Le Trophée des capitaux

De Guy Régis Jr

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Présentation sobre, si ce n’est austère, pour ce court roman haïtien de la nouvelle collection « Fragments » dirigée chez l’éditeur Vents d’ailleurs par Raharimanana : couverture rouge, page de garde noire, texte en petits caractères sans autres pauses que quelques espaces en bas de pages. Les épigraphes placent le texte sous le signe du mouvement : « Ce roman à dire debout » puis, à la page suivante, une citation de Saint-John Perse : « L’inertie seule est menaçante ». Allons, en route, pour échapper à la menace. Les mots du titre se détachent, déclenchant sur des pages distinctes des paragraphes aux phrases courtes irriguées par un lexique de la violence : « mal, pire, arracher, durement, contre, cannibale » avant de clore par une série de négations : « Plus de rêve. Plus de pensée. Plus d’Utopia. C’est l’avènement de l’esprit fatigué » (11). Un narrateur sans nom qui se dit « écolier », accompagné de l' »amie des jours tristes » (108) et d’un dogue va ensuite décrire sa longue traversée de Belair-ville, illustrant l’affirmation du préambule : « nos yeux fatigués d’avoir lu, relu, appris les mêmes choses […] nous étions absents, occupés, préoccupés, égarés, perdus, éperdus » (13). Ce mot reviendra un peu plus loin, dans une reprise qui est une sorte de piétinement, une litanie qui figure l’impossibilité pour la phrase comme pour les personnages d’avancer : « C’était un homme occupé, préoccupé et calculateur. Il se fiança, occupé, préoccupé et calculateur. Il se maria, occupé, préoccupé et calculateur. Il eut des enfants. Il aura tout occupé, préoccupé et calculateur » (67). À l’image de la phrase, et peut-être du roman, les deux jeunes avancent en trébuchant ; ils traversent la ville en feu, délabrée, héritière d’un passé glorieux mais « volontairement abrutie » (73). Tous les éléments urbains deviennent les métaphores de la situation politique et sociale du pays. Que des éléments désordonnés s’étalent et le narrateur interprète : « Il n’y a pas de guerre. Juste la déchéance acceptée » (74), que le vent souffle sans entraves et il pense aux siennes : « Debout, allons, allons dire le mal qui nous déchire » (76). Cette déambulation erratique alimente ce monologue morose placé sous le double signe du trophée et de l’échec. Le premier renvoie à l’inaccessible détenu par les mystérieux « eux » (« ils nous ont envahis », 101) tandis que le second s’étale au long des rues. Les références dispersées se rencontrent parfois au coin d’une phrase : « M’offrir mon trophée dans cet échec de pays » (108) et plus loin « Gagner le vrai trophée. Nous sommes nés perdants et ne resterons pas » (112) et à propos des parents : « ils n’avaient pas su gagner leur trophée dans le grand combat des capitaux » (112).
Le récit frémit quand le narrateur se reprend, semble se réveiller de sa fatigue mentale : « Mettre de côté tout cela. Absolument. Naître. Se battre pour devenir. Naître. Devoir. Finir le bac. Devenir citoyens. Parce qu’instruits. Responsables. Naître. Se battre. Et devenir responsables » (111). La fin du texte file la métaphore du capital et du trophée, en reprenant le procédé de la répétition et de l’inversion avant de s’emballer dans un style différent avec des scènes érotiques et un final où réapparaissent les thèmes initiaux du feu, du vent et de la nuit sur la ville. Un roman ambitieux qui peine à s’organiser, avec des recherches stylistiques intéressantes mais qui s’essoufflent au fil des répétitions, des envolées lyriques en décalage avec le statut du narrateur, l’utilisation de la structure traditionnelle de la traversée de la ville mais qui aboutit à une fin moralisatrice décevante. Ce jeune poète et dramaturge plein de talents aime jouer avec les rythmes ; il est un témoin fougueux du dynamisme de la scène artistique haïtienne.

Guy Régis Jr, Le Trophée des capitaux, La Roque d’Anthéron, Vents d’ailleurs, 2011, 158p.5 janvier 2012.///Article N° : 10582

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