Prêtre-ouvrier, peintre en bâtiment, militant cégétiste, engagé au PCF, Jean Bellanger a décliné dans tous ces costumes son engagement auprès des ouvriers français et immigrés. À 81 ans, cet humaniste est un personnage incontournable de la vie associative et politique de Saint-Denis (93). Mémoire de l’histoire industrielle du territoire, il revient sur son engagement à l’occasion de son ouvrage Combat de métallos, les Cazeneuve de la Plaine Saint-Denis, en librairie depuis le 17 janvier.
Basilique Saint-Denis, là où les rails du tramway croisent depuis peu le chemin des poulies. En route vers la mairie, Jean taquine son ami Ali, fidèle à son kiosque à journaux depuis des années. Jean Bellanger est ici chez lui, cela ne fait aucun doute. Ce » grand bonhomme » discret cache ses 81 ans derrière des yeux rieurs, bientôt frondeurs. Il est connu comme le loup blanc dans cette ville où son militantisme s’est épanoui depuis la fin des années 1960. Les élus, les journalistes, les commerçants, les voisins, les travailleurs migrants des foyers le croisent et le reconnaissent. Beaucoup sont des amis, comme le grand reporter Marcel Trillat ou le maire Didier Paillard.
Dans cette ville, il y a plus de trente ans, la grande entreprise de machines-outils Cazeneuve allait fermer. Des métallurgistes se battent en nombre, durant trois années, pour sauvegarder leur usine. Jean Bellanger était de ce combat dont il a soigneusement consigné l’histoire dans des cahiers. Aujourd’hui, encouragé par l’association Mémoire Vivante, il rassemble ces notes pour témoigner dans l’ouvrage Combat de Métallos d’une lutte qui éclaire un tournant de l’histoire ouvrière. Jean retrace à cette occasion son parcours singulier, celui d’un homme pour qui la défense des droits des immigrés est un principe de vie. Ce témoignage donne à voir quelles peuvent être les racines et les résonances d’un tel engagement.
Parmi ses trois frères et surs, Jean a toujours été le plus engagé, révolté par l’injustice. Cette fièvre lui vient peut-être un peu de son père, compagnon du Tour de France, qui avait fondé autour de ses camarades une autre famille de cur. Peut-être vient-elle aussi de la foi de sa mère, catholique pratiquante qui n’a jamais caché ses distances avec le milieu bourgeois. Jeune, étouffant dans le carcan d’un enseignement catholique, Jean découvre de manière salutaire une manière de réconcilier engagement social et religieux à travers la figure des prêtres-ouvriers. Dans les années 1950, il décide de s’engager dans une Église à l’orientation sociale assumée, » se voulant proche des hommes et des ouvriers « , au moment même où le pape Pie XII réprime cette orientation en interdisant aux prêtres de travailler.
Sa rencontre avec le Maghreb est alors décisive. En 1955, en pleine guerre d’Algérie, Jean effectue son service militaire au Maroc. Frustré de ne pouvoir se faire » une idée juste du Maroc et s’ouvrir à son peuple « , il demande à être démobilisé pour travailler à l’hôpital d’Aïn-Chock à Casablanca. Il tisse alors de solides liens d’amitié avec des » camarades d’infortunes « , selon ses mots, qui habitent dans le bidonville de Ben M’Sick. De retour en France, Jean est ordonné prêtre en 1961 et nommé à Vénissieux où il fraternise avec des travailleurs algériens et quelques responsables du Front de Libération Nationale. Ces premières années de prêtrise l’ont convaincu que sa vie » (
) n’avait de sens que dans le don de soi « . Conviction qui ne sera que plus forte après une année passée en Algérie dans un dispensaire de la ville de Guelma. Symbole de l’importance des rencontres de cette période, il dédie son livre à Abderrahmane, un ami lépreux qu’il avait rencontré en Algérie.
Jean est muté à Saint-Denis en 1966. Peintre en bâtiment jusqu’en 1980, il mène de front ses journées de travail avec son combat pour la dignité des travailleurs étrangers. » Tout le monde se souvient de mai 1968 et de Cohn-Bendit mais à cette époque il y avait aussi beaucoup d’associations qui se structuraient pour réfléchir à la place des immigrés dans la société « . Proche de groupes militants d’affiliation catholique, il crée une antenne locale de l’ASTI (association de soutien aux travailleurs immigrés) et participe à l’implantation de la Cimade à Saint-Denis. Puis en 1970, Jean rencontre celle qui deviendra sa femme et décide de fonder une famille. Son désir n’est pas de rompre avec l’Église, mais il doit pourtant accepter » sa réduction à l’état laïc « . Il décide alors de s’engager comme syndicaliste et militant communiste, et abandonne la prêtrise. En 1972, Jean organise avec le maire adjoint Maurice Manoël la première » quinzaine contre le racisme » afin de commémorer les morts du 17 octobre 1961 : » À la suite de la guerre d’Algérie, il existait un racisme plus ou moins avoué. Beaucoup de familles avaient envoyé des fils en Algérie qui ne sont jamais revenus. Ça a laissé des traces dans la société française « . À la fin des années 1970, alors secrétaire de l’Union locale CGT de Saint-Denis, il écrit le récit d’une lutte qu’il le marquera, celle des ouvriers de l’entreprise Cazeneuve contre la fermeture de leur usine. Un exemple de l’engagement de nombreux salariés contre la désindustrialisation de la France dans ces années.
Devenu ensuite responsable du secteur immigration au sein de la CGT, Jean uvre pendant plus de dix ans pour sensibiliser le syndicat aux droits des travailleurs immigrés. » La CGT, comme le Parti Communiste, considérait les immigrés comme des travailleurs lambda. Je pense que c’est une mauvaise lecture de la laïcité, on se donne bonne conscience en se disant on est tous pareil. Mais c’est faux, de fait les immigrés n’avaient pas les mêmes droits « . Le secteur immigration a toutefois disparu à la fin des années 1990. » C’est grâce à des militants comme lui que la CGT est devenue un des principaux soutiens des immigrés. Il souhaitait vraiment que les travailleurs étrangers deviennent syndicalistes. Il est en quelque sorte l’ancêtre de la lutte des sans-papiers des années quatre-vingt « , rappelle Marcel Trillat, grand reporter et ami de longue date. C’est guidé par Jean que ce journaliste engagé au PCF avait réalisé en 1970 son documentaire Étranges Étrangers, découvrant caves, squats et foyers où vivotaient les immigrés de St-Denis.
Retraité depuis 1994, il crée la même année une association de solidarité avec les travailleurs immigrés : Ensemble, Vivre, Travailler et Coopérer (EVTC). Il préside aussi jusqu’en 2009 l’Association nationale d’enseignement du français aux travailleurs immigrés (AEFTI). De la même manière qu’il souhaitait impliquer les travailleurs immigrés des années 1970 dans les organisations syndicales, il encourage les résidents des foyers de sa ville à se battre pour faire reconnaître leurs droits. Avec le COPAF (Collectif pour l’avenir des foyers) il a amené les résidents à se structurer en coordination des foyers à l’échelle de la communauté d’agglomération Plaine-Commune. Son responsable, Boubou Soumaré, jeune délégué mauritanien du foyer Bailly, loue l’engagement de ce monsieur : » Il nous amène vers les personnes importantes, à la recherche d’une reconnaissance des droits des immigrés. C’est un guide « . De ces liens de cur avec les travailleurs, enracinés dans son vécu au Maroc et en Algérie, Jean voulait presque en faire des liens de sang. Ainsi, il donna des prénoms arabes à son fils Emmanuel, ou Karim et sa fille Marie, ou Iran. Il raconte : » Mon fils a été sans prénom pendant trois jours après sa naissance parce qu’à la maternité on ne voulait pas reconnaître le prénom Karim. J’ai dû aller au tribunal pour avoir gain de cause « .
Dans un mois, la Quinzaine antiraciste et solidaire de Saint-Denis fêtera sa quarante et unième édition. Jean Bellanger en sera bien sûr, comme il l’a été ces quarante dernières années. Il y a quelques mois, il avait déjà été frappé, aux côtés de représentants de résidents, à la porte du ministère du logement. La fièvre militante et la fibre humaniste de Jean se déclinent ainsi aujourd’hui, entre la défense des jardins familiaux de sa ville en reconversion et son combat pour la dignité des travailleurs immigrés.
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