à travers les treize pays où il a joué et conduit ses ateliers, Didier Awadi et son groupe ont été acclamés. À Nairobi, au Kenya, le représentant de UN-Habitat, un programme des Nations Unies pour la jeunesse urbaine, a décoré Awadi du titre honorifique de » Messenger of Truth » ( » Messager de la vérité « ).
Didier Awadi, c’est aussi un entrepreneur culturel doté d’un studio d’enregistrement à Dakar, le Studio Sankara, et d’une PME de sonorisation, Hyperson. C’est également un producteur musical (Pee Frois, Da Brains) et un producteur d’émissions radiophoniques et de télévision. Il est l’exemple même de la génération consciente et agissante d’Africains qui s’interrogent perpétuellement sur les maux du continent. Son art est un outil de conscientisation qui puise dans le passé de l’Afrique gagnante et de ses icônes pour cultiver son avenir.
///Article N° : 3923