« L’Afrique qui vient, c’est Nous« , déclament-ils sur la scène de l’Institut culturel français ce samedi 16 février, en chantant, rappant, dansant. « Ils » se sont les figures émergentes de la scène hip-hop congolaise. La vingtaine, tantôt habillés telle les « normes » du genre, avec casquette, jean taille baisse, lunettes de soleil, tantôt se réappropriant des costumes traditionnels de leur pays, ils ont participé aux ateliers d’échange et de création autour du slam et du rap organisés dans le cadre du festival Les Étonnants Voyageurs. Trois habitués de l’événement, le slameur Rouda du collectif français129H, le rappeur malien Amkoullel et le Néo-Calédonien Paul Wamo, les ont accompagnés pour construire un spectacle d’une heure, sorte de comédie musicale animée par un Dj, mêlant rap, danse, chant et slam. C’est la première fois que j’assiste à un rendez-vous du festival qui est bondé. Certains n’ont pas pu entrer dans cette salle de 400 places, occupées par un public déchaîné. La moyenne d’âge ne doit pas excéder les 25 ans, illustrant (relativement) l’engouement d’une génération pour ces poètes des temps modernes à la verve aiguisée que sont les rappeurs et les slameurs. Michel Le Bris, fondateur du festival Les Étonnants Voyageurs, n’a pas loupé le spectacle, croyant dur comme fer à ces prises de parole partagées, n’hésitant pas, par ailleurs, à retarder sa présence chez l’Ambassadeur de France au Congo. Jean François Valette invitait en effet tous les journalistes et auteurs du festival au sein de sa semble-t-il « magnifique » résidence : la Case De Gaulle. Une bâtisse surplombant le fleuve Congo construite par l’élève de Le Corbusier, l’architecte Roger Erell, et qui fut la maison de Charles De Gaulle pendant la seconde guerre mondiale. Elle est située dans le quartier de Bakongo.
Un quartier qui justement est réputé pour sa dynamique créatrice et contestataire. C’est d’ailleurs en son cur que j’ai passé l’après-midi et la soirée de la veille (vendredi 15 février). C’est là qu’ont grandi et que vivent les membres du groupe de hip-hop I-dance. Ils ont entre 20 et 24 ans, neuf garçons et deux filles. Leur spécialité c’est la danse hip-hop. Je les retrouve au centre culturel congolais Sony Labou Tansi. Un espace, un jardin et une vaste cour non entretenus, qui viennent tout de même contredire les échos du Palais des congrès affirmant depuis le début du festival qu’il n’y a pas de lieux culturels congolais. « il n’y a aucune programmation ici ni de moyens, c’est juste une salle », me confie un habitué. Les jeunes se retrouvent pour répéter, pour flâner. À un bout du jardin, des garçons rappent sur fond de guitare, tandis que des jeunes filles papotent allongées sur l’herbe. Les I-dance sont là accompagnés de deux danseurs sud-africains, les Shakers and movers, alias Mada et Pringle. Ce sont les « stars » du film de Brian Little, The African cypher : un portrait d’une jeunesse pauvre et créative sud africaine, née dans les quartiers de Soweto. Ces jeunes danseurs, qui partagent le même langage du corps, faute de maîtriser la même langue, ont décidé ensemble de projeter le film The African Cypher et de danser dans le quartier de Bakongo. Une volonté hors programmation, que les organisateurs des Étonnants voyageurs ont respectée et soutenue. Je pars donc avec ces jeunes hommes et le rappeur malien Amkoullel pour inviter les populations du quartier à nous rejoindre le soir pour ce rendez-vous hors circuit. Nous quittons alors les grandes avenues goudronnées entourant le quartier du Palais des congrès pour de petites ruelles, parfois de béton, parfois de terre battue, à la rencontre des habitants. Des maisons de béton alternent avec des bâtisses en tôle. Personne ne semble avoir entendu parler du festival, une fois de plus. Aymard et Yannick interpellent les personnes croisées, tantôt en français tantôt en kilongo ou linguala, des langues de différentes ethnies m’expliquent Aymard, alias Titime (à prononcer à l’anglaise). « À Bakongo il y a plein de langues différentes. Je ne les comprends pas toutes. Il y a plein de langues car il y a plein d’ethnies différentes ». Une diversité qui vient contester quelques lectures disant que depuis les guerres passées, la violence et les massacres que connut ce quartier, il y aurait de plus en plus une « homogénéisation ethnique ».
De toutes ces langues qui cohabitent, les I-dance en font une richesse. Tout en marchant et distribuant des flyers, Aymard me raconte que dans leurs textes, ils mélangent volontiers plusieurs langues locales avec le français et aussi l’anglais. Une espèce de créolisation au sens glissantien du terme. Alors que nous parlons, nous entendons de magnifiques chants d’un groupe qui répète dans une cour. Nous sommes invités à entrer. Trois femmes et un homme au chant, un à la guitare, et un dernier au tam-tam, entonnent des chants mélodieux et puissants. Nous sommes scotchés et malgré la chaleur de ce milieu d’après midi, les frissons sont au rendez-vous. Échange de contact entre Amkoullel et ces chanteurs et c’est reparti pour notre balade à Bakongo. Quelques mètres plus loin nous traversons une veillée mortuaire, « les gens pleurent et se réunissent pendant plus d’une semaine chez nous », me raconte Aymard alors que nous passons sous un chapiteau en plein air, occupé par une famille qui vient de perdre l’un des siens. Par hasard, nous croisons dans la foulée le grand frère d’Aymard, lui-même chanteur et rappeur. « Au départ nos parents n’acceptaient pas trop. Ils ne comprenaient pas. Même si la danse est plus importante pour moi, je dois terminer mes études de gestion ». « Ils ont peur qu’on devienne des voyous », continue Yannick, alias Naver. Ensemble, ils ont commencé à danser dans la rue, s’inspirant de ce qui se faisait ailleurs dans le monde du hip-hop. « Il y a aussi beaucoup de groupes à Brazzaville. Nous avons commencé à participer à des concours, à les gagner. Cette année nous allons représenter le Congo à la francophonie et certains vont même aller en Russie pour la danse », continue ce grand jeune homme, la casquette vissé sur la tête. Il fait des études de droit mais avoue que ce n’est pas toujours évident d’être en cours tout en assurant la danse. « Nous avons le statut d’artiste. Nous avons déjà un peu voyagé grâce à la danse pour des concours. Nous ne pouvons pas toujours être en cours », explique Aymard.
La nuit tombe peu à peu. Il est déjà 18 heures. Nous continuons notre ballade en direction du lieu de la projection, l’espace du collectif de photographes de la Génération Elili. Après être passés devant un lot de grandes maisons toutes semblables, ressemblant à un lotissement, « construites par des Chinois » me disent mes guides, nous arrivons sur une avenue complètement embouteillée. Nous sommes désormais éclairés par leurs phares et les faibles rayons de lumière émanant des étals du bord de la route. C’est sur cette avenue des 3 francs que se trouve le local du collectif de photographe congolais Génération Elili. Un espace d’une quinzaine de mètres carrés avec une cour dans laquelle une trentaine de gamins sont déjà installés face à un ordinateur, près pour la projection de African Cypher. Nous avons ainsi quitté un public du festival essentiellement fait d’universitaires ou d’étudiants, occupant à peine à moitié les espaces surclimatisés du Palais des congrès, pour un lieu à ciel ouvert résonnant des cris et rires des gamins du quartier. Pendant la séance de cinéma, je m’éclipse pour prendre la température du grand concert annoncé au Palais des congrès. Si la salle est remplie par les participants au festival, un bon nombre d’expatriés et des Congolais, l’ambiance reste feutrée malgré la présence de « stars » comme Zaho ou Roga Roga. Peu de la faute du public mais sûrement davantage de celle de la configuration de cette salle : un auditorium avec des tables et des sièges. Peu adapté à un concert. Je retourne donc au centre Elili pour la fin de la projection. J’arrive après la série de questions-réponses où, semble-t-il, les danseurs sud-africains ont encouragé avec passion et conviction les jeunes à croire en leurs rêves, à s’accrocher à leurs envies pour vivre et avancer.
Vient alors le moment tant attendu de la prestation improvisée de breakdance. Les danseurs congolais et sud-africains invitent les gamins à former un cercle dans cette toute petite cour en terre battue de l’espace Elili. La réalisatrice Rama Thiaw et Brian Little font partie du cercle. Les applaudissements commencent pour donner le rythme aux danseurs. S’enchaînent alors une série de figures plus impressionnantes les unes que les autres. Une complicité et une générosité unissent ces danseurs et cela se ressent. Le public est survolté. D’ailleurs, après avoir laissé place aux danseurs, les plus jeunes s’invitent sur la piste. Claise, un petit garçon n’ayant pas plus de 5 ans, se fait particulièrement remarquer par un jeu de jambes déjà bien inspiré de ses grands frères. Il ne parle pas le français, seulement le batoua, mais la communication des corps combat toutes les barrières.
Ces mots d’Édouard Glissant résonnent en moi :
La créolisation est la mise en contact de plusieurs cultures ou au moins de plusieurs éléments de cultures distinctes, dans un endroit du monde, avec pour résultante une donnée nouvelle, totalement imprévisible par rapport à la somme ou à la simple synthèse de ces éléments.
« L’Afrique qui vient », c’est toi et moi !
Plus d’infos : Quelques textes des slameurs et rappeurs seront bientôt mis en son sur le site.Vendredi 15 février et samedi 16 février 2013///Article N° : 11315