Il était une fois Sindibad

L'aventure du premier magazine pour les enfants d'Afrique

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L’Égypte est le premier pays africain à avoir lancé une revue pour enfants au sens moderne du terme, précédant de deux années la première tentative en Afrique subsaharienne avec la revue rwandaise Hobe. A travers le parcours de ses créateurs, retour – cinquante ans après sa disparition – sur l’aventure éditoriale de Sindibad et des aventures de Zouzou, respectivement premier magazine pour enfants d’Afrique né en Égypte et première série africaine pour la jeunesse.

La présence d’une forte communauté européenne et une influence occidentale très marquée au cours du dernier siècle ont favorisé une certaine liberté de la presse en Égypte, dont certains dessinateurs en exil ont su s’emparer. L’Égypte a ainsi abrité les premiers dessins de presse dès la fin du 19ème siècle et les premières caricatures de l’histoire moderne africaine pendant la Première guerre mondiale. Les premiers caricaturistes à œuvrer dans le pays, Juan Sintès et Alexandre Sâroukhân (1898 – 1977) étaient respectivement espagnols et arméniens. Dès 1953, le journal Sabah El Khair publiait des dessinateurs très populaires tels que Higazi et Ehab.
Ce contexte a favorisé la naissance de projets éditoriaux avant-gardistes pour l’époque dont le lancement de publications pour la jeunesse.
C’est en janvier 1952 que la maison d’édition Dar el Maaref lance Megalled Sindibad, magazine laïc de langue arabe destiné aux enfants. Le maître d’œuvre et le dessinateur principal était l’alexandrin Hussein Amin Bikar (1912 – 2002). Diplômé des Beaux-arts en 1933, il avait déjà une belle carrière de portraitiste derrière lui et avait travaillé en tant que dessinateur et poète pour la revue Akhbar Al-Yom en 1945. Il s’était également essayé à la caricature, l’enseignement, le journalisme et la critique d’art. En tant que peintre, son œuvre principale, The Eighth Wonder, qui décrit l’implantation du temple de Ramsès II à Abou Simbel, est considéré par beaucoup de critiques comme un classique de la peinture moderne égyptienne. Une sélection de ses œuvres est visible au Musée d’art moderne du Caire. Il fonda également le Helwan wax museum, unmusée historique de personnages en cire.
Bikar reçut plusieurs distinctions honorifiques nationales : la State Merit Award en 1978, la Merit Medal en 1980 et, en 2000, peu de temps avant sa mort, la Mubarak Award. Malgré cela, d’origine turque, il n’obtint jamais la nationalité égyptienne du fait de son appartenance à la foi bahà’i. Il fut d’ailleurs arrêté en 1980 par la sécurité d’État après une réunion interdite.
Dès son premier numéro, le magazine Sindibad contenait, parallèlement aux contes illustrés, aux pages de jeux et au courrier des lecteurs, des planches de bandes dessinées.
L’année suivante, en 1953, Mario lançait la première série africaine de l’histoire. Il s’agissait des aventures de Zouzou dont le personnage espiègle, rêveur et maladroit, était un enfant doté d’un cheveu unique, inspiré du professeur Gibus. Les aventures étaient campées dans le monde égyptien citadin, Morelli tenant compte des us et coutumes du pays où il vivait, en leur témoignant un grand respect. Toutes les aventures finissaient avec une » morale » sur le mode de :  » si j’avais su « .
Ces aventures étaient en arabe, comme tout le journal. Mais les brouillons étaient écrits en français car Morelli, tout en étant italien, avait suivi une scolarité dans une école française d’Alexandrie.
En ce sens, son parcours est intéressant car il témoigne du multiculturalisme en Égypte au début du siècle dernier.
Né à Pontassieve, en Italie, en 1901, Morelli di Popolo émigra avec ses parents en 1907, à Alexandrie. Contraint de travailler dès 15 ans (comme comptable) du fait du décès prématuré de son père, il vécut en Égypte jusqu’en 1938 année où, veuf avec quatre enfants, il fut obligé de quitter le pays pour éviter l’internement des Italiens par les Anglais. Il  » retourna  » donc à Florence où il prit un emploi de fonctionnaire pour nourrir sa famille.
À la fin de la guerre, Mario Morelli di Popolo, s’est retrouvé dans un camp de réfugiés de guerre à Cinecittà (Rome), considéré par les uns comme fasciste car il avait travaillé au ministère de l’Agriculture à Florence et comme antifasciste par d’autres car il avait tenté d’éditer un fascicule de caricatures sur Mussolini et Hitler.
Il retourna en 1947 dans ce qui était probablement sa vraie patrie et retrouva en Égypte le reste de sa famille qui y vivait toujours. Autodidacte, sans formation spécifique, il reprit dans un premier temps une carrière d’illustrateur, dans la publicité déjà entamée avant la guerre (Coca Cola, Johnny Walker). En 1948, il entre dans la maison d’édition Dar el Maaref comme technicien offset avant d’y devenir illustrateur de livrets pour enfants et de livres scolaires.
C’est suite à ce parcours qu’il participe en 1952 à la création du premier magazine pour enfants Sindibad, initiative totalement inédite au sud de la Méditerranée. Hebdomadaire, Sindibad était également vendu en collection trimestrielle reliée. Certaines années (comme celle de 1952) furent, par la suite, rééditées en totalité.
En dehors de Zouzou, Morelli créa ponctuellement d’autres personnages plus éphémères, conçu le logo du magazine, illustra les aventures des Milles et une Nuit pour un autre éditeur, dessina des publicités et quelques encarts. Il signait Les aventures de Zouzou jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Gamal Abdel Nasser qui interdit aux étrangers travaillant dans les médias de signer leurs œuvres.
En 1960, faute d’avoir pu obtenir le renouvellement de son permis de séjour, Morelli dû à nouveau quitter l’Égypte et Sindibad ne survécut pas à son départ. Il mourut neuf ans plus tard à Florence sans que son travail d’illustrateurs de livres scolaires pour l’éducation nationale égyptienne et d’auteur de bandes dessinées n’ait été reconnu.
Météorite inédit et œuvre de deux  » apatrides « , Sindibad restera dans l’histoire comme le premier journal africain pour enfants (un autre titre de bonne qualité, Samir exista cependant en parallèle, à partir de 1956). Il permit à des dessinateurs égyptiens tels que Ettab, Koteb, Hijazi, Mohamed Tahimi et Mohieddine Allabbad d’y faire leurs premières armes. Il est aussi l’une des nombreuses traces visibles du fourmillement culturel du milieu cosmopolite francophile et francophone dans l’Égypte de cette première moitié du 20ème siècle avant que le panarabisme cher à Nasser ne vienne y mettre un coup d’arrêt. Si on ne peut refaire l’histoire, il est toujours temps de lui rendre hommage.

///Article N° : 9399

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