Héliosphéra : une héroïne des temps modernes.

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Nouveau roman de l’écrivain Wilfried N’Sondé, Héliosphéra, fille des abysses, semble vouloir fabriquer des représentations littéraires du vivant non-humain, pour qu’elles imprègnent nos esprits et participent à la modification de nos comportements, suivant une approche écoresponsable. Ainsi nous propose-t-il une fable moderne inattendue mettant en scène d’étonnants personnages.

Héliosphéra n’a, a priori,  rien d’un personnage littéraire. Minuscule, presqu’invisible, vivant là où nul homme n’est jamais allé, dans les « solitudes abyssales plongées dans le noir complet » (p.16). Et pourtant : sous la plume de Wilfried N’Sondé, voici qu’elle devient l’héroïne d’une histoire d’amour saisissante dont Xanthelle est le second protagoniste, sujet du désir. Cette romance est celle d’un phytoplancton, l’infiniment petit végétal, et d’un zooplancton, l’infiniment petit animal, dans les profondeurs des eaux chiliennes. Dans ce récit enchaînant trois narrations, une symbiose se noue progressivement en un ton lyrique pour nous démontrer la magie du vivant.

« Les animaux et les plantes primordiales avaient inventé au cœur des océans la magie d’être deux, et de s’aimer. Mieux encore, ces êtres microscopiques, sans doute grâce à leur incroyable expérience accumulée durant des centaines de millions d’années, montraient parfois des capacités à s’unir qui dépassaient celles des mammifères. » (p.36)

Il est également question d’Ollanta, jeune femme chilo-guadeloupéenne embarquée avec l’expédition Tara au large des côtes sud-américaines. Elle s’acclimate doucement à la vie du bateau, apprend à se déconnecter pour se relier à la nature. Ainsi l’écrivain rend hommage à cette fondation française qui existe effectivement depuis 2003 et parcourt le monde, réalise et médiatise des expériences scientifiques de sorte à nous alerter des méfaits du changement climatique. Wilfried N’Sondé a passé quelques semaines à bord de la goélette scientifique, ce qui donne à son texte une portée documentaire.  Le lecteur comprend qu’il a apprécié l’expérience. L’équipage, leur courage, leurs compétences, leur camaraderie sont magnifiés, leur travail minutieusement décrit en un lexique toujours mélioratif.

« Tantôt la proue fendait l’eau, projetant des masses liquides de plusieurs mètres dont les gouttes giclaient sur les lunettes solaires de la jeune femme, tantôt les flancs du voilier ondulaient, comme si la coque se balançait autour d’un axe fixe. Ollanta accompagnait les mouvements incessants du navire. » (p.98)

Le troisième récit, enchâssé dans les deux précédents, narre le périple d’un ballon, d’une main enfantine jusqu’aux profondeurs des océans, lorsque, décomposé en micro-déchets, il devient un fléau pour les populations aquatiques. Sous les yeux d’Ollanta, lors d’une étude au microscope, un reste de ce plastique tente de s’immiscer dans la symbiose planctonique. Il n’y parvient pas mais le lecteur mesure alors à quel point notre écosystème est fragile.

« Ainsi, bien des années plus tard, les débris du ballon rouge quittèrent la zone où s’agglomérait le plastique entre l’Europe et l’Amérique du Nord et se dirigèrent vers les régions méridionales de l’océan Atlantique. Une partie fut évacuée dans la fiente de la sterne, puis mangée par une sardine dont le banc fut capturé dans les filets d’un chalutier français. » (p.101)

Ce précieux roman écologiste, en donnant à lire l’histoire d’êtres demeurés, communément,  insignifiants pour l’homme, et pourtant nécessaires pour la production de près de 50% de l’oxygène, entend déciller notre regard et imposer quelques exigences de protection environnementale. Un nouvel opus convaincant pour la collection « Mondes sauvages » d’Actes Sud, justement créée dans cette perspective.

Emmanuelle Eymard Traoré

Wilfried N’Sondé, Héliosphéra, fille des abysses, d’amour et de plancton, Paris, Actes Sud, Mondes Sauvages, ISBN : 978-2-330-17063-9

 

 

 

 

 

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