« Liberté de papier »

Entretien de Sabine Cessou avec Zola Maseko, réalisateur

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Zola Maseko, 34 ans, est né et a grandi en exil. Il a étudié au Swaziland,en Tanzanie et en Grande-Bretagne (National Film and Television School de Beaconsfield). Il a fait partie de Umkhonto we Sizwe (MK), la branche armée du Congrès national africain (ANC). « Un film est une guerre et la guerre est un film« , écrit-il, en guise de profession de foi dans la présentation de sa société, Dola Bill Productions.

« Depuis que je suis revenu d’exil, en 1994, je n’ai pas travaillé. J’ai proposé des scénarios, mais l’industrie locale ne m’a pas donné de travail. C’est une maison de production indépendante qui m’a demandé de réaliser pour la télévision nationale la série In search of our roots, qui traite en douze épisodes des douze différents groupes ethniques du pays. L’Afrique du Sud a des problèmes uniques en leur genre. Quelque chose de vraiment fichu, à cause de l’histoire. Quoi qu’il en soit, c’est le seul pays que je connaisse où la télévision nationale diffuse 90 % d’images étrangères au lieu de remplir sa mission de célébration de la culture du pays. La South African Broadcasting Corporation (SABC) dépense un demi milliard de rands par an à acheter des sous-produits occidentaux.
Son objectif consiste à arriver dans dix ans à une proportion de 50 % de productions nationales et de 50 % d’images étrangères. Dans dix ans ! C’est fou ! La situation est telle qu’un mouvement de producteurs est en train d’envisager de saisir la Cour constitutionnelle pour mettre la SABC face à ses responsabilités. Certains projets ont été approuvés en 1997 et n’ont toujours pas été effectivement produits… Moi-même, je suis resté en plan avec deux projets de séries. L’un d’entre eux, Sophiatown Short Stories, proposait six épisodes sur la vie de ce quartier multiracial de Johannesburg dans les années 1940.
J’ai fini par décider d’oublier la SABC. Mon premier long-métrage de fiction sera financé par la maison de production britannique Nova Films. Mister Drum raconte la vie de Henry Nxumalo, l’un des plus grands journalistes d’investigation des années 1950, pendant l’ère du magazine Drum. Je l’ai proposé à Zwelakhe Sisulu, un journaliste noir et l’un des directeurs de la plus grande société noire du pays, New Africa Investments Ltd (Nail). Il n’a pas été intéressé. Il a confié le dossier à une Américaine qu’il a nommée à la tête de la division cinéma de son groupe. Elle l’a jeté à la poubelle…
Pour faire des films quand on est Noir en Afrique du Sud, il faut des financements étrangers. Voilà comment j’ai réalisé L’étranger en 1997, un court métrage financé par la chaîne franco-allemande Arte, et La Vénus Hottentot (The Life and Times of Sara Baartman) en 1998, financé par la télévision française (France 3). Cette année, je finis le tournage d’un nouveau documentaire, Les enfants de la révolution, qui suit à dix ans d’intervalle six personnages qui ont participé à la lutte contre l’apartheid et qui sont revenus de l’exil. J’ai obtenu 100 000 rands de notre nouvelle Fondation nationale du film et de la vidéo (NFVF), ce qui m’a permis de tourner. J’irai chercher les 200 000 rands nécessaires à la post-production en allant montrer les rushes à l’étranger.
Tous les fims qui ont été tournés sur nous, Sud-Africains noirs, l’ont été par des Blancs. Jamais par nous. Maintenant que nous avons les moyens de raconter nos propres histoires, elles n’intéressent plus personne. Mes frustrations montrent sans doute à quel point rien n’a changé. La majorité des films produits par la nouvelle Afrique du Sud sont blancs. Pourquoi ? Les Noirs n’ont aucun accès aux moyens de production, qui se trouvent toujours aux mains de la minorité blanche.
Aujourd’hui, nous ne sommes libres qu’en apparence. Nous luttons toujours pour le droit de nous représenter nous-mêmes. Je ne dis pas que la culture est plus importante que le logement, l’eau, l’électricité, l’école… Je dis que la culture est un aspect très important d’une nation. Qu’est-ce que nous avons, nous, Sud-Africains noirs ? Rien ! Tout ce que nous avons, c’est notre culture, notre histoire. Notre richesse est là.
Du reste, l’Afrique du Sud n’est pas un pays pauvre, mais nous ne dépensons que 0,08 % de notre PNB dans les films – 10 millions de rands cette année pour tout le pays, alors que le budget de mon long-métrage s’élève à 21 millions de rands… Je ne sais pas pourquoi le gouvernement n’a pas fait plus. Est-ce qu’il s’en fiche ? Nous nous sommes battus toutes ces années, en exil et dans le pays, pour la Charte de la liberté. Des gens sont morts et ont été torturés pour la Charte de la liberté. Dans ce texte, adopté en 1955, tout était écrit noir sur blanc. Il y avait là la vision du pays tel que nous le voulions. Il était notamment dit que « les portes du savoir et de la culture doivent s’ouvrir ». Tout est resté lettre morte, sauf le droit de vote. Si l’on m’avait dit d’aller me battre pour le droit de vote, j’aurais répondu : allez vous faire foutre ! Nous nous sommes battus, nous avons été tués et torturés pour la Charte de la liberté. Maintenant, c’est chacun pour soi. »

///Article N° : 1888

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