Les super pouvoirs de la danse « dossavienne »

La Juju de la Compagnie Julie Dossavi

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Interprété par deux artistes, Julie Dossavi et Yvan Talbot, le spectacle de danse La Juju met en scène un large éventail d’émotions liées à l’histoire de la colonisation et des indépendances africaines, sur un fond de musiques subsahariennes des années 60 aux années 80. Elle : sportive, danseuse, actrice. Lui : compositeur, musicien, interprète. Avec cette dernière performance jouée en 2016 à Avignon, Montréal, Cerny, Cayenne et Paris, la compagnie Julie Dossavi nous présente une super-héroïne, épaulée par son majordome, en quête de justice mais aussi d’union entre continents et genres.

La Juju est un spectacle circulaire : il termine de la même façon qu’il a commencé. Une femme assise, de dos, torse nu, pagne africain aux hanches, porte sur ses cuisses un homme en slip, allongé, de dos lui aussi. Deux corps : une femme et un homme. En l’occurrence une femme noire et un homme blanc. Au fil du spectacle on comprendra qu’il s’agit des incarnations de l’Afrique et de l’Europe, l’une qui porte l’autre dans un mouvement opposé à celui des imaginaires communs.
La Juju, protagoniste homonyme de la pièce, est une super-héroïne africaine capable de traverser les époques et de se métamorphoser en écoutant l’orchestre béninois Poly Rytmo de Cotonou ou Gnonnas Pedro, ou encore le Nigérien Ebo Taylor. Du jazz, du highlife, de l’afrobeat de Fela Kuti et tout ce qui a pu accompagner les indépendances africaines : des sons militants, avec des textes revendicateurs.
Elle danse, parle, fredonne, crie, mais surtout elle déplace des montagnes d’air – plastique, légère et massive à la fois – elle se bâtit un espace et une histoire, incarne d’autres femmes. Mais il faut être deux, pour représenter ce qui a régi les rapports entre l’Occident et l’Afrique et faire face, ensemble, à une histoire commune exprimée par les corps.
En effet, à travers ses mouvements La Juju représente les différentes étapes de l’esclavage et de la colonisation avec le majordome-occident qui la tient par le cou aidé avec une laisse. Si elle se fâche et refuse de danser sur des rythmes de percussion imposés qui ne font pas partie de sa playlist, c’est parce que lui veut qu’elle soit un cliché. Si elle court avec une fausse épée à la main vers des ennemis imaginaires, c’est parce que l’homme qui l’a provoqué fait tout pour ne pas incarner l’objet de sa colère.
Le rapport dialectique ne se limite pas à ce duo entrelacs, mais implique le public, amené à intervenir par les appels à réponse que La Juju lance dans le noir de la salle.
Hors scène elle nous confie avoir conçu son spectacle lors de son retour au Bénin, son pays d’origine, après 20 ans d’absence. Elle nous parle alors de l’émotion que ce voyage lui a provoquée et des questionnements identitaires inhérents.
« Arrivée sur le sol du Benin, je voulais être une super woman, en plus moi j’adore les comix donc j’avais ramené plein de costumes« . D’ailleurs La Juju se présente vêtue d’habits aux couleurs criantes, culottes à taille haute, pataugas, soutiens gorge rouge luisant, poignets dorés et cheveux afro. Tout est personnel et universel à la fois chez elle : elle s’auto-célèbre en chantant dans la langue « dossavienne » inventée, enfant, avec son frère, mais elle incarne aussi la condition plus générale des femmes, avec leur pouvoir de porter et de donner la vie, leurs force et faiblesse. A un moment du spectacle la protagoniste tombe et fait mine de ne plus arriver à se relever, mais grâce aux encouragements du public et de son majordome elle y arrive. « Un peu fatiguée, elle prend de l’âge et à chaque mission elle en a marre et veut laisser tomber. Mais à chaque fois elle repart« . Hommage à deux luttes parallèles, La Juju est aussi un hymne à la complémentarité, le symbole de la réconciliation et du soutien mutuel entre l’Homme et la Femme, l’Europe et l’Afrique.

///Article N° : 13892

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© Grégory Brandel
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