La Camerounaise Sally Nyolo est chanteuse, musicienne et productrice de Tribal Production. Rien ne l’arrête pour continuer à faire connaître le rythme bikutsi à travers le monde. Elle réussit non seulement à pérenniser ces sonorités dans ses divers titres, mais aussi à les valoriser par la production de talents émergents.
Vous venez de mettre sur pied un studio d’enregistrement à Yaoundé, Tribal Production. Dans quel objectif ?
C’est mon cur qui m’a poussé à venir créer une structure de production à Yaoundé. J’aime mon pays et n’ai jamais cessé de l’aimer, puisque même à travers mon art, c’est l’esprit de mon pays que j’ai toujours défendu. Mais il n’est pas facile de représenter l’esprit de tout un pays qui a une diversité culturelle aussi grande que le nôtre. Aussi, je n’ai pas la prétention de dire que je suis la Camerounaise qui représente le mieux son pays, mais je peux quand même dire que je suis l’une des Camerounaises qui adore son pays. C’est donc cet amour qui m’a motivé, l’amour de mes compatriotes, celui de ma terre, et surtout celui de ma culture, de mes parents qui m’ont permis à l’âge préadolescent de pouvoir » garder en bouche » ma langue maternelle, l’éton, et de pouvoir » garder en tête » le sublime esprit que peut comporter la langue beti. Je reviens donc aujourd’hui avec les difficultés que connaît l’artiste non seulement au Cameroun mais à travers le monde parce qu’on sait très bien que l’art est éphémère tant qu’on n’a pas fait ses preuves concrètement, on peut se retrouver du jour au lendemain sans rien du tout, et c’est ce qui guette tous les artistes du monde. Donc, je n’ai pas attendu d’être confortée d’avoir quelque chose. On dit que petit à petit l’oiseau fait son nid, et petit à petit, je me suis donnée les moyens de mettre de côté de petites économies pour venir entreprendre un rêve que j’ai longtemps caressé, que je nourris, celui d’un retour au Cameroun. Et où je ne croise pas les bras, parce que je ne suis pas une femme qui peut se croiser les bras. Ça fait longtemps que je me produis, que je produis mon art et s’il fallait revenir au Cameroun, il s’agirait alors de venir produire pas seulement pour Sally Nyolo, mais pour mes pairs, mes frères et surs, la musique, la culture, l’esprit du Cameroun. Et pour mieux le faire, il n’a pas fallu que je crée un exode des jeunes talents, mais de venir installer ici même à Yaoundé, une structure dans laquelle je pouvais développer quelque chose d’intéressant, où tout le monde aurait pu se retrouver et moi justement la première.
Pouvez-vous nous présenter cette structure et quelles sont ses particularités ?
Il existe deux espaces à l’intérieur de Tribal Production. La pièce qui se trouve à l’extérieur de la résidence est le studio d’enregistrement où on fait du Re-Recording. C’est le studio qu’on met en place pour accueillir tous les artistes du Cameroun qui ont le potentiel d’assurer la relève de nos cultures, de notre patrimoine culturel. J’entends par là, ceux qui s’intéressent non seulement aux instruments acoustiques, mais à un certain savoir-faire qui n’existera plus si on ne se penche pas là-dessus, si on n’a pas envie de les répertorier. De l’autre côté, dans la cour de Tribal Production, nous avons un local de répétitions, ce sera notre petite école, qui va accueillir des jeunes soucieux d’apprendre à fabriquer nos instruments de musique traditionnelle tels que le mvet (guitare à calebasses), le balafon, le nkul (tam-tam) et tous les autres instruments traditionnels du Grand Nord, de l’Est, de l’Ouest, bref de tous les quatre coins du Cameroun. Pour la formation, des maîtres détenteurs de ce savoir-faire viendront dispenser un enseignement à ces jeunes qui auraient payé une cotisation symbolique car, pour avoir quelque chose, il faut faire un pas, un geste et au bout de la chaîne, vous trouverez quelqu’un qui voudrait bien vous apprendre quelque chose. Cet atelier local a été créé pour apprendre à confectionner et à jouer aux instruments qu’ils auraient à fabriquer eux-mêmes avec le Tribal Production. A l’intérieur, le studio abrite aussi un studio ambulant, » Le Tsogo Studio « , composé d’un matériel transportable avec lequel on va sillonner tout les quatre coins du Cameroun pour enregistrer les groupes qui sont dans les régions enclavées.
Avec les difficultés que connaissent les artistes et les différents acteurs du milieu, pensez-vous que ces structures ont un avenir ?
Elles ont certainement un avenir. Je suis partie sur la base de » volet « . Volet, parce que le projet que je suis venue réaliser est celui d’une collection de compilations qui va donner un visage et sera une sorte de vitrine de la musique, des cultures et du patrimoine culturel camerounais. Si le Cameroun arrive à développer son potentiel, je crois que non seulement on arrivera à attirer des marchés vers nous, mais on arrivera à balancer plus justement l’économie interne de notre marché de la Culture qui est encore à développer complètement.
Avez-vous déjà produit des talents locaux depuis votre installation ?
Oui, Maman Andela que je suis depuis quelques années et avec qui j’ai enregistré un titre, Bebela » Vraiment « , dans l’album beti. Maman Andela fait partie » des têtes de gens » à renom et même si elle n’est pas connue ici, elle l’est à travers le monde. Il y a la voix du Cénacle, qui est une référence dans la musique religieuse, j’ai composé un morceau où nous chantons en duo, il y a Mr Eddy, qui pour moi est un grand auteur compositeur à la thématique sociale, et Guéyanka, avec son titre » Souries-moi « ,qui est une artiste hors pair parce que sa voix est extraordinaire. Elle a une capacité de faire des gammes. Pour moi, elle est un mélange de Myriam Makéba, en passant par Mary Done, avec des références à Ella Fitzgerald et dans sa voix, on entend plein de choses qui ne sont pas forcément camerounaises, mais c’est une bonne artiste camerounaise. Il y a aussi B-Join Sister, un petit groupe de jeunes filles, qui ont déjà un potentiel et la fibre ; elles chantent en éton et c’est certainement la relève de Maman Andela. Ainsi que Mandeng, détenteur d’un savoir chanter de nos histoires, des comptines de nos esprits, et Les Black III qui ont fait une reprise hip hop de » Tam-tam « , un de mes morceaux de l’album » Tribu « .
Dans quelles conditions se négocient les contrats avec les artistes ?
Pour le moment, le volet n° 1 sera fait sur la base d’un contrat moral ; je suis passée à la CMC (Cameroon music corporation) pour déposer toutes les uvres des auteurs compositeurs pour les garantir des attributions et des répartitions des droits d’auteur. Pour le reste, on va faire des contrats d’artistes quand il s’agira de faire des albums. Au niveau des compilations, on a un juriste-conseil qui suis l’affaire de près et dans la démarche. Et puis même l’expérience que j’ai acquise en Europe va nous servir ici pour aider les jeunes et moins jeunes à comprendre comment peut fonctionner le marché du disque et comment on peut développer une économie de l’art.
En dehors de la production, où en sont vos projets ?
J’ai l’intention de travailler sur l’art au Cameroun, avec toutes les expressions artistiques du terroir. Il faudrait juste trouver des ponts pour que toute cette diversité culturelle locale se trouve poussée par ce qu’aura apporté » Tribal production « .
///Article N° : 3881