à propos de Le Clandestin et Macadam Tribu

Entretien d'Olivier Barlet avec José Laplaine

FESPACO 97
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Quelques regards de plus vers les courts, notamment celui de José Laplaine, bonne occasion de revenir sur son long métrage, Macadam Tribu.

Le Clandestin
José Laplaine (Congo-Kinshasa)
15 min., contact : 01 45 96 07 08
Un gros policier poursuit un immigré clandestin. De gag en gag, le burlesque s’inscrit. On en retrouve le rythme, le noir et blanc, les cartons remplaçant les dialogues, la musique, les lignes fuyantes des rues ou des terrains vagues. Mais à la différence de Charlot, le policier n’est pas seulement le décor, le faire-valoir de celui qu’il poursuit : c’est un vrai personnage avec qui un dialogue sera possible. C’est un Noir  » intégré  » comprenant finalement, au terme d’une poursuite à répétitions, un Noir  » sans papier  » en un ultime échange :  » No good here – Africa no future « . Même désillusion sur l’avenir des Africains, ici comme là-bas. Mieux vaut en rire ? Oui, mais pas pour rien ; le message passe en finesse : la ségrégation des intégrés envers les nouveaux arrivants ne résoudra pas leurs problèmes d’intégrés. Plutôt défendre leurs droits…
Réalisé en trois jours à Lisbonne durant la post-production de Macadam Tribu, Le Clandestin est un réjouissant écho à la proclamation des sans papiers, court métrage de trois minutes réalisé par une centaine de professionnels du cinéma vu et revu à Cannes et que certaines salles osent programmer en début de séances.
Les aléas de ce début d’année nous avaient empêché de publier l’interview de José Laplaine au moment de la sortie de Macadam Tribu. Le Clandestin nous en donne l’occasion : le voici.
Macadam Tribu
Nous sommes à Kinshasa, mais ce pourrait être n’importe quelle métropole africaine. Pour son premier long métrage, José Laplaine ne fait pas la chronique d’un quartier populaire : il en extrait une famille et nous entraîne avec eux, la mère qui boit, Mike le fils dragueur qui sort de prison, Kapa le fils boxeur dont le combat tourne mal… mais aussi des Blancs, un Français, un Italien, et un métis car l’Afrique urbaine de ce film est métissée.
Au-delà de la joie de vivre qui éloigne tout misérabilisme et de l’humour qui soude la communauté, c’est sans doute le plus fort de ce que portent ces personnages attachants : la déchirure entre deux cultures, celle de l’origine africaine, présente et essentielle, et celle de cet Occident vécu comme rêve et comme cauchemar, à la fois fascinant et méprisable. Le chaos actuel débouche sur l’incertitude : entre l’héritage forcé d’un passé de domination et l’hésitation d’une ouverture sur le monde, ce film affirme avec lucidité mais non sans optimisme la difficulté et la volonté d’une génération d’assumer son métissage dans le monde contemporain.
Nous avons rencontré José Laplaine qui parle de sa démarche et de son film :
Filmer pour exister
 » Je suis arrivé en Europe à 18 ans. J’allais beaucoup au cinéma à Kinshasa. Là-bas, le fait de pouvoir bosser un jour dans le cinéma me semblait complètement inaccessible. Même en Europe, il m’a fallu un certain temps avant de commencer à croire que cela était possible. Mais ça restait encore comme un rêve qu’on ne peut pas réaliser. En plus, le chemin d’études sérieuses était déjà tracé. Durant mes études de commerce à Rome, j’ai commencé à faire du théâtre, du doublage, de la figuration. J’ai fait ensuite une école d’art dramatique à Bruxelles puis j’ai travaillé comme comédien mais m’apercevais que les Blancs n’écrivent pas d’histoires pour les Noirs. Sur un scénario, quand on ne spécifie pas  » Noir « , le rôle est forcément pour un Blanc. C’est aussi souvent valable pour un Asiatique et c’est dommage. Je me suis forcé à écrire des rôles de Noirs. L’écriture était douloureuse mais les échos ont été très encourageants. Il restait pourtant très difficile de vendre mes scénarios. Comme comédien, j’ai fait une quinzaine de films au cinéma et la télévision. Les rôles qu’on me donnait ne m’intéressaient pas vraiment : ce que je voulais, c’était être sur le plateau pour apprendre et rencontrer des gens. J’ai fini par me dire qu’il me fallait réaliser moi-même mes scénarios.
Un long métrage d’entrée, c’était un pari. Pas d’école, pas de courts métrages, mais avec une trentaine de plateaux de cinéma et télévision, en passant de figurant à assistant-réalisateur, j’avais sans doute appris quelque chose. Lorsque le ministère de la Coopération a accepté de financer un de mes scénarios, je me sentais bien sûr prêt à le réaliser. Mais le premier jour du tournage, j’ai un peu tremblé : est-ce que je pouvais engager toute cette équipe dans cette aventure, avec tant d’argent à la clef ?… L’investissement est tel qu’un ratage peut condamner l’avenir…  »
Respecter le passé des êtres
 » Je suis né en brousse au moment de l’indépendance : ma mère est partie s’installer avec moi à Kinshasa, qui paraissait le seul endroit sûr. J’y ai passé toute mon enfance et n’ai découvert l’Europe que lors d’un voyage à 17 ans. De culture métisse, de père blanc et de mère noire, je vivais dans un milieu urbain privilégié. Vivant en Europe, j’avais l’impression de n’avoir pas assez connu la cité, les quartiers populaires de Kin que je n’ai côtoyés qu’en étant adolescent. Le scénario de Macadam Tribu me permettait de refaire le lien avec l’atmosphère de joie de vivre et de confrontations de ces banlieues des grandes villes africaines. Je refusais de tomber dans le misérabilisme habituel. Macadam est construit sur une mosaïque de personnages mettant en valeur leurs qualités humaines. Il met en scène leur vie commune, leurs liens affectifs, cette micro-société d’un quartier africain. Le montage s’est donné pour but de rendre cette cohésion et cette diversité.
C’est par exemple la mère Bavusi, cette femme qui était épouse d’un Blanc, rejetée par jalousie parce qu’elle était privilégiée mais restée impuissante après que le Blanc l’abandonne, marquée par des enfants métis et par cette différence. Elle est comme un symbole de l’Indépendance, avec ce sentiment d’abandon de la part d’une population qui, même si elle désirait son autonomie, s’est retrouvée avec la guerre et des écoles qui ferment… Une certaine génération aujourd’hui âgée en vient même à regretter l’époque coloniale, qui ne voit pas bien que la situation présente est liée à cette présence coloniale…
J’ai voulu dans le film conserver le regard de la génération des trente ans, celui des enfants Bavusi, lorsqu’ils regardent leur mère culpabilisée par la dérive de ses enfants qui n’ont pas  » réussi « . Elle souffre de s’être peut-être trompée dans ce mariage avec un Blanc. Elle ne doit pas être jugée et ses secrètes solitudes doivent être respectées.
La transformation de la salle de boxe en salle de quartier n’est pas une condamnation de la boxe mais de l’exploitation de l’homme par l’homme, de ce personnage qui met les gens en danger pour se faire de l’argent. Elle est aussi le signe d’une vie collective qui se dégrade peu à peu dans les quartiers des grandes villes d’Afrique. A la différence du cinéma, le théâtre populaire a une formidable proximité : il met directement les gens en scène dans leur réalité.  »
Vivre avec son origine
 » Le métissage culturel est très fort chez les Africains. Ils connaissent mieux l’Occident que l’Occident ne les connaît. Cet avantage leur permet de mieux comprendre une société blanche. Le risque est de s’y perdre, comme ce personnage du film qui ne sait plus à quoi s’en tenir face aux deux cultures et qui joue d’humour pour essayer de dominer cette incertitude. Tous revendiquent très clairement une origine. La référence à la culture originelle reste essentielle pour permettre l’ouverture que tente de vivre la jeune génération dans l’incertitude du chaos actuel.
Mon prochain film portera sur la minorité africaine à Paris. Une comédie pour montrer que cette présence et cette cohabitation qui peut faire peur à certains n’est pas si terrible que ça. La difficulté sera de convaincre le Fonds Sud et les donneurs de fonds de la nécessité d’un tel film, alors que leur critère officiel est un tournage majoritaire en Afrique… « 

///Article N° : 2439

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