Henri Lopès, faut-il le faire remarquer encore, est habité par l’Afrique, les Afriques. Pour ne pas déroger à la règle, il poursuit dans ce nouveau roman, sa plongée dans les méandres de son Congo natal, allant à la pêche de souvenirs, d’impressions, d’histoires, d’anecdotes, d’événements qui n’en sont pas moins des pierres angulaires pour reconstruire l’Histoire, l’interpeller. Un vrai dialogue s’établit entre l’auteur et son histoire, son Histoire. On le sait aussi, Henri Lopès est habité par la question du métissage, de l’hybridité, réelle et figurée. Le Méridional vient le rappeler, avec narration comme sous un arbre à palabre, digressions, retours en arrière, parenthèses, enchevêtrement d’intrigues, épisodes, reprises d’événements, nuds et dénouements relancés, rythmes balancés, plein les pages. La narration devient art, digne d’un roman policier, avec un narrateur-écrivain-auteur en maître-inspecteur, à la recherche de la vérité. Ce sont les lieux qui surprennent par leur nouveauté pour le lecteur familier de l’uvre d’Henri Lopès. Dans l’île de Noirmoutier dans cette Vendée, au bord de l’océan, se tissent paysages, marais, sel, mer, sables, vagues, dunes, vieux bistrots, argot, verres et gouaille, coucheries et infidélités, amitiés et contrariétés, méfiances et découvertes, complicités et déconvenues, migrations, partages, vieux réflexes et préjugés, amours clandestines et voyeurismes. L’auteur réussit à s’introduire et peindre des atmosphères, des personnages, des situations et des expressions langagières locales et les rapprochent du lecteur. Certes, au centre de ce roman, il y a le personnage du Méridional, dont on découvre l’histoire, au fur mesure que le roman avance, même à reculons, mais tout ramène au métissage, au Congo. Le dialogue entre la Vendée et le Congo partent-ils de l’insularité fertile et féconde dont parle Édouard Glissant ou d’un besoin d’une autofiction ? Il n’est pas sans intérêt de se poser ces questions, tant l’application à la description minutieuse, détaillée, fait de ce va-et-vient entre l’en-soi et l’autre une quête-bilan, un désir d’ontologie, comme pour échapper à la fuite du temps qui passe. Ce roman est une belle fresque amoureuse, construite avec complicité, parfois avec humour, nostalgie, avec des airs musicaux connus, des paroles libres, libérées et érigées comme des balises pour la mémoire individuelle et collective. L’auteur et son double, Henri Lopès, tentent de saisir le présent à travers le passé heureux et tumultueux, utopique et aventureux, ambitieux et désenchanté. Le Méridional est la somme d’événements politiques, historiques, personnels, intimes et collectifs, qui revisitent le Congo à partir d’une île française. Et il y a comme un sentiment d’exotisme à l’envers, si jamais l’exotisme était à l’endroit, où le Congolais regarde les Indigènes de Noirmoutier, non sans malice ni ironie. Situer l’univers de ce roman sur cette île s’y prêtait, le métissage du Méridional permettait le reste, la connivence, l’ouverture, en dépit des obstacles, des coups de fusils, des barreaux, des travers de l’Histoire. Toute vie est une lutte, elle n’est jamais monocolore, monochrome, qui va dans une seule direction, qui s’enrichit d’un seul vent, seuls les mélanges sont salutaires, semble nous dire ce nouveau roman exigeant.
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