Quelle sortie discrète pour un film qui a fait un tabac aux Etats-Unis, devenant un film-culte pour la communauté noire ! Quelle timidité pour un réalisateur dont La Récolte de 3000 ans est un des grands classiques du cinéma africain ! Pourtant, Sankofa est une intéressante réécriture de l’histoire de l’esclavage africain. Alors que les présentations hollywoodiennes privilégient l’aliénation corporelle et spirituelle des esclaves, les rendant témoins passifs d’un système inhumain, Sankofa en fait les acteurs contradictoires et dynamiques d’une lutte de libération.
Sankofa est, sur la côte du Ghana, le joueur de tam-tam qui invoque les esprits. En langue akan, sankofa signifie aussi » retourner au passé pour aller de l’avant « , c’est-à-dire » revenir sur son passé pour l’arracher à l’oubli et pour ensuite se tourner vers le futur « . Mona, une modèle afro-américaine, se retrouve possédée par les esprits qui hantent la forteresse de Cape Coast, au Ghana, où furent embarqués des milliers d’esclaves. Elle remonte douloureusement dans le temps et devient Shola, esclave dans une plantation de sucre, victime des sévices de son maître. Des événements dramatiques la pousseront peu à peu à prendre son destin en mains et à refuser l’oppression.
Mona, qui s’affirme Américaine sans référence à sa négritude, ne pourra construire son identité qu’après avoir habité mentalement le corps et l’âme de son ancêtre esclave et en avoir vécu la lutte. Le passé vient nourrir le présent en une spirale continue – sankofa – et éclaire les liens unissant l’Afrique et la diaspora noire. Un récit non-linéaire, les histoires dans l’histoire, les répétitions, les différents niveaux de musique et de voix, l’emploi d’éléments mythiques comme un busard pour les transitions et un certain lyrisme fortifient une lecture culturelle : rétablissant l’origine africaine de la diaspora noire, Guérima fait de l’Histoire une référence identitaire.
Sans doute est-ce à la fois la force et l’ambiguïté de ce film : l’affirmation lyrique de la dignité des valeurs de la culture noire dans laquelle le public noir-américain s’est reconnu peut apparaître par trop démonstrative voire didactique et figée à d’autres. S’il est primordial de puiser dans la lutte originelle l’énergie d’une affirmation contemporaine, une uvre risque en magnifiant les valeurs passées de les mythifier. Vieux problème de la Négritude… Sankofa cependant, s’il assène clairement un message, joue de finesse avec ses personnages en faisant notamment de Joe, le métis d’une esclave et d’un tortionnaire, une figure centrale. Déchiré par la recherche de son origine, il refusera dramatiquement sa filiation avant de la revendiquer au risque de sa vie. Son choix éclaire un film puissant qui ne peut laisser indifférent.
1993, 2 h, avec Oyafunmike Ogunlano(Mona), Mutabaruka (Shango), Alexandra Duah (Nunu), Nick Medley (Joe).///Article N° : 1302