Les soleils des indépendances, un roman fondateur

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À l’occasion du cinquantenaire des indépendances, le salon du livre invite quatorze écrivains des quatorze pays de l’ancien empire colonial français (1). Les Soleils des indépendances, premier roman de l’Ivoirien Ahmadou Kourouma, paru en 1968, résonnera sans doute dans les débats et rencontres. Véritable satire politique des nouvelles nations africaines, ce livre est devenu un classique de la littérature mondiale. À (re)lire sans modération.

Comme Le Monde s’effondre, ce beau roman du Nigérian Chinua Achebe, Les Soleils des Indépendances de Ahmadou Kourouma, met en scène un monde en décomposition n’offrant aucune issue à son antihéros : Fama Doumbouya.
Issu de la société aristocratique malinké, Fama Doumbouya est dépouillé de ses prérogatives par les autorités coloniales. Pour laver l’affront, il participe au mouvement de Libération nationale, en espérant sa réhabilitation, une fois les colons partis. L’indépendance acquise, Fama reçoit une carte du parti en guise de remerciements.
Récit du désenchantement national
Récit de la déchéance d’un homme, le roman d’Ahmadou Kourouma est aussi celui du désenchantement national. Huit ans après la décolonisation, Ahmadou Kourouma lançait un brûlot en montrant que les indépendances avaient accouché d’une souris. L’itinéraire kafkaïen de Fama le démontrant aisément. Pour avoir oublié de raconter son rêve aux autorités, Fama est accusé de complot contre le pouvoir. Incarcéré, libéré, puis gracié, Fama refuse le pardon du chef de l’État (une véritable farce) et opte pour un retour au village natal. Mais en passant la frontière, il désobéit à l’injonction des gardes du pont séparant la côte d’Ébène de la République du Nikaï. Poursuivi, il saute dans le fleuve et meurt dévoré par le crocodile sacré, pourtant l’animal totem de sa dynastie.
Afrique grise
Ce fait résume bien la fin d’une époque : celle où l’Afrique ignorait les frontières arbitraires. Mieux encore que le décès de Fama, c’est la stérilité de son épouse Salimata qui l’exprime symboliquement. Ce que décrit l’auteur ici, ce n’est pas tant la désillusion engendrée par les indépendances, que ce que j’appellerai l’Afrique grise. D’un côté, une Afrique romantique, qui se complaît dans sa grandeur coloniale ; de l’autre, une Afrique stérile, incarnée par la classe politique issue des indépendances. Se complaire dans une Afrique coloniale glorieuse, nous dit Kourouma est une folie ; croire en une Afrique indépendante prospère est une chimère. Toute cette Afrique grise, Ahmadou Kourouma nous la donne à lire dans une langue originale, qui consiste à introduire le phrasé malinké dans la syntaxe française, avec en prime une ironie épicée de proverbes. En un mot, Ahmadou Kourouma récrit l’aventure ambiguë de l’Afrique. Cette pertinente et impertinente méditation sur l’impasse africaine associée à l’originalité du ton fait des Soleils des indépendances un livre fondateur.

1. Chacun d’eux dialoguera avec un autre écrivain et une troisième personnalité en charge d’animer la rencontre, tous deux originaires du même pays mais vivant en France. Exemples : pour le Congo, Aimée Mambou Gnali discutera avec Alain Mabanckou et Henri Lopez ; pour le Togo, Kangni Alem rencontrera Kossi Efoui et Sami Tchak, etc. Pour certains pays l’écrivain de la diaspora sera remplacé par un cinéaste : Abderrahmane Sissako pour la Mauritanie, Mahamat Saleh Haroun pour le Tchad… Des rencontres inédites, des talents à découvrir !

Le Salon du livre se déroulera du 26 au 31 mars à Paris, Porte de Versailles – Pavillon 1, Boulevard Victor, Paris 15èmeAhmadou Kourouma, Les Soleils des indépendances, Points Seuil, Éditions du Seuil, Paris.///Article N° : 9316

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