« Le théâtre sensibilise à la construction d’un processus de paix »

Entretien de Marian Nur Goni avec Fargass Assande, metteur en scène ivoirien de la Compagnie N'Zassa(1)

Juillet 2003
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Pourrais-tu présenter, brièvement, le parcours qui t’a amené au théâtre ?
D’entrée, je signale que je suis autodidacte en matière de théâtre. Je n’ai jamais fait une école de théâtre. Je venais de réussir mon entrée en sixième et mon oncle, pour me féliciter, m’a proposé de venir avec lui à une représentation de  »La Tragédie du roi Christophe » au théâtre de la cité universitaire d’Abidjan. Subjugué par le génie des acteurs et conscient que le théâtre est une tribune d’expression par excellence, j’ai décidé ce soir-là, de faire du théâtre. Le concours international de théâtre scolaire et universitaire dans mon pays m’a servi de tremplin quelques années plus tard. Meilleur acteur à plusieurs reprises, je me suis convaincu que ma voie était tracée. Et me voilà comédien, puis metteur en scène et auteur de pièces de théâtre.
Comment as-tu travaillé sur le texte de A. Kourouma ? De quelle façon te l’es-tu approprié ?
 » M’appelle Birahima  », présente encore et hélas un tableau sanglant de l’Afrique des barbaries. Une indignation face à un monde où des intérêts égoïstes engendrent guerres et divisions fratricides. Se servant du parcours d’un jeune orphelin dans le Liberia et la Sierra Leone de la guerre tribale, Kourouma fait un témoignage éloquent d’un monde handicapé par plusieurs maux.  »Allah n’est pas obligé » est une réflexion sur la condition humaine en ces heures névrosées des conflits mesquins où la pensée plurielle devient prétexte de division et motivation à l’expression du verbe haineux des politiciens et à l’exacerbation des instincts sauvages et barbares. A la rencontre du texte, c’est son écriture  »orale » capable d’apporter un souffle novateur au théâtre qui nous a intéressés. S’accepter, vivre ensemble avec nos différences : voilà la problématique de ce moment historique que traverse le monde dans sa marche vers le village planétaire. La mise en relation régionale, nationale, ou mondiale des hommes, forcés parfois de partager le même espace, en toute conscience de leur interdépendance, provoque toujours des replis identitaires et des révoltes. L’histoire du monde nous a enseigné ces dernières années que des modèles culturels jugés plus vrais et plus justes que d’autres, ont justifié génocides, guerres civiles, violences, xénophobie. Les tentatives politiques, souvent hypocrites, pour une cohésion nationale et une union internationale marquent le pas et les agressions et autres affrontements s’intensifient. Entre le risque d’une culture uniformisée imposée et le risque non moins grand de la pérennité des conflits économiques, politiques, religieux et racistes ; comment construire une culture de paix ? Une paix qui implique nécessairement la reconnaissance des valeurs telles que le respect de la différence, le métissage et l’ouverture. Dès lors, le théâtre, lieu où se tissent et se nouent des relations entre les hommes, demeure un cadre où il est encore possible d’articuler des visions du monde qui, dans la réalité, s’opposent.
Le théâtre s’offre comme une solution. Dans l’espace fictif du théâtre, à l’intérieur de ce  »territoire imaginaire », artistes et spectateurs font l’expérience d’une forme de sociabilité que l’espace réel du quotidien égoïste ne favorise plus. Le théâtre en provoquant sous de multiples formes la participation du public et des acteurs, sensibilise à la construction d’un processus de paix né du dialogue interculturel. C’est enfin notre ambition de reconstruction d’un modèle de groupe humain stable, pacifique, uni qui n’est en rien une fusion-assimilation mais un regroupement fédérateur de réflexions et d’échanges, une rencontre des cultures et des micro-cultures portées par des artistes venus d’origines diverses. Le public se sent fortement concerné par le sujet et leurs réactions sont unanimes sur la nécessité de présenter notre travail au monde pour qu’il s’y reconnaisse et arrête de mettre en péril des vies humaines.
Comment tu y as travaillé avec les comédiens ?
Nous avons d’abord commencé par un travail à la table qui a consisté à expliquer le texte de base (roman) et le comparer à la version théâtrale. Plusieurs lectures et ateliers sur la recherche et la maîtrise des personnages et de la symbolique traditionnelle de Kourouma ont déterminé la distribution finale et donné des pistes à la mise en scène, à la scénographie au jeu des acteurs et à l’éclairage.
Quel est le rôle du chant dans la conception de la pièce ?
Le chant est une expression vivante qui, dans la société traditionnelle africaine sert de lien entre le dit et le non-dit. Il consacre le rituel dans sa dimension mystique et relance le discours sinon le ponctue. Dans la narration des contes, le conteur l’utilise pour situer l’ambiance temporelle et véhiculer des émotions.
Quelles sont tes références en matière de théâtre ?
Pas d’influence directe. Mais de mes nombreuses lectures, certains théoriciens de référence tels B. Brecht, C. Stanislavsky, Becket ont fortement contribué à ma vision du théâtre. Notons aussi l’apport inestimable du rituel africain dans l’essentiel de mes actes de mise en scène.
Projets futurs ?
Il y a une foule de projet qui sont en attente. Il reste les moyens de les réaliser. Les plus immédiats sont la création de  »Bin bali ya », un texte qui a fait l’objet de ma résidence d’écriture à Limoges, la réalisation de mon premier court métrage (formation de réalisateur auprès de Henri Duparc) et la création d’un espace de rencontres et d’échanges artistiques.

1. N’Zassa signifie, en langue baoulé, patchwork, pagne de raboutage.///Article N° : 3030

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