Le cinéma au Burkina Faso (9.2)

Entretien de Léo Lochmann avec Rodrigue Kaboré - 2/2

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Rodrigue Kaboré est aujourd’hui une figure incontournable du paysage cinématographique burkinabé. Il est à la fois exploitant des principales salles du pays, distributeur quasi exclusif sur le pays et producteur de films populaires.
J’ai eu l’occasion de le rencontrer plusieurs fois et de recueillir ses propos. Deux entretiens sont proposés ici :
J’ai mené le premier à Ouagadougou le 14 juin 2012 et j’y ai ajouté trois questions collectées le 25 avril 2012 par Justine Bertheau, avec laquelle j’ai préparé une brochure diffusée au pavillon des cinémas du monde lors du festival de Cannes 2012 par l
‘association Cinéma numérique ambulant.
J’ai réalisé le deuxième entretien le 8 mars 2013, juste après le Fespaco. Rodrigue Kaboré fait le bilan d’un certain nombre d’activités énoncées l’année précédente. On note que des évolutions importantes semblent être en cours, notamment dans l’implication des pouvoirs publics et l’extension du marché, mais ces informations restent difficilement vérifiables.

Est-ce que vous pourriez me faire un bilan du Fespaco 2013 ?
Nous avions peur de ne pas avoir assez de festivaliers à cause de ce qui se passe dans la sous-région mais nous avons eu plus de peur que de mal, je crois que le maximum était là. Je vais m’attarder plus sur le Mica (1) parce que c’est surtout là que nous intervenons. Pour nous, la société Africa Distribution, c’était une très belle affaire : nous avons signé une quinzaine de contrats, de films maliens, gabonais, béninois et ivoiriens.
Vous avez acheté ou vendu ?
Acheté. Les films que nous avons vendus, en fait c’est surtout Canal +, CFI et puis TV5, qui ont acheté quelques films. Mais ça, c’est surtout sur l’ensemble des films que nous distribuons. Ce sont des longs métrages : trois burkinabés et le reste sont des films étrangers. Tous les pays que j’ai cités sont des pays avec qui nous travaillons en réciprocité, c’est-à-dire que nous leur vendons mais eux aussi ils achètent chez nous, pour permettre à chaque pays d’avoir ses films.
Donc vous allez exporter des films vers le Mali et la Côte d’Ivoire par exemple ? Et c’est vous qui les exploitez sur place ?
C’est-à-dire que nous aurons un représentant là-bas : le distributeur local qui va nous faciliter la tâche pour la salle. C’est nous qui y allons de manière à être là-bas pour la vérification. Il y a une forte communauté burkinabée en Côte d’Ivoire, donc nous nous sommes dit qu’il y aura des cinéphiles qui seront intéressés. Actuellement, il y a par exemple le film de Boubakar Diallo qui passe en Côte d’Ivoire.
Cela va permettre une extension, une sorte de marché sous-régional ?
Quand vous exploitez un film juste nationalement, vous ne pouvez pas récupérer ce que vous avez mis comme argent, parce que c’est restreint. Alors que, par exemple si vous arrivez aussi à percer sur les marchés ivoirien, béninois, camerounais, malien, nigérien, cela veut dire que vous augmentez, vous multipliez le chiffre d’affaires par trois ou par quatre. Vous savez qu’en Afrique subsaharienne, nous avons pratiquement les mêmes visions des choses, et même nos traditions sont pratiquement pareilles. Quand un film plaît vraiment au Burkina, cela m’étonnerait qu’il ne plaise pas à Abidjan. Généralement, nous essayons d’avoir des acteurs d’un peu tous ces pays. Par exemple dans notre film Faso Furie, il y a un Ivoirien, un Béninois, ce qui fait que dans chaque pays où vous amenez le film, vous avez une tête d’affiche nationale qui peut attirer du monde.
J’ai vu que vous êtes en ce moment en train de tourner Faso Furie II. Vous m’aviez dit que vous le tourneriez l’été dernier. Qu’est-ce qui vous a bloqué sur le tournage ? Qu’est-ce qui ne vous a pas permis de tourner cet été ?
Dans un premier temps ce sont les finances. Vous savez, cela fait quand même un budget de 59 millions. Nos films comportent beaucoup de cascades donc c’est difficile de nous limiter à 30 millions. Il fallait avoir assez d’argent et il fallait former, parce que les cascades demandent plus de formations sinon rapidement vous avez beaucoup de blessés et cela peut même être mortel. Cela nous a fait perdre du temps. Enfin, nous voulons, pour ce film, du matériel de la dernière génération. Gaston Kaboré a justement les caméras qui nous intéressent donc nous allons essayer de les utiliser. Nous n’avions pas les moyens de nous procurer ce genre de caméras avec tous les accessoires. Nous n’avons pas encore bouclé le budget mais ici, au Burkina, c’est difficile d’attendre le bouclage du budget total pour commencer. Nous allons donc faire avec ce que nous avons et nous en sortirons un bon produit.
Vous allez louer les caméras et le matériel de l’Institut Imagine ?
C’est ce que nous allons faire. Nous allons négocier avec eux pour louer une caméra d’Imagine et une caméra de l’ISIS. Nous louerons donc les deux caméras pour le tournage de Faso Furie, le Masque Rouge.
Pour ce deuxième opus, vous réinvestissez l’argent que vous avez récupéré avec Succès Cinéma.
Pour Succès Cinéma nous avions eu droit à 20 millions. Donc sur nos 20 millions, il y a d’abord un premier décaissement de 80 %. Et quand vous amenez la maquette, vous récupérez les 20 % qui restent. Ce n’est peut-être pas beaucoup mais c’est une aide importante.
C’est quand même un tiers de votre budget ? Ce n’est pas rien !
C’est beaucoup ! Parce qu’aujourd’hui il n’y a personne qui finance ! Donc Succès Cinéma est un apport considérable. Si nous obtenons un tiers avec Succès Cinéma, et un tiers avec le ministère de tutelle, en complétant avec le dernier tiers, nous pourrions produire deux ou trois films dans l’année.
Mais, en dehors des 20 millions de Succès Cinéma, est-ce que vous fonctionnez sur des fonds propres de Neerwaya ?
Ce n’est pas Neerwaya, c’est mon argent à moi en tant que producteur parce que, indépendamment de mon travail pour le groupe Neerwaya où je suis coordinateur, j’ai mes deux propres structures : Africa Distribution, qui est une société de distribution, et Pub Neeré, une société de production. C’est cette société de production, dont je suis le directeur général, qui produit le film.
Vous n’avez pas de partenariats privés ?
Pour le moment non. Le seul partenariat que nous avons essayé était avec Airtel. Nous avions déjà fait un premier essai. Sur le deuxième projet ils ne se sont pas encore décidés. Nous attendons de voir. Il y a la crise partout, donc c’est un peu difficile.
La rentabilisation de votre film Faso Furie se fait en salle ou en DVD ?
Les deux. Pour le moment c’était en salle et en DVD ; nous n’avons pas encore commencé l’exploitation à la télévision, l’exploitation Internet ni l’exploitation sur le sous-régional. Nous n’avons pas encore exploité ça, mais pour Faso Furie, le Masque Rouge, nous tirons des leçons des petites erreurs de sortie et de promotion des films précédents. Le film va sortir en salle, ensuite il sera mis en DVD. Le DVD, nous allons l’exploiter dans la sous-région automatiquement et cette fois-ci nous allons faire une sortie nationale et internationale. Dès le 25 novembre, le film sort à Ouaga, à Bobo, à Koudougou. Ensuite à partir du 28 novembre, il sort dans la sous-région. Nous avons déjà signé des contrats avec les groupes de télévision comme Africable, France24, Africa24, et nous avons échangé avec eux de telle sorte que la pub puisse passer sur ces chaînes internationales. Je veux une sortie vraiment internationale, je veux avoir une diffusion sur toute l’Afrique. Les Sénégalais ont déjà donné leur accord, les Ivoiriens aussi, ainsi que les Maliens, les Nigériens et les Béninois.
Pour vous, l’État n’est qu’une barrière ou peut-il être un soutien à votre activité ?
Pour le moment l’État est une barrière, mais l’État peut être un soutien énorme avec le nouveau ministre issu du milieu cinématographique. Il était l’ancien délégué général du Fespaco et il était conseiller à la Présidence donc il connaît les difficultés réelles du cinéma (2). C’est lui qui fait ressortir actuellement les vieux documents des tiroirs et qui sont aujourd’hui en phase d’adoption. Je crois qu’une partie est déjà passée en conseil des ministres et va être présentée à l’Assemblée nationale. Si ces textes sont adoptés, cela signifie que de l’argent sera misé sur le cinéma.
L’État a-t-il intérêt à investir dans le cinéma ?
L’État a intérêt… actuellement le budget accordé est de 50 millions pour le cinéma. Ce n’est pas possible. Moi-même, cela ne me suffit pas pour faire un film. Maintenant, des négociations sont en cours avec la renaissance de l’UNCB (3) et il y aura 500 millions cette année pour le cinéma. Cela permettra de faire pas mal de films. L’année prochaine nous espérons 1 milliard, pour atteindre petit à petit les 3 milliards visés par les associations professionnelles du cinéma au Burkina Faso. C’est l’objectif que nous avons demandé au chef de l’État parce que, pour qu’il y ait des films de compétition, des films professionnels, de qualité, il faut que l’État mette le fonds en marche, à l’image du CNC en France ou ailleurs.
Vous parliez au mois de juin dernier de la réouverture de salles en province. Est-ce que je peux savoir où ça en est ?
C’est en cours : Diebougou est prêt, Tenkodogo et Tougan sont opérationnels. Aujourd’hui nous avons seize salles de cinéma et nous sommes en négociation pour ouvrir une autre salle de cinéma ici à Ouaga, à côté du Fespaco. Cela fera trois grandes salles à Ouaga.
Quelle est la concurrence des vidéo-clubs pour la diffusion des films africains ? Est-ce qu’ils diffusent ces films africains ?
Oui, c’est diffusé mais ce n’est pas une réelle concurrence parce que chaque circuit à sa clientèle : les gens qui vont dans les vidéo-clubs, excusez-moi du terme, ce sont des gens qui… l’entrée est à 100 francs CFA. Ce n’est pas la même clientèle. Quelqu’un qui va à 100 francs CFA et quelqu’un qui va à 1 000 francs CFA n’appartiennent pas à la même classe. De même ceux qui paient 500 francs par exemple (4). Chacun a sa classe sociale. Celui qui débourse 100 francs au départ, quand sa situation financière le permettra, paiera 500 francs. Si sa situation continue à s’améliorer, il sortira 1 000 francs. Nous allons voir avec l’État comment rehausser un peu le prix des salles de cinéma parce que c’est un obstacle énorme. Vous faites le plein de la salle mais quand vous allez à la caisse ce n’est pas du tout ce que l’on pense. Dans une salle comme Neerwaya, vous avez 1 000 personnes. Si vous faites 1 000 personnes à 1 000 francs CFA vous allez faire un million, vous êtes content. Maintenant, faisons le point : l’électricité coûte à elle seule six millions par mois. Il y a un problème quelque part. Il faut revoir tout cela mais le ministère dispose déjà d’une base de législation : pour la billetterie, pour… En tout cas avant la fin de cette année 2013, beaucoup de choses devraient changer dans le cinéma au Burkina.
Je reviens sur le Succès Cinéma Burkina Faso : ce qui a été mis en place ressemble justement un peu à une billetterie nationale. Pourquoi n’existe-t-elle pas aujourd’hui ? Est-ce qu’il y a des réticences de la part des différents acteurs de la filière ?
Il n’y a pas d’argent, c’est tout ! Le budget alloué au cinéma, c’est 50 millions donc il faut être réaliste. La billetterie nationale, c’était l’ancienne société d’État, qui a été liquidée, qui la gérait. Et quand elle a été liquidée, il y a eu un vide juridique. Aujourd’hui, Succès Cinéma fait la billetterie pour ceux qui s’inscrivent là-bas mais il ne faut pas oublier que tous ne s’y inscrivent pas. Il y a donc plusieurs sortes de billetteries et c’est dommage. Mais je crois qu’avec ce que l’État va faire maintenant, tout le monde, associations comme sociétés, ira chercher les billets auprès de l’État.
Vous travaillez à la mise en place d’une billetterie nationale…
Tout à fait. Cela nous arrange d’abord parce que cela donnerait des données sûres et fiables. Deux : là, nous ratons la plupart des financements justement parce que cette partie n’est pas très fiable. Et trois : cela permettra réellement à l’État de connaître la part du secteur cinéma dans l’économie du pays. Vous savez aussi qu’ils donnent l’argent en fonction des secteurs qu’ils pensent rentables ou des secteurs qui participent à l’économie en réduisant le chômage, en permettant aux gens dans les provinces de se faire un peu d’argent et donc de nourrir toute une famille.
Donc vous ne pourrez plus mentir sur les chiffres que vous déclarerez au fisc.
À ce moment-là on va discuter, face à face avec les impôts. Quand les gens, en face de vous, font la sourde oreille, c’est compliqué. Quand vous y allez, vous montrez votre recette totale : « voilà réellement ce que j’ai vendu ce mois-ci : six millions. Je dois déjà vous reverser, à vous seuls, trois millions. Mon électricité est déjà à quatre millions. Je suis déjà en perte si je dois respecter juste. » Vous ne pouvez que mentir et trouver des solutions en attendant. Donc je ne vous dirais pas que j’ai fait trois millions mais je vous annoncerais un million.
Si une billetterie nationale est mise en place, il faudra une renégociation des taxes ?
Ça, c’est obligé, parce qu’ils verront la réalité. Les charges et les recettes… Il faut diminuer un petit peu pour que tout le monde soit gagnant-gagnant. Cela ne sert à rien d’avoir une société qui ferme : tu vas prélever quel impôt ?

Lire le premier entretien ici.

1. Le Marché International du Cinéma Africain se déroule durant le Fespaco.
2. Baba Hama, actuel ministre de la Culture, a été pendant douze années le délégué général du Fespaco avant d’être remplacé à ce poste par Michel Ouedraogo.
3. Union nationale des Cinéastes du Burkina (UNCB)
4. Dans les salles de périphérie à ciel ouvert, les billets coûtent 500 francs CFA contre 1 000 francs CFA dans les salles climatisées de centre-ville.
Propos recueillis le 8 mars 2013 à Ouagadougou.///Article N° : 12182

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Les images de l'article
Rodrigue Kaboré © Olivier Barlet 2007





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