Restituer le patrimoine africain. Par cet ouvrage, publié fin novembre, à l’issue d’un rapport commandé par le président de la République française, Felwine Sarr, auteur et professeur d’économie, et l’historienne de l’art Bénédicte Savoy, invitent à reconsidérer les modalités d’appropriation d’œuvres issues du continent africain, spoliées pendant la période coloniale et conservées, aujourd’hui, dans les musées français. Mais ils ouvrent également un questionnement plus global sur les relations à réinventer, plus équilibrées, entre la France et l’Afrique. C’est dans ce contexte que s’est ouvert, jeudi 5 décembre, par un texte de Felwine Sarr, le Musée des civilisations noires à Dakar. Son texte, Traces. Discours aux nations africaines, est adressé, comme Restituer le patrimoine africain, à la jeunesse africaine. Il est interprété par Etienne Minoungou. Le comédien burkinabè, fondateur du festival de théâtre Les Récréatrales de Ouagadougou revient, pour Africultures, sur cette collaboration artistique, éminemment politique.
Comment est née la collaboration avec Felwine Sarr sur le texte Traces. Discours aux nations africaines ?
Le directeur du théâtre de Namur qui accompagne mon travail depuis un certain temps, qui accueille mes spectacles tels que M’appelle Mohamed Ali, Si nous voulons vivre–Sony Labou Tansi[1] , m’a dit, un jour, en regardant le Discours à la Nation de Celestini, qu’il me verrait bien dans un discours adressé aux Africains. Il a proposé à Felwine Sarr de l’écrire. Felwine Sarr qui, sans savoir que le directeur du Théâtre de Namur était en contact avec moi, a répondu : je veux bien écrire un « Discours aux Nations africains » mais je voudrai que ce soit pour Etienne Minoungou. Evidemment j’ai dit « oui ». Felwine Sarr est un ami, un frère, je l’ai déjà invité aux Récréatrales, et j’ai moi-même été aux Ateliers de la Pensée.
« Il s’agit pour nous enfants de Unan et de Toumaï de tourner à nouveau nos visages vers le soleil, […]
Il s’agit pour nous de ne plus collaborer à notre propre asservissement.
Nous dresser contre lui.
Comme là-bas dans le Walo, Ndaté Yalla !
Dans les artères de Kansala, les Niantcho !
Comme à Al Mukhatara où les Zanj brisèrent leurs chaines en 869 lors de la première révolte des esclaves noirs en Irak
Comme en 1803 à la bataille de Vertières, où les combattants de Ayiti, terre des hautes montagnes, défirent les troupes napoléoniennes ;
Haïti, Là où la négritude se mit debout et crut en son humanité !
Comme à Adoua en 1896, où les Ethiopiens bottèrent les fesses aux Italiens.
Nous dresser comme un seul tronc »
Que vous évoque Traces. Discours aux nations africaines ? Nombres de passages résonnent avec les thématiques et l’élan portés par le festival Les Récréatrales dont celle de l’édition 2018 était « Tresser le courage ».
Ce texte vient dans la filiation de paroles fortes que je porte depuis longtemps : après Césaire, Mohamed Ali dans un texte Dieudonné Niangouna, Sony Labou Tansi, arrive Felwine Sarr. Dans un contexte aujourd’hui qui est très particulier, très riche, très dense, en débat, en discussion, où il est question d’un nouvel élan à la fois pour penser nos propres sources, nos propres référents, et creuser nos propres imaginaires. Felwine Sarr va dans ce sens avec ce texte adressé principalement à la jeunesse.
Il nous faut être à côté, ailleurs,
Il nous faut ouvrir un nouvel espace
Il nous être pour quelque chose de grand…
Pousser l’humanité encore plus loin
Ne pas seulement rétablir,
Mais élargir,
Repousser l’horizon de la lumière.
Approfondir la source de la vie.
Ne pas apaiser son tumulte.
Affiner la qualité de la vibration.
Pour cela, nous avons besoin de notre jeunesse, le cœur de notre vitalité.
La première représentation scénique de ce texte a eu lieu à Dakar jeudi 6 décembre dernier.
Il s’inscrit dans le cadre de l’ouverture officielle du Musée des civilisations noires de Dakar, ce qui est extraordinaire. Et aussi dans un contexte où il y a ce débat suite à la publication du rapport de Sarr et Savoy sur la restitution du patrimoine africain. Tout cela fait sens. Et j’espère que la réception de ce projet à Dakar suscitera le débat, provoquera la discussion. On vit un temps historique incroyable, le moment est venu pour ouvrir de nouvelles relations humaines équilibrées, équitables entre les différents peuples.
[1] D’après l’ouvrage Encre, Sueur, Salive et Sang réunissant les textes de Sony Labou Tansi. Mise en scène et scénographie. Patrick Janvier