Parler de banlieue ou bien langue française ?

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Djamel Debouzze le comique explose sur les écrans français. A la télé, au cinéma et même dans les grosses salles de spectacles, il expose son show verbal. En littérature, Rachid Djaïdani dépasse les 40 000 exemplaires au Seuil avec son roman-témoignage sur les angoisses des cités (« Boomkeur« ). Le Figaro l’a encensé, Pivot l’a reçu dans son fameux « Bouillon de cultures ». En musique, la tendance a pris depuis belle lurette, grâce au flow sans mesure du hip-hop. On parle donc désormais d’une esthétique du langage, issue des banlieues françaises, qui seraient contrôlées à plus de 50% par les enfants issus de l’immigration. Guérillas d’accents et de mots, tchatche nerveuse et colorée, détournements de syntaxes, apocopes et métonymie du quotidien… Les bouquins et les thèses affluent sur la question. Les institutions s’apprêtent à analyser et à stigmatiser cette nouvelle respiration de la langue.
Il est une chose qui se discute cependant. Certes, les citées bousculent la langue et l’enrichissent. Mais en quoi serait-ce une nouveauté dans le parler français ? Les gosses de banlieues, qui empruntent aussi bien à l’arabe, au bambara, au gitan qu’au vieil argot franco de port pour fabriquer leur « tchatche », ne font que prolonger une tradition vivante présente dans toutes les langues du monde. A Abidjan, on a beaucoup glosé sur le français de Moussa. A Yaoundé, le pidgin cameranglais continue d’imposer sa patte dans les conversations. L’anglais des faubourgs n’est jamais celui d’Oxford. Et à Brooklyn, on ne parle guère comme à Beverly Hills. Rien que de très normal. Il n’empêche qu’on a voulu depuis quelques années construire tout un discours qui indexe les jeunes de banlieues. Pourquoi ?
Toute population, tout milieu, toute famille… à échelle plus ou moins réduite s’invente son sabir, censé véhiculer les vérités cachées, les angoisses et les émotions les plus fortes. En fait, s’il y a lieu de s’interroger sur la banlieue, toujours assimilée à un nid d’immigrés, d’origine africaine surtout, et sur son aptitude à faire évoluer la langue française ou non par son parler cash, c’est parce que la langue, qui demeure un des symboles forts de l’identité, permet de réinventer le fossé qui existe entre les banlieusards de mauvais teint et les Français bonne tête. Il fut une époque où l’argot français était mis sous contrôle par le monde marginal des malfrats et des besogneux. De là à penser que la jeunesse issue des banlieues de l’immigration africaine incarne un monde de malfrats et de besogneux dans le siècle finissant…
Qu’on le veuille ou non, la France des banlieues reste la France. Les rejetons de la diaspora noire ou blanche d’Afrique installée dans l’Hexagone sont de nationalité française. Ailleurs, dans les pays d’origines de leurs parents, ils ne sont souvent plus chez eux. Et s’il est vrai qu’ils poussent les linguistes à la réflexion, ce n’est pas du tout en tant qu’étrangers à la réalité française mais plutôt en tant que citoyens à part entière… même si issus d’une immigration étrangère. Djamel le fils de Marocains rappelle Coluche, Rachid Djaïdani de souche algéro-soudanaise se veut héritier de Céline et de Frédéric Dard et les rappeurs de parents afro-antillais prolongent Gainsbourg et Aristide Bruand. La tradition est sauve. En plus, cela rapporte. Aux concernés, aux maisons d’éditions, aux producteurs. Tout un « nessbi« * franco-français (celui-là !) s’est établi grâce à eux. Mais quand il s’agit d’argent, c’est bien connu, on ne se pose pas de questions : ni sur la couleur, ni sur l’origine. Le français retire une nouvelle force du mélange des cultures et des communautés, la France de l’intégration (appellation contrôlée) devrait en être fière, et non continuer à pointer du doigt. Il n’y a guère longtemps, l’opinion publique française s’était laissée embarquer dans des amalgames du genre « banlieues = enfants d’immigrés = violence ». Ces sous-entendus ne résultent-ils pas d’une logique permanente de l’exclusion de l’Autre ?

*Djamel en tournée joue à la Cigale, passe sur Canal+. Rachid Djaïdani était à l’IMA pour un débat sur le thème « Savoirs et esthétiques des banlieues ».///Article N° : 1073

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