entretien d’Olivier Barlet avec José Laplaine

Paris, 1997
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Filmer pour exister
Je suis arrivé en Europe à 18 ans. J’allais beaucoup au cinéma à Kinshasa. Là-bas, le fait de pouvoir bosser un jour dans le cinéma me semblait complètement inaccessible. Même en Europe, il m’a fallu un certain temps avant de commencer à croire que cela était possible. Mais ça restait encore comme un rêve qu’on ne peut pas réaliser. En plus, le chemin d’études sérieuses était déjà tracé. Durant mes études de commerce à Rome, j’ai commencé à faire du théâtre, du doublage, de la figuration. J’ai fait ensuite une école d’art dramatique à Bruxelles puis j’ai travaillé comme comédien mais m’apercevais que les Blancs n’écrivent pas d’histoires pour les Noirs. Sur un scénario, quand on ne spécifie pas  » Noir « , le rôle est forcément pour un Blanc. C’est aussi souvent valable pour un Asiatique et c’est dommage. Je me suis forcé à écrire des rôles de Noirs. L’écriture était douloureuse mais les échos ont été très encourageants. Il restait pourtant très difficile de vendre mes scénarios. Comme comédien, j’ai fait une quinzaine de films au cinéma et la télévision. Les rôles qu’on me donnait ne m’intéressaient pas vraiment : ce que je voulais, c’était être sur le plateau pour apprendre et rencontrer des gens. J’ai fini par me dire qu’il me fallait réaliser moi-même mes scénarios.
Un long métrage d’entrée, c’était un pari. Pas d’école, pas de courts métrages, mais avec une trentaine de plateaux de cinéma et télévision, en passant de figurant à assistant-réalisateur, j’avais sans doute appris quelque chose. Lorsque le ministère de la Coopération a accepté de financer un de mes scénarios, je me sentais bien sûr prêt à le réaliser. Mais le premier jour du tournage, j’ai un peu tremblé : est-ce que je pouvais engager toute cette équipe dans cette aventure, avec tant d’argent à la clef ?… L’investissement est tel qu’un ratage peut condamner l’avenir…
Respecter le passé des êtres
Je suis né en brousse au moment de l’indépendance : ma mère est partie s’installer avec moi à Kinshasa, qui paraissait le seul endroit sûr. J’y ai passé toute mon enfance et n’ai découvert l’Europe que lors d’un voyage à 17 ans. De culture métisse, de père blanc et de mère noire, je vivais dans un milieu urbain privilégié. Vivant en Europe, j’avais l’impression de n’avoir pas assez connu la cité, les quartiers populaires de Kin que je n’ai côtoyés qu’en étant adolescent. Le scénario de Macadam Tribu me permettait de refaire le lien avec l’atmosphère de joie de vivre et de confrontations de ces banlieues des grandes villes africaines. Je refusais de tomber dans le misérabilisme habituel. Macadam est construit sur une mosaïque de personnages mettant en valeur leurs qualités humaines. Il met en scène leur vie commune, leurs liens affectifs, cette micro-société d’un quartier africain. Le montage s’est donné pour but de rendre cette cohésion et cette diversité.
C’est par exemple la mère Bavusi, cette femme qui était épouse d’un Blanc, rejetée par jalousie parce qu’elle était privilégiée mais restée impuissante après que le Blanc l’abandonne, marquée par des enfants métis et par cette différence. Elle est comme un symbole de l’Indépendance, avec ce sentiment d’abandon de la part d’une population qui, même si elle désirait son autonomie, s’est retrouvée avec la guerre et des écoles qui ferment… Une certaine génération aujourd’hui âgée en vient même à regretter l’époque coloniale, qui ne voit pas bien que la situation présente est liée à cette présence coloniale…
J’ai voulu dans le film conserver le regard de la génération des trente ans, celui des enfants Bavusi, lorsqu’ils regardent leur mère culpabilisée par la dérive de ses enfants qui n’ont pas  » réussi « . Elle souffre de s’être peut-être trompée dans ce mariage avec un Blanc. Elle ne doit pas être jugée et ses secrètes solitudes doivent être respectées.
La transformation de la salle de boxe en salle de quartier n’est pas une condamnation de la boxe mais de l’exploitation de l’homme par l’homme, de ce personnage qui met les gens en danger pour se faire de l’argent. Elle est aussi le signe d’une vie collective qui se dégrade peu à peu dans les quartiers des grandes villes d’Afrique. A la différence du cinéma, le théâtre populaire a une formidable proximité : il met directement les gens en scène dans leur réalité.
Vivre avec son origine
Le métissage culturel est très fort chez les Africains. Ils connaissent mieux l’Occident que l’Occident ne les connaît. Cet avantage leur permet de mieux comprendre une société blanche. Le risque est de s’y perdre, comme ce personnage du film qui ne sait plus à quoi s’en tenir face aux deux cultures et qui joue d’humour pour essayer de dominer cette incertitude. Tous revendiquent très clairement une origine. La référence à la culture originelle reste essentielle pour permettre l’ouverture que tente de vivre la jeune génération dans l’incertitude du chaos actuel.
Mon prochain film portera sur la minorité africaine à Paris. Une comédie pour montrer que cette présence et cette cohabitation qui peut faire peur à certains n’est pas si terrible que ça. La difficulté sera de convaincre le Fonds Sud et les donneurs de fonds de la nécessité d’un tel film, alors que leur critère officiel est un tournage majoritaire en Afrique…

José Laplaine est né au Zaïre. Son long métrage Macadam Tribu (1996) est le portrait d’un quartier d’une capitale africaine à travers celui d’une famille animée, déchirée et soudée par les enjeux d’une Afrique en quête d’elle-même. Le Clandestin (CM, 1996) raconte l’histoire d’une rencontre entre un passager clandestin fraîchement débarqué d’un navire et d’un policier noir chargé de faire régner l’ordre dans une société blanche.///Article N° : 2487

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