« Le documentaire animalier et environnemental est une archive »

Entretien de Stéphanie Dongmo avec Danny Sarazin

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Directrice du Festival international du film animalier et sur l’environnement (Fifale) qui se tient du 22 au 25 octobre 2014 à Rabat au Maroc, Danny Sarazin présente cet événement dont le but est de sensibiliser à la préservation de la faune et de la flore. Celle qui était la marraine de la 2ème édition du Festival du film de Masuku à Franceville en août, évoque aussi les problèmes des films animaliers et environnementaux en Afrique.

Qu’est-ce qui est prévu pour la prochaine édition du Festival international du film animalier et sur l’environnement du 22 au 25 octobre 2014 à Rabat?
Cette année c’est le 10e Fifale, anniversaire que nous allons fêter par une rétrospective des films et un bilan de ces dix éditions. En effet, malgré sa création en 1996, il y a des années où le Fifale n’a pu être présenté mais surtout d’autres où les sponsors ont failli et l’édition n’a pu avoir lieu. Je vais présenter le festival Masuku au public marocain et à mes invités internationaux, car je prends très à cœur mon rôle de marraine de ce festival (Danny Sarazin était la marraine de la seconde édition du festival du film de Masuku, nature et environnement, du 13 au 17 août 2014 à Franceville au Gabon, NDLR). Il y aura aussi la participation d’élèves, lauréats du concours de dessins que j’ai organisé au collège d’Aouinat Torkoz, petit village dans les Provinces du Sud du Maroc. J’ai rencontré ces jeunes dans le cadre de la commémoration des zones humides et j’ai été enthousiasmée par leur passion et leur prise de conscience de la protection de leur patrimoine, faune et flore. Bien sûr, chaque jour, il y aura des séances scolaires, des Masters Class, des rencontres avec les professionnels présents et quatre grandes soirées avec des films inédits au Maroc et la présence des réalisateurs. Beaucoup de surprises…
Comment êtes-vous arrivé à créer le premier festival spécialisé sur l’animalier et l’environnement d’Afrique au Maroc ?
L’opportunité de ce festival est venue des circonstances de ma vie qui ont fait que je suis arrivée au Maroc en 1994. J’avais déjà en main un festival (le Festival du film d’aventure sportive, les Jifas, NDLR) que j’organisais une année en France (Annecy) et une autre au Japon (Hakuba), et je participais également à beaucoup de festivals dans différents endroits. Quand je suis arrivée au Maroc, je me suis dit qu’il faut que je fasse quelque chose. En 1995, arrive la création du Ministère de l’Environnement au Maroc. J’ai envoyé un dossier, le ministre m’a reçu et m’a mis sous tutelle de l’association Ribat Al Fath pour organiser le festival. La grande aventure a commencé en 1996 avec la première édition qui a été un énorme succès.
Le but était de sensibiliser les gens à la protection de l’environnement. J’ai voulu aussi dérouler sur l’animalier parce qu’on ne peut pas dissocier l’animal de l’environnement, les deux sont liés. Donc, on est parti sur des films animaliers et j’ai eu la bonne surprise de recevoir énormément de films, 110 au total. Parce que l’avenir de la planète ce sont les enfants, j’ai voulu faire venir des scolaires au festival. J’ai continué ces séances scolaires où tout est gratuit. Les enfants viennent en général accompagnés de leurs professeurs et certaines écoles font un devoir sur le film qu’ils ont vu. C’est super parce qu’il y a une continuité. L’année dernière, on a eu 3000 enfants. Après, il y a eu l’arrivée de la SVT (Sciences de la vie et de la terre, NDLR) dans les écoles, ce qui veut dire qu’on est en plein dans le développement de l’environnement.
Le festival arrive-t-il à créer une dynamique autour de la protection de l’environnement ?
On essaie au maximum. Il y a le côté institutionnel où on me demande de participer à des conférences dans des universités. Auprès de l’Université Doukkali, Faculté des Sciences à El Jadida, à l’initiative du Professeur Hamid Rguibi Idrissi, j’ai développé des cours et enseigné, à titre d’expert, des modules complémentaires aux Masters Ingénierie écologique modélisation et gestion des écosystèmes naturels en 1ère et 2e année sur le thème de la relation homme/animal. Nous avons aussi développé, dans le cadre du festival, des Masters Class sur le documentaire animalier et environnemental à l’ISCA, l’école de cinéma à Rabat, avec la participation de réalisateurs de renommée internationale qui se prêtent au jeu et communiquent leur passion.
Au Maroc, il y a un Ministère de l’Environnement et une population qui bougent énormément. Ce sont des jeunes en général qui créent des mouvements sur Facebook, par exemple La Tribu des écolos (1) qui organise des actions citoyennes pour la protection de l’environnement et notamment, dans l’Atlas, une participation au reboisement de la forêt de cèdres, en collaboration avec les gardes forestiers, etc. Il y a eu des mouvements d’associations qui se sont créé pour nettoyer les plages. Il y a d’autres personnes qui s’occupent de la protection des animaux errants, qui luttent contre le trafic des animaux. On arrive à une synergie vraiment très intéressante. Le Fifale soutient tout ça et fait des actions concrètes, en plus du festival. L’argent, c’est le nerf de la guerre mais on essaie de développer un  » tour  » qui nous permet d’aller dans différents endroits pour parler du festival.
Y a-t-il un public pour les films sur l’animal et la nature qui ne sont pas forcément grand public ?
Au Maroc, comme dans beaucoup de pays africains, le documentaire est mal aimé, le documentaire sur l’animal, on n’en parle même pas. Pourtant, les plus grands réalisateurs, Spielberg, Scorsese, ont commencé par le documentaire animalier. Il y a eu de très beaux films de fiction animalière mais on n’avait pas pris conscience de ça avant : Tarzan par exemple, Le Grand bleu de Luc Besson, Le Peuple Migrateur et Océans de Jacques Perrin. Le documentaire, c’est une autre façon de faire du cinéma qui est très difficile, c’est une école complète. Les tournages se font dans des conditions difficiles, les progrès de la technologie sont souvent apportés par le documentaire. Le documentaire animalier impose une rigueur qui n’a pas lieu dans le cinéma de fiction. Dans la fiction, vous avez Brad Pitt devant vous, il rate une scène et on recommence. Dans le documentaire animalier, ce n’est pas vous qui dites au lion de mettre sa patte comme-ci, c’est lui qui décide. Ce n’est pas nous qui faisons du cinéma dans ce cas mais c’est l’animal et l’homme doit composer avec.
Les films d’environnement à l’époque, c’était des cheminées qui fumaient, des marées noires, on filmait les paysages pollués, ce qui n’était pas vraiment ludique et fait pour attirer du monde dans les salles. Maintenant, on écrit des synopsis et des scénarios pour les films animaliers, on donne une histoire, parfois même un nom à l’animal et ça apporte une émotion plus importante encore. En ce moment, on passe le film Blackfish en France sur l’orque qu’on a appelé l’Orque tueuse parce qu’elle est dans un Seaworld. Des gens vont voir ça mais ne se rendent pas compte de la vie terrible qu’a cet animal très intelligent qu’on met dans un bassin. C’est comme un homme en prison durant toute sa vie. En plus, ce qui est horrible, c’est qu’on lui fait une insémination artificielle. Comment l’humain a le droit d’imposer cela à l’animal ? Je ne vais pas tomber dans l’extrême mais je voudrais qu’on respecte l’animal. Maintenant, on commence à comprendre que l’animal a une sensibilité, des études montrent qu’il a des sentiments. On a fait des erreurs par le passé mais on doit réparer cela.
Arrivez-vous à vous faire entendre ?
On diffuse un maximum de choses, on n’est pas parfait, les sponsors ne sont pas toujours à l’heure au rendez-vous mais il faut rester fidèle à cette idée. Ma grande théorie est que les petits ruisseaux font les grandes rivières. Je pense que chacun amène sa contribution à cet événement-là. Mon rêve est que dans chaque pays africain, il y ait un festival de l’environnement parce que l’Afrique, c’est le poumon de la terre, l’avenir de l’humanité. Je ne suis pas la Jeanne d’Arc de l’environnement mais j’apporte ma petite pierre à l’édifice.
Que faire pour qu’il y ait justement plus de festivals sur cette thématique en Afrique?
Il n’y en a pas beaucoup mais ils se créeront, forcément. Le Gabon, qui a une nature luxuriante, va être un déclencheur à mon avis et il y a plein d’autres pays qui ont ce potentiel. Les gens ne pensent que long ou court métrages. Or, dans ce milieu, il y a beaucoup d’appelés mais peu d’élus. Et les gens qui font du documentaire n’ont pas cette fierté, mal placée le plus souvent, qu’ont les réalisateurs de fiction. Si on fait du documentaire animalier et environnemental, on est forcément passionné. C’est toute une population de passionnés qui transmettent leur passion et qui, à travers leurs images, disent que la planète est en danger.
Quel est l’intérêt pour un pays d’abriter ce type d’événement ?
Il y a une carte à jouer avec les festivals comme Masuku au Gabon, c’est l’écotourisme. Les gens ont maintenant envie de vivre quelque chose dans le pays où ils vont, il y a des choses à faire et à développer. Le festival met une lumière quelque part, ça peut être un déclencheur. Il faut qu’il y ait une prise de conscience, que les populations, surtout des villes, comprennent. Apprendre déjà aux enfants à ne pas jeter les papiers et bouteilles dans la rue, c’est le B.A.-BA. Beaucoup de pays africains ont pris conscience qu’il faut protéger l’environnement.
Vous essayez de tisser des liens entre le cinéma et la protection de la nature qui est essentiellement de la sensibilisation…
Oui, parce que je suis une férue du documentaire. Le documentaire animalier et environnemental pour moi, c’est une espèce d’archives de ce qui se passe. Rien ne me dit que demain, il y aura encore des éléphants sur terre et je suis plutôt pessimiste. On aura fait des documentaires animaliers et on les retrouvera grâce à cela. On utilise plein de choses dans ces documentaires : la faune, la flore, l’environnement, les croyances et traditions, on développe l’écotourisme, on montre aux gens leur pay comme il peut être et comme il sera. Utiliser l’image parle d’elle-même et permet de comprendre, de toucher les gens, les enfants. L’image au service de cette  » bataille « , cela ne peut qu’être bénéfique.
Y a-t-il des réalisateurs africains qui font du documentaire animalier ?
Il y a peu de réalisateurs africains parce qu’ils n’ont pas cette opportunité, rendue difficile aussi par le bouclage du budget nécessaire pour un film. C’est surtout par manque de soutien des organismes publics du cinéma, qui accordent des aides et subventions pour le long ou court-métrage de fiction et très peu ou pas du tout pour le documentaire, alors qu’ils devraient représenter et aider toutes les formes de cinéma. En créant les Masters Class à l’école de cinéma, animées par les invités du Fifale qui sont de grands réalisateurs passionnés, nous espérons susciter des vocations.
Au début de cette année, des étudiants motivés ont décidé de réaliser un documentaire animalier au Maroc. Ils m’ont parlé de leur projet que j’ai trouvé super intéressant mais très difficile aussi. Aussitôt, j’ai formé un réseau composé de professionnels, de scientifiques etc. Nous les soutiendrons dans les différentes étapes de leur projet jusqu’à la réalisation finale du documentaire qui sera leur devoir d’études, et sera projeté lors d’une soirée du Fifale, probablement en 2015. Au festival, j’ai créé un prix spécial pour les films marocains car il est évident qu’un documentaire animalier marocain ne peut pas rivaliser avec les documentaires réalisés par le National Geographic ou la BBC par exemple, aux budgets énormes et aux moyens techniques colossaux. Je veux de cette façon encourager la production marocaine et pourquoi pas, ensuite africaine, avec l’ouverture de festivals dans d’autres pays africains tel que Masuku au Gabon.
Quel avenir pour les festivals spécialisés sur l’environnement en Afrique ?
Il faut que les politiques des pays soient parties prenantes parce que c’est eux qui font bouger les choses. Après, il faut des budgets. Il y a de grosses sociétés pollueurs-payeurs qui communiquent sur l’environnement. Ils peuvent soutenir un festival de films sur l’environnement comme Masuku, puisqu’ils disent qu’ils nettoient leurs saletés. Si dans chaque pays on arrive à les motiver, on peut arriver à faire des choses. Espérons qu’à un moment donné, les hommes seront un peu plus intelligents qu’ils ne le sont maintenant et qu’au lieu de se battre pour les frontières, ils se préoccuperont de l’avenir des générations futures avec une vision planétaire.

Propos recueillis par Stéphanie Dongmo

(1) Voir le groupe Facebook La Tribu des Ecolos///Article N° : 12459

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