Décédé en mai 2002, Nono Bakwa était un dramaturge congolais, directeur artistique de l’Ecurie Maloba, structure théâtrale d’échanges et de création artistique et directeur artistique du Festival international de l’acteur (FIA) dont on trouve un compte-rendu détaillé l’édition 2001 dans les pages théâtre de africultures.com. Ce dernier entretien prend ici valeur d’hommage à l’homme de théâtre et à l’homme tout simplement.
Vous aviez hérité d’un terrain vague et abandonné que vous avez réussi à transformer en espace culturel. Cet espace abrite tous les deux ans un festival international de théâtre. Quels étaient vos objectifs de départ ? Comment s’est faite l’implantation de votre structure dans cette commune de Bandal ?
Effectivement, nous avions hérité de cet espace que nous utilisons, le Jardin Moto na Moto Abongisa, que nous appelons Espace Mutombo Buitshi en hommage à un des battants de ce lieu. Au départ, ce n’était qu’une clôture avec quelques bureaux administratifs abritant les services de la maison communale juste à côté. Il n’y avait rien d’autre à l’intérieur sinon l’herbe qui y poussait par manque d’entretien.
On a récupéré cet endroit en 1988 sur base d’un contrat avec la commune. Et à cette époque de Parti Etat de Mobutu, le cahier des charges de ce lieu était d’être une maison de jeunes et de la culture car il existait le projet d’en implanter une dans chaque commune avec l’objectif d’être des lieux de loisir, de jeux, de sports et de culture pour les jeunes. Un espace où tous les soirs, ils pourraient jouer au scrabble, lire, regarder une pièce de théâtre, s’entraîner au sport. Le projet n’étant pas allé plus loin que la construction d’un mur de clôture à Bandal, cela nous a donné un argument de taille pour l’exploiter : réaliser les objectifs dévolus à ces lieux en tant que structure culturelle. Nous y avons construit une scène au milieu de la cour car nous voulions un lieu polyvalent susceptible d’accueillir musique, théâtre et toutes sortes de spectacles. Nous avons construit une bibliothèque qui recevait des élèves et étudiants de Bandal et des communes avoisinantes, une salle de réunion qui sert parfois de salle de projection vidéo. Les containers nous servent de dépôt pour nos matériels.
On avait donc le lieu, il fallait l’animer. La formule trouvée, c’était des activités permanentes et régulières. Nous avons alors instauré une saison théâtrale avec un spectacle tous les vendredis, en plus des fréquentations quotidiennes à la bibliothèque. Il n’était pas facile de susciter une habitude de théâtre à un endroit où cela n’existait pas. Car à l’époque, le théâtre se pratiquait dans les lieux choisis pour cet effet, notamment dans les centres culturels étrangers en ville. Déplacer le théâtre de la ville vers la cité est un pari que nous avons remporté. Au départ, une trentaine de personnes seulement venait à l’espace, mais au bout de deux ans nous avons eu 500 personnes. Notre plafond ici a été de 2000 personnes, le soir où Sans Souci jouait « Fungola motema » (« ouvre ton cur ») après une tournée européenne. Puis, l’idée d’un festival est née. D’autant que le Congo était un pays très désenclavé, où les artistes ne sont pas au courant de ce qui se faisait ailleurs et vice versa : le festival représentait pour nous une porte ouverte vers l’extérieur, une nécessité ! Il a démarré en 1990 et a fait venir à Kin des compagnies africaines et européennes, des experts venant d’ailleurs. Cela nous a permis d’écouter les autres, voir leur travail, comment ils le font, nous avons su ce qui se faisait en Europe, les formes de théâtre qui s’y pratiquaient. Et ce festival nous a permis aussi de mettre en place des projets multilatéraux notamment « Arrêt Kardiak« , initié à l’Ecurie Maloba, avec des Africains et des Européens. Nous avons également créé « Les dernières nouvelles ne sont pas bonnes« . Je pense que nous avons réussi un des objectifs que nous nous sommes donnés à l’Ecurie Maloba grâce à cette structure qu’est l’Espace Mutombo Buitshi, devenu un lieu incontournable de la culture à Kinshasa.
Pensez-vous que votre espace ait réussi à faire connaître localement le théâtre que vous pratiquez ?
Avant 1988, il existait des lieux de théâtre, notamment la Salle Mongita, siège du Théâtre National, à l’époque salle du Parti, où l’on donnait des spectacles de valeur et où existait déjà une tradition de théâtre nommé théâtre classique. Mais en dehors de ce lieu, il n’y en avait pas d’autres. Nous, nous avons pu amener ce théâtre en pleine cité, dans un lieu qui n’était même pas une salle de spectacle au départ malgré le fait que pour les gens, on ne fait bien du théâtre que dans une salle aménagé traditionnellement avec scène, etc. Mais nous avons emmené le spectacle en plein air dans un milieu où le public vivait sa vie. Et d’ailleurs, Bandal était connu comme l’une des communes les plus « culturées » qui soient, bien qu’aujourd’hui on en parle plus qu’en termes de musique. C’était le quartier des intellectuels où une classe moyenne y élevait des enfants bien éduqués, parlant français à la maison et donc pouvant facilement aborder une pièce de théâtre.
En implantant donc le théâtre en pleine cité de Bandal, nous savions qu’un public répondrait affirmativement. Il a fallu tout de même des années, un combat et voici le résultat. A part les 2000 personnes de plafond avec le théâtre populaire, nous avons vendu 750 billets avec la pièce « Lucifer« , c’est dire qu’un tel nombre de billets vendus au théâtre, il faut le faire. Et un ami belge ce soir là à l’espace, voyant des gens même sur les arbres avoisinants le Jardin, était surpris de réaliser que c’était pour le théâtre. Depuis, il ne cesse de dire qu’il a découvert comment dans une ville, Kinshasa, les gens sont intéressés par le théâtre.
Dans notre saison théâtrale, en plus de nos propres productions, nous recevons les meilleurs spectacles créés à travers la ville. Quand les troupes créent, elles savent qu’il y a un lieu de diffusion à Bandal avec un public fidèle et présent tous les vendredis.
Donc localement, le théâtre dit classique possède une autre dimension grâce à ce lieu. Pour preuve, le Théâtre des Intrigants a tenté la même expérience à N’djili, le Marabout Théâtre à Yolo, etc. Autant nous aurons des lieux, autant nous serons assurés de la diffusion de nos spectacles. On peut donc créer à Kin un véritable réseau de circulation des spectacles avant de penser à les vendre à l’extérieur.
Quels sont vos rapports avec d’autres structures du genre qui bougent à l’intérieur comme à l’extérieur ? Je pense aux Intrigants, au Tam Tam, etc. qui animent aussi une saison théâtrale et culturelle à travers la ville ou dans leur commune propre, et gèrent un espace ?
Nos rapports sont très bons. Quand les Intrigants ont signé leur contrat de bail pour la gestion d’un lieu, au départ c’était au Ciné Futi au quartier 3, ils sont venus nous demander notre collaboration vu que nous faisions déjà ce genre de travail à Bandal et ses alentours, Binza, Lingwala, question d’éclater l’action à travers la ville et donner du spectacle à tous ceux qui ne pouvaient venir à Bandal. Pour cette collaboration, nous leur apportions notre sponsor, nous en avions un à l’époque, ainsi que la télévision. Au bout de deux ans de cheminement, ils ont continué seuls et ont acquis le CIAJ, le siège actuel. Et à N’djili aujourd’hui, ils sont devenus incontournables. Ils sont une référence pour le théâtre à Kin et s’ils y ont cru, je suis fier que ce soit à partir de l’expérience de l’Ecurie Maloba. Marabout a un espace à Ngaba. Tam tam animait un espace à Yolo. C’est parce qu’il y a eu le Jardin. La télé y est pour beaucoup aussi, elle est venue vers nous et a favorisé notre promotion sur le terrain.
Nous avons aussi des projets ensemble. Avec Tam tam, dans le cadre de son festival de contes, il y a un projet de création où je fais de la mise en scène. Il y aura d’abord, avant la distribution que je dirigerai, un atelier ici avec un certain nombre de conteurs africains. Déjà le fait de coproduire les différents spectacles qui passent à l’Espace ou le fait de jouer dans les espaces des autres, c’est une forme de collaboration. Et le FIA en tant que plate forme, permet aux différents opérateurs de se retrouver, qui pour diriger un atelier, qui pour prendre part à une rencontre, qui pour présider des débats, etc. Il n’est plus seulement l’affaire de l’Ecurie, mais une plate forme ouverte à tous les créateurs, à toute collaboration avec les autres structures qui font le même travail que nous.
Etes-vous satisfait de vos rapports avec votre ministère de tutelle ainsi que les différents réseaux de diffusion : télévision, journaux, revues ou le net ?
La question du ministère est un vrai problème qui nous dérange et nous tracasse. D’ailleurs je ne m’arrête pas au ministère en tant qu’institution, je vais plus loin parce que le ministère n’est que le sommet de l’iceberg de tout un gouvernement. Il faut que le gouvernement donne une place à la culture, mais aujourd’hui nous ne savons pas réellement quelle est la politique du pays par rapport à la culture. Le ministère ne peut appliquer qu’une politique qui existe !
N’empêche que dans nos rapports, un effort se fait du côté des administrateurs mais ils n’ont pas réellement les outils. Et ceux qui sont au ministère ne sont pas nécessairement des hommes de culture. Il y a le conseiller culturel du ministre, le professeur Yoka, mais il est le seul ou presque qui comprenne le discours que nous tenons. Je pense que c’est maintenant à nous, opérateurs culturels, d’approcher le ministère, de lui faire des propositions concrètes dans la détermination de ce que nous entendons par « politique culturelle », « statut de l’artiste », etc., et de les rédiger car le ministère ne le fera pas à notre place. Alors aidons-le à nous aider, faisons des propositions qu’il soutiendra en fin de compte. Et s’il a suffisamment de bonne volonté, je pense que des choses pourront sortir de là. Je pense donc que notre ministre est à notre écoute mais elle n’a pas les moyens d’exécution de nos désirs. A nous de l’aider, ça nous aidera à aller plus loin.
Avec la presse aussi ça va. La plupart de journalistes sont nos alliés et nous nous rencontrons souvent, lors du lancement de la saison, de l’ouverture du festival, lors de divers points de presse que nous organisons pour informer le public de nos activités. En fait le problème de la presse ce sont leurs rédactions ou leurs rédacteurs qui ont leurs exigences et préférences. Quand la rédaction a sa priorité, ce sont les infos culturelles qui sont coupées, quelles qu’elles soient. Le journal c’est d’abord une marchandise qui doit se vendre et produire. Entre une info culturelle qui n’amène pas du fric à la rédaction et un papier politique, le choix est clair. D’autant que notre situation actuelle donne parfois à certaines rédactions des logiques de survie vu qu’elles doivent vivre…
La solution serait peut être d’initier à Kin des journaux et revues purement orientés et spécialisés dans la culture, afin que celui qui recherche une info culturelle s’y dirige. Qu’à la télévision aussi, il y ait des émissions spécialisées présentées par des animateurs qui ont une base et qui connaissent quelque chose en plus de la musique de Wera et JB. Nous sommes prêts à collaborer dans ce genre d’initiatives.
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