« L’Afrique ne tourne pas rond »

Entretien de Christine Avignon avec Marcel Salem

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Humble héros des temps modernes, Marcel Salem, combat avec la musique pour seule arme, depuis ce jour de 1986 où le reggae « est venu à lui ».

Pourquoi avoir fait le choix de vivre une partie de l’année en France ?
En 2000, je jouais dans des bars à Saly, au Sénégal, et j’ai été repéré par un couple de Français qui appréciaient ma musique. Ils m’ont demandé de faire une maquette avec quelques unes de mes chansons. A leur retour en France, ils ont rencontré un arrangeur, Michel Lorentz, qui a accepté de m’aider à enregistrer. Grâce à toutes ces personnes qui aiment ma musique, mon premier CD, « Carroy 44 », est sorti en 2004 avec dix titres que j’avais en partie écris sur les routes durant mon aventure. C’est pour cette raison que je suis venu en France, pour la musique. Depuis je fais des allers et retours entre la France et le Sénégal, mon pays d’origine.
Est-il plus facile aujourd’hui pour un artiste de vivre de son art en France qu’au Sénégal ?
En France, je dirais qu’il est plus facile de se créer un réseau, d’avoir des contacts. Mais nous avons maintenant de très bons studios d’enregistrement au Sénégal. Celui de Youssou N’Dour par exemple, le « Studio 2000 ».
Lorsque vous jouez au Sénégal, le public comprend les paroles de vos chansons, cela créé-t-il une grande différence et favorise t-il les échanges?
Oui, bien sûr, lorsque je chante au Sénégal, c’est comme une bombe qui explose. Toute la salle reprend les paroles en chœur, cela change tout. Comme le public français ne comprend pas le wolof ou le sérère, il m’a paru important de traduire mes textes qui figurent dans le livret du CD.
Je reçois de nombreux messages, grâce à mon site sur Internet. Mes fans me reconnaissent parfois dans la rue.
Que signifie « Faam N’Diawor », le nom du groupe de musiciens qui vous accompagne ?
Cela vient d’une vieille légende sérère, qui avait pour héros le Diawor, dont je suis paraît-il un descendant. « Faam », c’est la maison. Le Faam N’Diawor, c’est la maison du Diawor. Un nom paradoxal pour un groupe qui est composé essentiellement de Français, en effet seul le soliste est africain (éthiopien). J’aime beaucoup cette légende parce qu’elle symbolise mes racines. Les prêtres ont voulu empêcher les Sérères de rendre hommage au Diawor, mais ils ont échoué. Les légendes font partie de notre culture, de nos traditions. Les croyances sont très fortes en Afrique où cohabitent les différentes religions. On continue à aller voir les sorciers, les marabouts…tout en allant à l’église le dimanche.
Vous intéressez-vous à la politique ? Que pensez-vous des élections qui viennent d’avoir lieu au Sénégal ?
Je ne fais plus confiance aux politiciens depuis longtemps, mais je m’intéresse à la politique, bien sûr, et je vote toujours. Je suis fier d’être sénégalais, parce que le Sénégal est l’un des rares pays en Afrique où il n’y a pas eu de coup d’état. On a la chance d’avoir une vraie démocratie. Tout ce que je souhaite, c’est que les hommes politiques africains arrêtent de cacher leur argent dans les banques en Suisse, de se faire construire de magnifiques palais. Qu’ils arrêtent de penser à eux avant de penser à leur peuple qui vit dans la misère. Il y a trop d’injustices. Je viens d’un petit village, Montrolland – d’où sont également originaires les reggae man Dread Maxime et Jah Milk. Je suis issu d’une famille de cultivateurs pauvres. Avant de chanter j’étais vitrier. J’ai connu la misère, c’est pour ça que je peux en parler. Celui qui n’a pas connu la misère ne sait pas ce que c’est. J’aimerais aussi que l’on cesse de vendre des armes aux pays africains. Il y a trop de malheur en Afrique alors que notre sol regorge de richesses. Quelque chose ne tourne pas rond et la jeunesse actuelle en a marre de toutes ces magouilles.
Vous évoquez dans l’une de vos chansons le massacre du Camp de Thiaroye le 1er décembre 1944. Avez-vous eu l’occasion de rencontrer des tirailleurs sénégalais ?
En fait un jour je participais à une émission de radio au Sénégal, et on a diffusé ma chanson, « Carroy 44 », qui est un hommage aux tirailleurs sénégalais. Alors il s’est produit quelque chose d’incroyable, c’est qu’il y avait un ancien qui écoutait la radio et il nous a téléphoné, tout ému. C’est un moment inoubliable pour moi. Parce que cette chanson c’est pour eux que je l’ai écrite, pour rétablir la vérité sur ce massacre trop méconnu des Français. D’ailleurs le film d’Ousmane Sembène sur le même sujet « Le camp de Thiaroye », a été interdit en France à sa sortie. Suite à ce coup de téléphone, j’ai pris rendez-vous avec le vieil homme, et je suis allé rencontrer certains tirailleurs qui étaient encore vivants. Je leur ai offert des cassettes. Ils m’ont dit depuis qu’ils les écoutaient souvent dans leur village, et surtout cette chanson, la leur. Pour la petite anecdote, au départ pour moi les tirailleurs étaient appelés ainsi parce qu’ils ne savaient pas tirer, qu’ils « tiraient ailleurs » ….
Votre succès vous a-t-il permis d’aider des gens au Sénégal ?
J’ai de nombreux projets, et dès que je le peux, j’aide mes amis. J’ai aidé un ami boulanger et un autre menuisier à s’installer. J’aimerais qu’un boulanger s’installe dans mon village aussi. Je souhaiterais que les jeunes retournent à la terre, je le dis d’ailleurs dans ma chanson « Baappa ». Il n’y a rien de bon pour les jeunes à Dakar. Seulement le chômage et la pauvreté. Les parents dans les villages ont besoin de leurs enfants. Il faut que les Africains prennent leurs responsabilités.
Allez-vous bientôt sortir un nouvel album ?
Je suis en train de préparer mon deuxième CD, toujours avec Michel Lorentz. L’enregistrement va avoir lieu en juin, et la sortie est prévue en octobre 2007. J’y évoque des thèmes tels que le Sida, l’immigration (en particulier les malheurs des immigrés clandestins), les mariages précoces. Il s’intitulera « Afrique vigilance »,

Prochain concert en France : le 04 mai 2007 à la « Guinguette Pirate », à Paris. –
Site officiel de Marcel Salem : http://www.marcelsalem.com/
Marcel Salem sur « Myspace » : http://profile.myspace.com/marcelsalemcom///Article N° : 5855

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