Installée dans le quartier de Belleville à Paris, la rédaction d’Afriscope, le magazine d’Africultures, a choisi de vous faire découvrir dans cette seconde série estivale, cet espace multiculturel sous l’angle des luttes sociales. Chaque semaine, aux côtés des habitants, nos guides pour chaque épisode, découvrez ce quartier d’histoire militante.
Survivant du Paris populaire des faubourgs, creuset de populations, décrite comme un véritable laboratoire social, le quartier de Belleville n’a pas fini d’inspirer les imaginaires sur la ville qui se fait, qui se défait. Cette Babel-ville vit à travers l’engagement de personnages charismatiques comme Nicolas Rialan et Agnès Bellart, nos deux guides du jour. Ces Bellevillois d’adoption ont lutté pour la sauvegarde d’un quartier menacé par la « fièvre rénovatrice » de la municipalité dans les années 1990. Pour introduire cette série, c’est un Belleville frondeur que nous racontent ces deux néophytes de l’urbanisme, aujourd’hui interlocuteurs de choix des pouvoirs publics.
Rue de Belleville. A la terrasse du Vieux Saumur, ombragée par son voisin prisé les Folies’, Nicolas Rialan raconte un tournant de l’histoire du bas Belleville, quartier à la réputation autrefois sulfureuse. Devenu Bellevillois « par hasard » en 1987, ce quinqua, ancien journaliste, a présidé La Bellevilleuse de 1989 à 2004. Cette association est née du sursaut de neuf habitants face au plan d’aménagement du bas Belleville, délimité entre la rue et le boulevard de Belleville, la rue Ramponeau et la rue Julien-Lacroix. A travers un projet de ZAC (1), la municipalité projetait la démolition d’une grande partie du bâti ancien et la construction d’un centre commercial. (2) Il faut dire que les taudis étaient nombreux, héritages d’une architecture à la va-vite, logeant ouvriers et immigrés économiques et politiques (3). La ZAC allait briser cet urbanisme singulier, certes précaire, mais aussi source d’une vie sociale et collective très dense, rappelant le passé ouvrier et rural de la commune de Belleville devenue parisienne en 1860.
« On ne voulait pas garder la vieille pierre, mais permettre aux gens d’être relogés dans leur quartier ». En informant les habitants et en explorant avec les acteurs locaux les moyens d’une alternative à la démolition, Nicolas Rialan et ses acolytes ont infléchi les politiques de rénovation urbaine du quartier. Réunissant 600 adhérents en 1995, le noyau de l’association était formé de « néophytes de l’urbanisme et du militantisme ». Les collectifs d’habitants s’organisant en luttes urbaines étaient nombreux à cette époque de grands projets de rénovation à Paris, mais la Bellevilleuse est exemplaire en ce qu’elle a réussi à évoluer du statut d’opposant à celui de partenaire reconnu par la municipalité. Après la décision du nouveau maire de Paris, Jean Tiberi, de renoncer à la ZAC en 1995, le projet d’aménagement se redessina grâce au mouvement dans une logique de réhabilitation, autrement dit d’amélioration de l’existant, permettant à tous les habitants qui le souhaitaient de rester dans leur quartier.
« Nous avions acquis une véritable expertise. La SIEMP (4) et la Fondation Abbé Pierre nous ont mandatés ensuite pour un travail de recensement dans des immeubles réhabilités de tout Paris ». Cette reconnaissance d’une expertise acquise sur le tas se reflète dans le parcours de Nicolas Rialan, qui quitte l’association en 2004. Quatre ans plus tard, alors que la Bellevilleuse disparaît, il est approché par les Verts à la mairie du 20ème. Depuis, il fait valoir ses compétences au sein du cabinet de Fabienne Gibodeaux, élue en charge des espaces verts.
Rue Ménilmontant. A quelques pas de son appartement, Agnès Bellart dépeint un quartier où, 10 ans après le « sauvetage » du bas Belleville, des luttes sont encore justifiées, dans le sillage de la Bellevilleuse. Retraitée depuis six ans, cette femme tout feu tout flamme n’a pas une minute à perdre. Responsable d’une permanence juridique pour migrants au centre social du Relais Ménilmontant [cf. photo], membre active du conseil de quartier, cette militante croit moins au politique qu’à l’action syndicale comme levier d’action. Le quartier n’est plus menacé par des projets d’aménagement comme la ZAC du bas Belleville, dont l’enjeu justifiait le pouvoir de rassemblement de la Bellevilleuse. Mais les engagements d’Agnès sont les fleurs de l’inventivité militante de cette association. A leurs échelles respectives, ces luttes locales s’inscrivent dans l’idéal du « droit à la ville », décrit par David Harvey comme « le droit collectif à nous changer nous-mêmes en changeant la ville de façon à la rendre plus conforme à notre désir le plus cher ». (5)
Des contestations à la densification urbaine se font donc toujours entendre, par les Côteaux de Belleville par exemple, dont Agnès est la présidente. Cette association uvre depuis 1994 « pour la sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine architectural, urbain et culturel du quartier et de la protection de la qualité de vie de ses habitants ». Belleville conserve en effet dans son architecture les traces d’un passé ouvrier où la vie collective s’organise dans l’espace public comme privé. Nombre de portes cachent toute une cité intérieure qui se déploie en immeubles ou maisonnettes alternées de jardinets. L’association veille donc à préserver cette architecture des faubourgs et à valoriser les petits poumons verts du quartier. En témoigne sa mobilisation entre 2006 et 2012 pour que la Ville achète la parcelle Kemmler, sur laquelle sommeille une usine désaffectée. Depuis quelques jours, 43 rue de l’ermitage, une pancarte annonce la démolition de l’usine, deux vigiles veillant jours et nuits à éloigner les squatteurs [cf. photo]. Un jardin public succédera à l’usine, ce qui permettra de valoriser un regard (6) du 17e siècle, dévoilant l’histoire de l’eau parisienne dans ce quartier. Autre lieu de patrimoine, le Relais de Poste à l’angle de la rue Ramponneau et du boulevard de Belleville, actuellement en travaux [cf. photo]. Au sein d’un collectif, Agnès s’est mobilisée pour que la ville prévoie dans cette réhabilitation des commerces à vocation sociale. A suivre
Cette volonté d’assumer l’appropriation de l’espace urbain par ses habitants s’essouffle-t-elle avec le renouvellement de la population bellevilloise ? « Je ne crois pas que le quartier ait beaucoup changé. Par rapport à la rue Oberkampf ou la place Sainte-Marthe, le quartier est resté très populaire », répond Nicolas Rialan. Agnès Bellart, de son côté, inscrit l’évolution sociale de la population dans une sociabilité traditionnelle du quartier : « Il y a beaucoup de gens qui ont choisi le 20e parce qu’ils sentent que c’est un milieu d’échange et de lien social. Même si les loyers sont plus chers, il y a aussi du positif dans la mixité parce qu’il y a aujourd’hui une véritable dynamique citoyenne qui fait perdurer l’esprit solidaire ». Ils nuancent ainsi le phénomène de gentrification, désignant l’arrivée de classes moyennes et supérieures dans les quartiers populaires à travers la rénovation ou la réhabilitation de l’habitat ancien. En effet, si ce mouvement, autrement dit, de « boboïsation » s’accentue depuis 2000 et si beaucoup d’immigrés précarisés se replient vers le Faubourg du Temple (11e), le rôle d’accueil des étrangers de Belleville s’est renforcé. Par ailleurs, le territoire compte encore plus d’un tiers de logement sociaux (7). Nos deux guides nous disent aussi, peut-être, que chaque époque a ses gentrifieurs, ceux du Belleville d’aujourd’hui n’étant pas si différents des premiers gentrifieurs, ces nouveaux Bellevillois militants des années 1990, dont ils faisaient eux-mêmes partie.
1. ZAC (Zone d’Aménagement Concerté). Zones à l’intérieur desquelles une collectivité publique ou un établissement public y ayant vocation décide d’intervenir pour réaliser ou faire réaliser l’aménagement et l’équipement des terrains.
2. Sonia Fayman, « La Bellevilleuse ou la mise en uvre du droit à la ville » dans Roselyne de Villanova et Agnès Deboulet (ouvrage collectif), Belleville, quartier populaire ? Créaphis, 2011.
3. Philippe Bonnin, « Belleville : un habitat populaire » dans Roselyne de Villanova et Agnès Deboulet (ouvrage collectif), Belleville, quartier populaire ? Créaphis, 2011.
4. SIEMP : Société Immobilière d’Economie Mixte de la Ville de Paris
5. [1] David Harvey, « The Right to the City », New Left Review, september-october 2008, n° 53.
6. Un regard d’eaux pluviales est un coffre scellé en terre et destiné à évacuer ou récupérer l’eau de pluie.
7. Source : APUR///Article N° : 11671

