Enseignement de l’histoire et politiques mémorielles

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« Trous de mémoire » est une des thématiques phares de la 3e biennale du Printemps de la mémoire. Du 8 mars au 16 avril, acteurs associatifs, historiens, institutionnels, s’interrogent sur les politiques de l’histoire et de la mémoire. Sans compréhension critique du passé, il n’y a pas d’avenir ouvert, en est le slogan. Laurence de Cock, Professeur d’histoire-géographie au lycée et à l’université et Johann Michel, Professeur de sciences politiques y interviennent et s’interrogent sur la place de l’histoire de l’esclavage et de l’histoire coloniale dans l’enseignement et les politiques. Rencontres.

« Il faudrait que les programmes d’histoire cessent de se regarder le nombril »
Elle termine sa thèse sur l’enseignement de l’histoire de la colonisation depuis les années 1980 et est membre active du collectif Aggiornamento qui propose des réflexions sur le renouvellement de l’enseignement de l’école primaire à l’université.
Afriscope. Quelle est place accordée à l’histoire de la colonisation dans les programmes scolaires
Laurence De Cock : L’histoire coloniale a toujours été enseignée car elle a servi de faire valoir à l’histoire de France. Dans les années 1980, l’histoire coloniale du 19e siècle avait même plus de place que dans les manuels aujourd’hui. Si le passé colonial de la France fait partie des sujets obligatoires, il n’est pas considéré comme une question prioritaire. On l’étudie au collège et au lycée. C’est une histoire assez consensuelle. Les aspects les plus négatifs ne sont pas gommés du tout, on peut même parler de la torture, des exactions coloniales etc.
Il n’y a donc pas de problèmes ?
On pourrait y consacrer davantage de temps. Et nous pouvons aussi nous demander pourquoi, par exemple, la question des indigènes pendant les deux guerres mondiales est souvent présente dans les manuels mais pas dans les programmes. (NDLR : Les manuels scolaires censés durer plusieurs années brassent un contenu plus large que les programmes scolaires qui eux peuvent changer plus rapidement). Ou encore pourquoi la guerre au Cameroun n’y figure pas[1]. Nous pouvons déplorer aussi le manque de formation d’enseignants et l’insuffisance d’enseignements de l’histoire coloniale dans les universités.
Quel impact a eu la loi Taubira de 2001 relative à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage comme crime contre l’humanité ?
Contrairement à la colonisation du 19e siècle, l’esclavage et la traite sont entrées dans les programmes assez tard. La loi Taubira les a rendus obligatoire et ils sont désormais traités dans les programmes de primaire, collèges et lycées. Depuis on parle vraiment des esclaves, des hommes et des femmes, de leurs résistances, de leurs captures etc. C’est le cas typique d’une législation qui a contraint à modifier les programmes scolaires.
Quelles influences peuvent avoir des historiens tels que l’académicien Pierre Nora dont le nom revient souvent sur votre site Aggiornamento[2]?
Au printemps dernier, lors d’un débat sur les programmes d’histoire au collège, Nora a dénoncé la place trop importante donnée à la traite et l’esclavage, disant que c’était le signal d’une France qui préfère se repentir. Il craint que les élèves grandissent en détestant la France. C’est du fantasme. Aujourd’hui l’enseignement de la traite fait réfléchir sur les questions de racisme, de domination de l’Europe sur le continent africain, sur l’histoire de l’Afrique, sur l’économie mondiale. Cela ne provoque pas une haine de la France. Mais Nora a été entendu par le gouvernement et le Conseil supérieur des programmes a fait un programme d’histoire plus centré sur la France et a quasiment oublié de parler de la traite et de l’esclavage. Il a fallu une intervention du Comité nationale pour la mémoire et histoire de l’esclavage pour les rétablir[3].
Estimez-vous qu’il manque d’autres passages d’histoire dans les programmes ?
L’histoire du monde. Il faudrait que les programmes d’histoire cessent de se regarder le nombril. Qu’on interroge le présent avec le passé africain, indien ou chinois. Les mobilités des hommes et des femmes dans l’histoire. Il nous manque une variation d’échelle et une thématique qui rappelle que la société française est plurielle.

///Article N° : 13531

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