Invité du 13e Festival International des Francophonies en 1996 avec La Complainte d’Ewadi de Liazéré dont il avait assuré la mise en scène, voilà Fargass Assandé de retour à Limoges, en résidence d’écriture cette fois, avec le soutien de RFI et d’une bourse CNL Découverte pour sa pièce Ames cochonnes… Orgies tyranniques.
On vous connaissait des talents de metteur en scène mais vous voilà aujourd’hui auteur dramatique. Pourquoi ce passage à l’écriture ?
En fait j’ai commencé par le jeu théâtral, j’ai d’abord été comédien avant de faire de la mise en scène. En Afrique, on a pas assez de texte et pour les besoins de ma compagnie, j’ai souvent été obligé d’écrire des pièces, mais avec Ames Cochonnes… c’était la première fois que je prenais la peine d’envoyer un manuscrit à RFI.
Il y a pourtant de nombreux dramaturges africains ?
Aujourd’hui, les auteurs de théâtre ne trouvent pas d’éditeur en Afrique et les auteurs qui réussissent à se faire éditer en Europe ne sont pas diffusés en Côte d’Ivoire. Dans les librairies, on ne trouve que le théâtre des années 70. Or, nous avons des problèmes des années 90 à poser au théâtre.
Comme celui des enfants des rues que vous abordez dans Ames cochonnes… Orgies tyranniques ?
Oui, il s’agit d’un cri du coeur, le cri d’un jeunesse culpabilisée, exploitée, manipulée et qui subit les fantasmes des nantis. Ces enfants de la rue vivent au Plateau, le quartier des affaires d’Abidjan, autour du centre commercial et constituent un petit peuple à part à côté des grosses cylindrées et des messieurs en costume élégant. Ils ont leurs règles et leurs lois. Je me suis demandé pourquoi ces enfants, alors que tout le monde aspire à un mieux être s’étaient résigné à vivre dans ces conditions. Ils sont les victimes des politiques et des nantis. Ils vivent les mêmes manipulations que les enfants du Brésil ou de Thaïlande Je les ai approché, j’ai eu avec eu de longues discussions, pour mieux les comprendre et ils sont devenus des amis. Deux d’entre eux jouent d’ailleurs dans le spectacle à Abidjan.
Vous avez donc choisi de faire un théâtre engagé.
A quelque niveau que l’on se situe, on est toujours engagé. Il y a peut-être des engagements qui ne disent pas leur nom. Mais l’artiste n’a guère d’autre choix. Même l’acteur qui accepte de porter un texte s’engage d’une manière ou d’une autre.
Pourquoi cet intérêt pour les enfants des rues ? Parce que vous avez vous aussi traîné dans les rues d’Abidjan ?
Sans doute. Je suis d’une famille modeste. Le livre était un denrée rare. Pendant mes études, je n’ai jamais eu les fournitures que nous demandait l’école, et j’ai dû interrompre ma scolarité assez tôt car je n’avais pas les moyens matériels pour continuer. J’ai grandi dans les banlieues pauvres d’Abidjan, à Abobo, à Adjamé, à Yopougon.
Comment avez-vous découvert le théâtre ?
Je venais d’être premier de ma classe et un oncle qui travaillais dans l’administration et avait déjà fait un voyage en France était à la maison le soir où mes parents avaient reçu mon bulletin de notes. Il avait invité au théâtre une jeune femme qu’il courtisait et pour faire bien il me dit : » Bon, tu es premier de classe, tu as droit à une récompense, mais ce ne sera pas un cadeau, je t’emmène avec nous au théâtre. » Les étudiants d’Abidjan jouaient La tragédie du roi Christophe au théâtre de la Cité. J’ai été subjugué par le jeu des comédiens et j’ai eu envie de percer le mystère de cette magie. Je suis sorti de la salle avec une résolution en tête : je ferais moi aussi du théâtre.
Quels sont vos projets aujourd’hui ?
J’écris un nouveau texte dans lequel j’interroge le devenir de l’Afrique. Je crois qu’accuser l’Occident est une attitude révolue. Nous devons nous en prendre à nous-mêmes. Nous avons engendré d’autres types de colonisateurs, de drôles de dinosaures qui instaurent de nouvelles formes d’esclavage. Dans ce texte, qui devrait s’intituler Républiquette sous perfusion, je fais la peinture de cette nouvelle Afrique victime d’elle-même.
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