S’il y a un artiste africain qui déstabilise ses contemporains dès lors qu’il s’agit de se définir musicalement avec des origines, marquées, qui figent, c’est bien Ray Lema.
Enfant, on le surnommait le mundélé n’dombe (le blanc noir) dans son pays, à cause de son engouement pour une musique supposée « blanche » par ses compatriotes et à travers laquelle s’alignaient Bach, Mozart et Beethoven dans le désordre. Adulte, son public, occidental en bonne partie, le préfère plutôt africain et typé dans ses délires multiples. En réalité, une seule chose l’obsède: trouver le meilleur son qui soit et le faire partager au plus grand nombre… de mélomanes. Il est musicien avant tout. Un musicien qui a sillonné le monde à sa manière (en diagonale) et qui a su s’enrichir au contact de l’Autre, avant de venir s’établir (définitivement? Ou occasionnellement… pour se ressourcer avant chaque nouvel album?) sous les lumières fatiguées de Paris la fière et de jouer les intégrés de la seconde heure (traduisez cette expression par la notion d’immigré accepté et respecté, parce que talentueux dans son domaine). Paris, lieu mythique, fait de rencontres diverses et variées, salue son courage et lui redonne toute la force de son inspiration. Résultat: le son de Ray Lema, atypique et multiforme, refuse de fait les subtils clichés qui figent.
L’homme est natif du Zaïre mais se refuse à reproduire le son clichétique du soukouss triomphant, façon fesse-qui-roulent… Il y a fait ses premières armes: une formation classique au piano dès l’âge de onze ans, peaufinée dans les paroisses de Kinshasa. Suivi d’une découverte des vertus de la guitare dans les formations locales, sur fond de rock et de rumba. Et d’une virée seventies dans les différentes ethnies du pays, qui lui a permis de parfaire ses connaissances en matière de traditions rythmiques… Il revendique haut et fort son africanité profonde. Mais comme tous les citoyens du monde qui se respectent, il déteste un certain repli identitaire, qui n’aurait de cesse de limiter (ghetto?) son apport à l’universel de la création.
Ouverte à toutes les influences possibles et inimaginables, son uvre, unique en son genre mais pluriel dans son discours, est donc à l’image de son parcours. Un parcours qui déroute… Un coup, on le croit en effet englouti par le rêve américain, pays où il enregistre son premier album, alors qu’il s’installe déjà à Paris prêt à y inventer le son parfait de la techno-soukouss. Le lendemain, au réveil, on se demande s’il va se laisser sublimer entièrement à Londres par Groucho son ingénieur du son jamaïcain. En fait, il est déjà de retour à Paris (c’est la town référence), en train de s’amuser avec une brochette de stars (Higelin, Dibango, Bashung…) sur son nouveau groupe, le « Bwana zoulou gang ».
Et le rêve du citoyen du monde continue… puisqu’il joue ensuite avec les Mahotella Queens d’Afrique du sud, s’aventure en duo avec le pianiste allemand Joachim Khun, s’empare du mystère des voix bulgares en compagnie du professeur Stephanov et de l’ensemble Pirin’, dirige la musique du « …Touareg qui s’est marié avec une pygmée », un spectacle de Were Liking et du groupe Ki-yi M’bock en côte d’Ivoire. La liste est longue. On en sortirait pas. On pourrait bien sûr citer un de ses plus grands rêves d’alchimiste du son… Il s’agit de « Green light », sorti l’an dernier… un chef d’uvre d’une modernité inattaquable, où l’harmonie et le rythme ne font vraiment plus qu’un.
Mais notre homme est tenace. Perfectionniste comme il est, il en veut toujours plus. Il s’est donc remis à l’uvre, en éternel insatisfait. Comme atteint d’une obsession, à la recherche -peut-être- du son de demain. Rien de plus normal, me direz-vous, pour un magicien qui ne défend en réalité qu’une chose: la science des vibrations. C’est ainsi que « Stop time », son dernier bébé -un pur délice- est né. Une pure merveille qui s’inscrit incontestablement dans la continuité la plus totale de son oeuvre. Même si certains gentils petits copains, prétendus plus africains que lui, continuent à penser (à tort probablement) que le « Monsieur » fait de la musique pour blancs. Une aberration comme une autre… Mais que voulez-vous? Puisque le monde continue de tourner, avec Ray Lema dans ses valises, depuis Paris.
« Stop time » est disponible chez Buda Musique.///Article N° : 182