Trois femmes puissantes

De Marie Ndiaye

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« L’art de Marie Ndiaye apparaît ici dans toute sa singularité et son mystère. La force de son écriture tient à son apparente douceur aux lentes circonvolutions qui entraînent le lecteur sous le glacis d’une prose impeccable et raffinée, dans les méandres d’une conscience livrée à la pure violence des sentiments »
Cette quatrième de couverture du roman de Marie Ndiaye, met le doigt sur l’écriture qui la caractérise en effet ; une écriture qui agit comme un charme, ou comme un envoûtement ; à d’autres moments comme un prurit, ou comme une incantation. Avec ses phrases qui avancent et s’étirent, se modelant sur la pensée qui propose, hésite, se reprend, nuance, rajoute… tout un travail pour aboutir à l’expression exacte de sentiments complexes à énoncer.
Ici, les trois femmes évoquées ont en commun « qu’elles disent non ». Et en cela elles ne sont pas très différentes de Rosy Varte, cet autre roman de Marie Ndiaye datant déjà d’une dizaine d’années.
À propos de ce roman ancien où se morfondait une femme seule avec sa fille, dans l’entresol médiocre d’une ville de province, nous avions songé à la manière de procéder de Nathalie Sarraute, si parfaitement assimilée par Marie Ndiaye, et s’inscrivant dans la foulée du Nouveau Roman, comme son illustre modèle. – parfaitement française. – Est-ce que quelque chose a changé avec ce dernier ouvrage ? Oui et non.
Il est vrai que les héroïnes cette fois sont africaines.
Mais encore ? – Certes Marie Ndiaye est métisse et l’on est tenté d’y voir une influence sur l’origine de ces femmes, comme elle, venant du Sénégal. Tout comme on s’est souvenu du père de Marie Ndiaye, lorsqu’elle a écrit sa très belle pièce Papa doit manger (qui fut inscrite au répertoire de la Comédie Française).
Cette pièce cependant avait un relief, toute autre que cette autre, Les Serpents, si terriblement ennuyeuse dans son terne symbolisme.
De même, alors que Rosy Varte ou La Sorcière, se lisaient sans passion aucune, toute autre est le ressenti, à la lecture de ce Trois femmes puissantes.
Et l’on se demande pourquoi ?
Il s’agit bien de la même écriture, le style de Marie Ndiaye n’a en rien changé. Seul son sujet.
Alors comment se fait-il que l’histoire de Norah, sa mère et sa sœur, larguées par un mari cruel qui retourne au Sénégal avec son fils de cinq ans, prend sous la plume de Marie Ndiaye l’allure d’un troublant psychodrame ?
Comment se fait-il que l’équipée de la pauvre Khady Demba en route pour une migration vers l’Europe, se transforme en véritable cauchemar ?
Rien à voir avec l’aimable Madame Ba inventée naguère par Éric Orsenna, et qui par sa bouche, se plaignait auprès du président français. – Il n’est pas si facile je vous assure d’entrer ainsi dans la peau, dans la tête, dans le cœur, d’une personne d’une autre race, d’une autre histoire, d’une autre condition sociale.
Certains disent que le prix Goncourt fut donné à Marie Ndiaye parce qu’elle était « africaine », et que la mode est à la diversité culturelle et aux Pays du Sud.
Mais tant d’écrivains africains les posent eux aussi, les problèmes de l’émigration et ceux des « Pays du Sud » ?
Pourquoi elle ? C’est que la force des textes de Marie Ndiaye, leur intensité, leur âpreté, sont sans commune mesure avec ce qui fut écrit jusqu’ici sur ce sujet.
C’est un prix Goncourt mérité, indépendamment des calculs politiques ou médiatiques.
Je me demande comment cette dame, « entièrement française » comme elle se définit, est arrivée à écrire ces histoires africaines si chargées de souffrances qu’on les dirait vécues ?
Comment d’une héroïne si dérisoire, comme Khady Demba, elle parvient à faire jaillir « l’inaltérable part d’humanité » ?
Il n’y manque même pas le fantastique (d’aucuns diraient l’animisme) présent partout sous la forme inquiétante d’oiseaux maléfiques et agressifs plus ou moins totémiques de certains personnages ; ainsi les corbeaux alliés du Nègre qui conduit Khady vers l’exil, ou la buse (alias Fanta) qui poursuit de sa vengeance le mari qui l’a insultée, ou encore ce gros volatile en qui le père de Norah se transforme la nuit, pour dormir perché sur son flamboyant.
Je vois mal un écrivain français introduire de tels détails dans un roman sur l’Afrique.
Ou alors peut-être un ethnologue…
Mais ne me faites pas dire ce que je ne dis pas : Je dis seulement ceci : Marie Ndiaye est une femme très puissante. Et j’ajouterai que sa puissance de style se décuple lorsqu’elle touche à l’Afrique !
L’explique qui pourra.

Trois femmes puissantes, Marie Ndiaye, Ed. Gallimard, 2009, Paris///Article N° : 9012

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Un commentaire

  1. « Rosy Varte », vraiment? Marie NDiaye scénariste de Maguy? Incroyable! Sans doute s’agit-il de Rosie Carpe?
    De même, imaginer qu’elle doit son prix Goncourt à son « africanité » est non seulement réducteur, mais presque insultant.

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