Voilà un concept fourre-tout, passe-partout pour journalistes pressés, trop branché et ressassé pour être honnête ! Pourtant, à la base, l’indéniable réalité physique du métissage mondial. Mais lorsqu’on l’applique au culturel, c’est l’histoire coloniale qui remonte, avec sa charge de violence envers les corps. Derrière la récurrence du mot, surgissent le mythe de cultures pures qui s’entremêleraient, la hiérarchie de ces cultures, le supposé bain de jouvence de l’Occident au contact du Sud, les fascinations et projections de toutes sortes
Ce concept de métissage a un terrible pouvoir de légitimation et tend à discrètement gommer, au-delà de ce que nous partageons, l’écart pourtant inaliénable qui nous sépare de l’Autre, clef de sa dignité.
C’est bien ce qui nous intéressait ! Depuis la création d’Africultures en octobre 1997, nous essayons d’aller voir ce que cachent les portes ouvertes, les mots rabâchés, les préjugés, poncifs et projections. Nous essayons non seulement de parler de mais aussi de parler sur les représentations de l’Afrique, c’est-à-dire d’intégrer une analyse critique qui ne soit pas jugement ecclésial ou policier mais un approfondissement dénué de l’habituelle complaisance.
Il ne pouvait bien sûr s’agir de se figer dans une identité momifiée à défendre contre les méchants. Le peigne surmonté d’un il, choisi comme logo pour Africultures, privilégie certes l’ancrage dans les racines mais met aussi en avant l’importance du regard : ce symbole adrinka ghanéen signifie l’attention féminine, la tendresse et la patience. Nous savions qu’il nous faudrait du temps, du travail et de fécondes remises en cause pour préciser une ligne éditoriale qui nous rende apte à saisir dans toute sa mobilité et sa diversité quelle place se définissent aujourd’hui les créateurs d’origine africaine et quel est leur apport au monde.
Au bout de presque huit années de travail et 62 numéros bouclés, l’équipe d’Africultures a parfois l’impression de tisser le même discours en égrenant les thèmes. Ce n’est pourtant pas la répétition du même. Les arguments s’affinent dans l’approfondissement, la pensée se structure, l’impact médiatique s’élargit. Les quelque 7000 internautes qui passent chaque jour plus de dix minutes en moyenne à lire les quelque 3300 articles d’Africultures réagissent dans les multiples interfaces du site : c’est une réflexion collective qui surgit, dépassant largement le petit groupe de départ. Des écrivains s’en mêlent spontanément, s’associant aux milliers d’internautes qui y vont de leur plume. Une parole jusque là le plus souvent souterraine trouve une visibilité et un écho.
Ce faisant, c’est en dehors de l’éducation nationale et des grands médias un espace de résistance qui se développe : les uns et les autres participent par leurs contributions et leur permanent dialogue à l’écriture d’une autre « histoire nationale », opérant le lien entre une histoire coloniale le plus souvent occultée et le vécu chaotique des immigrés post-coloniaux. La revue Africultures et son site internet sont ainsi un des encore rares espaces de parole en liberté où se retravaille la fracture coloniale : c’est par une lente déconstruction des représentations imaginaires qu’il sera possible en France de vivre sereinement une interculturalité.
Pourquoi revenir ici sur notre propre histoire ? Parce que nous sommes à un tournant : le développement d’Africultures et de ses diverses activités est tel que notre équipe doit s’organiser, grandir, évoluer. Virginie Andriamirado reprend les rennes longtemps tenus par Olivier Barlet comme rédactrice en chef de la revue, tandis que celui-ci poursuit son travail de développement des sites internet et reste à la présidence de l’association. Ayoko Mensah, qui a coordonné ce dossier, reste directrice de publication tandis que Taina Tervonen poursuit son travail de fourmi au secrétariat de rédaction. La revue est appelée à évoluer, dans sa forme comme dans ces contenus, pour jouer pleinement son rôle, celui-là même que nous bâtissons tous ensemble.
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