Loving, de Jeff Nichols

Eloge de l'intime

Print Friendly, PDF & Email

Cinquième long métrage de Jeff Nichols, présenté en compétition officielle au festival de Cannes 2016, Loving évite tous les pièges de la reconstitution historique et du film-dossier. Simple et sensible, il confirme l’immense talent d’un réalisateur qui jusqu’ici avait privilégié le mystère et le fantastique.

Voici donc Mildred et Richard Loving. Les premières images du film devraient être étudiées dans les cours de montage : premier plan sur le visage de Milfred, deuxième plan sur le visage de Richard, troisième plan sur leurs deux visages, quatrième plan plus éloigné où ils sont assis sur le porche de leur maison, les jambes pendant dans le vide. Une telle sobriété, d’une extrême douceur dans la lumière du soir, vous envahit avant même que le récit ne commence. Ces plans préparent une simple phrase : « Je suis enceinte ». Bagnoles, projet de mariage, un terrain pour la maison, quelques regards en coin mais rien que du quotidien jusqu’à ce que cette douce idylle soit brutalement interdite de vie commune par l’Etat de Virginie car Richard est blanc et Milfred est noire. Le film change de registre, la dureté du filmage répond à la brutalité des policiers. Ce sont les corps qui parlent. Et c’est ainsi que la tension est extrême.

Ben Rothstein © Big Beach, LLC

La grande Histoire, celle de la lutte pour les droits civils dans l’Amérique ségrégationniste, rattrape le couple à son insu, et la bataille sera longue mais victorieuse : Loving v. Virginia, un arrêt de la Cour suprême des États-Unis rendu le 12 juin 1967 déclare, à l’unanimité des neuf juges, anticonstitutionnelle toute loi apportant des restrictions au droit au mariage en se fondant sur la race des époux. Le film est époustouflant de finesse et d’intelligence dans son traitement : épure, ellipses, absence de pathos, dynamisme de la mise en scène, sensibilité pour les paysages du Sud américain, simplicité des personnages, délicatesse de leurs rapports. A l’inverse d’un film taiseux aux héros si sûrs d’eux, Loving sait au contraire faire percevoir en marquant les silences et en se rapprochant des visages les effets du racisme sur un couple ordinaire dont le seul crime était de s’aimer sans avoir la même couleur de peau et de vouloir faire des enfants. Les Loving sont des militants malgré eux, et ne se présenteront pas à la Cour suprême car cela les dépasse. Jeff Nichols expédie ce procès historique en quelques références alors qu’il met longuement en scène le premier procès où le couple plaide coupable pour éviter la prison. En respectant ainsi le fait que cette mémorable affaire était une affaire privée de gens simples qui ne cherchaient pas à être exemplaires, Nichols tourne le dos au système des acmés hollywoodiens idéalisés pour se rapprocher du véritable enjeu de la mémoire : sentir la force de la résistance au quotidien.

 

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
Les images de l'article





Laisser un commentaire