Diffusée en décembre sur la chaîne culturelle Arte, la série de six films de 26 minutes Africa Dreamings est une première : une collaboration panafricaine initiée par l’Afrique australe. Une réussite.
Un sujet : l’Afrique. Un thème : l’amour. Six cinéastes triés sur le volet dans six pays d’Afrique. Un donneur d’ordre : la South African Broadcasting Corporation (SABC) – la télévision publique sud-africaine. Six producteurs africains réunis pour produire six films de fiction ; l’Afrique du Sud assurant 25 % du financement.
Six pays sont représentés : l’Afrique du Sud, le Zimbabwe, la Namibie, le Mozambique, la Tunisie et le Sénégal. L’option est panafricaine mais le centre de gravité est austral. Derrière Africa Dreamings, l’homme qui compte aujourd’hui dans le cinéma sud-africain : Jeremy Nathan. Ancien activiste anti-apartheid, auteur de documentaires clandestins dans les années 80, il a installé ses bureaux de sa toute jeune société de production, Catalyst Films, à Yéoville, un quartier branché où se mêlent artistes de toutes couleurs de peau. Plein de projets et d’énergie, il a lancé un concours annuel de scénarios.
Bien sûr, jusqu’à présent, le cinéma sud-africain était blanc. Des talents noirs émergent mais mettront du temps à s’imposer. Le premier long métrage sud-africain, Fools, de Ramadan Suleman d’après une nouvelle de Djabulo Ndebele, coproduit à Paris par Jacques Bidou, tourné à Soweto en quatre langues, est une réussite (cf. Africultures n°1). Boudé à sa sortie sur les écrans français pour cause de nombrilisme et d’été indien, il témoignait des contradictions vécues par la communauté noire dans son intégration de la violence et proposait un courageux regard introspectif.
Il faut damer le pion aux nababs du cinéma local, comme l’Indien Anant Singh qui, spécialisé dans les grandes productions humanistes, vient de produire un remake de Cry the beloved country avec James Earl Jones et à qui Nelson Mandela a confié l’adaptation de sa biographie Long Walk to freedom.
Africa Dreamings est ainsi une réaction salutaire se proposant de montrer que la chose est possible. Le Zimbabwe, le Mozambique, et en France le Fonds Sud (interministériel), le Centre national de la Cinématographie et La Sept/Arte ont participé au financement.
Mamlambo, le film sud-africain produit par Jeremy Nathan et réalisé par Palesa ka Letlaka, qui a été stagiaire chez Spike Lee, est une fable que de nombreux enfants noirs sud-africains ont entendu en grandissant : l’histoire d’une amitié inattendue et magique entre deux enfants pris au piège, l’un par sa destinée secrète à laquelle il essaye d’échapper, l’autre par l’esclavage de sa prostitution forcée.
Après douze ans de guerre civile, le Mozambique est exsangue. Mais la renaissance du voisin sud-africain ouvre de grands espoirs. C’est dans le plus grand bidonville de Maputo, le Bairro Chamanculo, que João Ribeiro, jeune cinéaste sorti de l’école de Cuba, a tourné le volet mozambicain de la série : Le Regard des étoiles. Le producteur, Pedro Pimenta, a dû tout faire venir d’Afrique du Sud : la caméra, les voitures, le groupe électrogène. Pourtant, dès l’indépendance en 1976, le gouvernement avait créé un Institut national du cinéma sur le modèle cubain. Mais après huit ans d’euphorie, la guerre civile vient le ravager et un incendie l’achever en 1991. Faire du cinéma tient du miracle. Pourtant le film existe : le regard des étoiles raconte la quête d’un jeune orphelin de guerre à la recherche de ses origines. Il vit chez son oncle Salomao, qui lui expliquera que les étoiles dans le ciel sont le regard de ceux qui sont morts d’amour… Le scénario, d’une grande poésie, est de Mia Couto, un grand nom de la littérature mozambicaine.
Juste au nord, au Zimbabwe, Joel Phiri, qui s’est fait la main sur Kini et Adams d’Idrissa Ouedraogo, a produit l’épisode réalisé par Farai Sevenzo : La dernière image, sur l’obsession d’un jeune photographe à rencontrer une femme aux origines très différentes des siennes. Ses suppositions au sujet des femmes se trouvent remises en question. Il se voit obligé de définir la frontière qui sépare la réalité de celle vue au travers de son objectif… Un film sensible et drôle sur le regard amoureux…
En Namibie, Bridget Pickering produit Le Retour de Sophie¸ réalisé par Richard Pakleppa : une histoire d’amour et de sacrifice. C’est le combat d’une femme qui rentre chez elle après avoir travaillé en ville pendant douze ans pour subvenir aux besoins de sa famille. Elle constate qu’elle n’y a plus sa place. En essayant de soutenir sa famille, elle l’a en fait perdue.
Abderrahmane Sissako, le seul réalisateur africain présent à Cannes cette année avec La Vie sur terre (cf Africultures n°10), a réalisé en Tunisie Sabriya, produit par Dora Bouchoucha. Un café perdu dans le sable. La préoccupation première de ses consommateurs : le jeu d’échec. Saïd et Rajeh, propriétaires et amis intimes, vivent là en toute harmonie, au rythme du temps et du jeu. Un jour, dans leur univers ordonné, le hasard introduit brutalement une jeune femme… Film sensible et fort jouant subtilement sur les ambiguïtés, Sabriya a obtenu divers prix dans les festivals, tout comme le fascinant Ainsi soit-il, du Sénégalais Joe Gaye Ramaka, produit par Ghaël Samb Makharam. Dans le dispensaire d’un village sénégalais, un homme, une femme se déchirent, » enfermés » dans un lien de mort. Idéaliste, l’homme ne veut pas partir, persuadé qu’il peut changer ce qui l’entoure. Elle, la femme, la vie, essaye de l’entraîner, mais en vain. Rien ne semble pouvoir se résoudre, rien ne peut se construire, personne ne peut se sauver…
Visions lucides d’une Afrique intérieure, les films de la série Africa Dreamings, ouvrent tous à une émotion intense. Un régal à ne pas manquer.
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