Deux mois avant le festival, le 16 août 2019, les Journées cinématographiques de Carthage (JCC) ont perdu, leur directeur, soudainement terrassé par une crise cardiaque. Un vibrant hommage lui a été rendu durant cette session qui a porté son nom, mais qui était Nejib Ayed ?
Une couverture noire pour le catalogue, des badges à son effigie, des hommages dans les journaux et lors d’une émouvante cérémonie, une présence dans toutes les prises de parole… Cette 30ème session des JCC a porté le nom de celui dont cela devait être la troisième édition en tant que directeur. Avec lui, les JCC perdent un homme aussi engagé que compétent mais aussi un des derniers défenseurs d’une vision panafricaine du festival.
C’est en effet dans l’esprit du fondateur des JCC en 1966, Tahar Cheriaa, qui les avaient pensés avec Sembène Ousmane, que Nejib Ayed indiquait vouloir revenir aux fondamentaux. Pour lui, deux priorités pour ce festival devenu annuel : la présence accrue du reste de l’Afrique alors que prédominait le monde arabe mais aussi, dès 2017, une ouverture tricontinentale avec des focus sur des pays d’Amérique du Sud, d’Afrique et d’Asie. C’est ainsi que l’Afrique du Sud était à l’honneur en 2017, le Sénégal en 2018 et le Nigeria cette année.
Le panafricanisme défendu par Tahar Cheriaa était internationaliste et anti-impérialiste. C’est dans cette perspective que se situait Nejib Ayed qui avait rejoint le mouvement des ciné-clubs dès le lycée, jusqu’à présider la Fédération Tunisienne des ciné-clubs dans les années 70, une association rebelle et progressiste comme l’était la Fédération des cinéastes amateurs à laquelle il avait également participé. Etudiant, il s’était engagé dans la lutte étudiante pour la démocratie. Pour lui, dans une Tunisie où les opinions et les gestes étaient surveillés, le changement par la culture précédait le changement politique. Le cinéma était dès lors un vecteur de dissidence et la culture un moyen de lutte au quotidien.
Il fut également à cette époque critique de cinéma au journal « Le Temps » puis responsable de la Culture dans la revue « Réalités » et animateur dans les festivals de Carthage, Hammamet et Tabarka. Dans les années 80, il devient directeur à la SATPEC, société de production que le président Habib Bourguiba avait créée en 1964 pour prendre en charge les actualités tunisiennes. Il sera ensuite successivement PDG de Tunisia Film International et de « Les Artistes Tunisiens Associés ». Sans quitter la présidence du Festival international du film pour l’enfance et la jeunesse (FIFEJ) de Sousse, il fera ensuite une carrière de producteur indépendant avec Cinetelefilms et surtout Rives productions dans les années 2000 : de nombreux films mais aussi des feuilletons à succès pour la télévision nationale tunisienne. Il sera appelé à la direction des JCC à partir de 2017. Ce qui aurait dû être sa troisième édition en tant que directeur général porte son nom.
Exigeant mais à l’écoute, il a fait confiance à de nombreux jeunes qui lui en sont reconnaissants. Il laisse une équipe sous le choc de sa perte mais mobilisée pour poursuivre son œuvre. Sa veuve, Najet Nabil, a annoncé la création de la fondation Nejib Ayed pour la culture et le cinéma.