C’est l’histoire d’un homme-laboratoire. D’un homme qui cherche, qui explore, qui ne se contente pas de l’existant. D’un homme qui tente d’impulser de nouvelles pratiques artistiques dans son pays. C’est aussi, à travers lui, un fragment de l’histoire de la danse contemporaine au Mozambique.
L’histoire artistique de Panaíbra Gabriel Canda débute à la Casa Velha (Vieille Maison) de Maputo, un lieu culturel où se mêlent représentations et formations de jeunes aux arts de la scène. Panaíbra y apprend le théâtre. Il aime à se mouvoir sur l’espace scénique, à voir son corps se déplacer en jeu avec les autres corps, mais il se sent mal à l’aise dans l’incarnation des personnages. Il voudrait une plus grande liberté de mouvements, et il voudrait rester dans sa propre peau. Il se tourne alors vers la danse, qui lui semble ouvrir de plus grandes possibilités.
Mais la danse qu’on lui enseigne est celle des grands maîtres du pays, chargés de perpétrer la tradition de leur province. Les mouvements sont codifiés, répétés, millimétrés, imperturbables miroirs du passé. C’est pourtant bien au présent que Panaíbra vit, dans une ville qui a ses propres espaces, dont les corps ont leurs propres modes d’interactions. C’est cette réalité-là qu’il aimerait exprimer.
Qu’à cela ne tienne ! Il réunit quelques amis danseurs et monte un groupe informel de recherches et d’improvisation, en quête de nouveaux mouvements, de nouveaux rapports au corps et à l’espace. Nous sommes en 1996. Maria Helena Pinto et Augusto Cuvilas, le couple mythique de la danse contemporaine mozambicaine, n’ont pas encore ramené de Cuba et de France les pratiques qui vont bousculer le milieu de la danse ; Panaíbra et ses amis sont seuls avec leurs doutes et leurs expérimentations.
L’année suivante, une opportunité s’offre du côté du Portugal : Panaíbra est invité à Lisbonne aux Rencontres lusophones Danças na Cidade. Il y rencontre des chorégraphes et danseurs aux pratiques hétéroclites, un monde s’ouvre à lui. Durant deux ans, il fait des allers-retours avec l’Europe, regarde, écoute, apprend.
Mais cela ne lui suffit pas. Il veut avancer dans son propre pays, imaginer ses propres créations, travailler avec son propre groupe d’amis, qui a désormais un nom, Culturarte.
Qu’à cela ne tienne ! Ils montent en 2000 un spectacle hybride A Opera do Tambora, mélange de danse et de théâtre, qui laisse le public « maputois » pantois…
Les deux années suivantes sont marquées par une volonté d’impulser parmi les danseurs et chorégraphes du Mozambique une vision innovante de la danse et de l’activité corporelle. Panaíbra monte un partenariat avec les Rencontres Danças na Cidade qui l’ont accueilli au Portugal et invite des professionnels de différents pays à proposer des interventions et workshops à Maputo. Il espère que la découverte de ce qui se fait ailleurs donnera envie aux jeunes mozambicains d’explorer de nouveaux horizons.
Mais ce qui se fait ailleurs n’est pas ce qui se fait ici. Les jeunes sont contents de savoir ce que font « les étrangers », ils écoutent et s’intéressent, mais cela ne remet pas en question leur pratique personnelle. Les temps d’échanges sont trop courts.
Panaíbra cherche un autre moyen d’impulser une dynamique
Il a besoin d’aide.
Qu’à cela ne tienne ! Il organise en 2003 un séminaire qui doit répondre à la question « Comment enseigner/impulser la danse contemporaine dans un contexte africain ». Pour y réfléchir, sont conviés une dizaine de personnes : des chorégraphes du Burkina-Faso, du Congo et d’Afrique du Sud et quelques opérateurs européens ayant travaillé dans ce domaine en Afrique. Sans oublier quelques activistes de la danse contemporaine du Mozambique, comme Maria Helena Pinto, tout juste rentrée de France, qui monte des spectacles avant-gardistes avec la Compagnie nationale de chant et de danse, et qui créera l’année suivante le Centre de recherche chorégraphique.
Ressort de ce brainstorming l’idée de monter des cycles de formations sur six mois, à temps plein, afin d’éviter la dispersion et la discontinuité qui ont limité les effets du programme d’échange précédent. De fin 2004 à début 2005 sont donc formés une quinzaine de jeunes, sélectionnés sur audition et bénéficiant d’une bourse leur permettant de se consacrer uniquement à leur apprentissage. Le programme est divisé en trois phases : 1. conscience corporelle, corps et espace ; 2. techniques corporelles, improvisation, mouvements ; 3. travail créatif.
Fin 2005, l’heure du bilan a sonné. Panaíbra réunit les jeunes qui ont été formés : il veut savoir où en est leur parcours professionnel, si la formation leur a été utile
Mais elle ne l’a été qu’à moitié. Les jeunes ont des difficultés à trouver du travail, et manquent d’occasions de mettre à profit leur apprentissage et leurs idées.
Qu’à cela ne tienne ! Ils décident de monter ensemble un spectacle formé de petites créations de quinze minutes. Douze des danseurs ont déjà des idées. Il leur reste à acquérir les compétences pratiques : rédiger un projet, le monter, le financer, le produire
Un complément important à leur formation artistique. Le projet aboutit à une mostra étalée sur trois jours (quatre spectacles par jour), nommée Plateforme de danse contemporaine, présentée au Centre culturel franco-mozambicain. Cette plateforme sera de nouveau proposée en 2007 et deviendra à partir de 2009 la Biennale de danse contemporaine Kinani, plus vaste, réunissant des artistes du Mozambique et de l’extérieur.
En 2007 une deuxième session de formation de six mois est organisée. Mais l’initiative s’arrêtera là : une fois encore, Panaíbra n’est pas satisfait. Les jeunes formés n’ont pas d’avenir professionnel : manque de public, manque de lieux de diffusion, manque de moyens
le secteur de la danse n’est pas assez structuré pour absorber les nouvelles recrues.
Qu’à cela ne tienne ! Culturarte décide de mener des actions de lobbying auprès du gouvernement, pour obtenir un soutien financier aux arts de la scène. La compagnie embauche durant un an un juriste chargé de rédiger une proposition concrète, traduisible en loi, pour la création d’un fonds gouvernemental d’appui aux expressions artistiques. Jusqu’ici le gouvernement se contentait d’attribuer des prix récompensant les artistes et uvres de l’année, dans chaque discipline. L’idée proposée par Culturarte se base sur une politique d’encadrement du mécénat d’entreprise, comme pratiquée au Brésil : le soutien aux activités artistiques se traduit en exonérations d’impôts, mais un pourcentage du projet soutenu va à la création d’un fonds géré par l’État, qui le répartit de manière équitable entre les différents arts. Ce qui permet aux arts moins populaires et soutenus que la musique, par exemple, de bénéficier d’un peu de soutien. La proposition a été remise au gouvernement, qui a déposé une loi à l’assemblée
qui n’a toujours pas été votée.
En attendant, la création mozambicaine évolue. Petit à petit, le pays se fait sa place sur la scène contemporaine internationale. Panaíbra se donne un peu de temps pour se concentrer sur son travail artistique. Mais il ne s’accorde qu’un court répit. Il réfléchit déjà à un moyen de palier au manque d’équipements culturels « à taille humaine » de la ville de Maputo, qui ne compte que d’immenses salles datant de l’époque coloniale, impossibles à rentabiliser aujourd’hui.
À quoi cela tiendra-t-il ?
///Article N° : 10901