Cinquième long métrage du cinéaste franco-algérien Amor Hakkar, en sortie le 14 juin 2017 dans les salles françaises, Celle qui vivra apporte un regard moderne et sensible sur la tragédie de la guerre d’Algérie.
Après un coup de maître en 1992 avec Sale temps pour un voyou où un jeune marginal fuyait la police après un petit casse et se réfugiait dans une église où il prenait le prêtre en otage, Amor Hakkar a repris le cinéma en 2008 avec le magnifique La Maison jaune (cf.critique n°7190) sur un homme à qui sa femme demande d’aller chercher leurs fils qui vient de mourir dans un accident de voiture et qui va traverser l’Algérie pour cela sur un petit tracteur à remorque. Amor Hakkar y développait avec une rare justesse une façon de cadrer et d’éclairer qui capte le mouvement des êtres, confirmée par ses films suivants : Quelques jours de répit (2011), sur les traces d’un couple d’homosexuels qui s’est enfui d’Iran et est accueilli par une femme dans une petite ville ; et La Preuve (2013) sur l’engrenage des tabous dans les Aurès (cf. critique n°12337).
La force du cinéma d’Amor Hakar tient dans sa grande délicatesse appliquée à des scénarios proches du polar où les ingrédients sont livrés peu à peu, d’une intrigue complexe permettant une approche très humaine. On retrouve dans Celle qui vivra la même délicatesse, magnifiée ici par la rencontre de deux femmes, l’une, Aïcha (dont le nom signifie celle qui vivra), qui fut témoin d’un drame de la guerre d’Algérie dans un douar des Aurès alors qu’elle n’était encore qu’une enfant et l’autre, Maguit, une Française qui perdit son fils durant cet affrontement. Emergeront de leur mémoire des flash-back plaçant peu à peu les personnages d’une tragédie articulant fatalité et vengeance, racisme et barbarie, culpabilité et non-dit, le poids d’une histoire singulière dans la grande Histoire.
Né en Algérie en 1958, Amor Hakkar revient ici sur la perception d’un enfant d’un drame qui le dépasse mais dont il perçoit la gravité, et dont le lot de morts le marque à jamais. Saisissant avec Florence Bouteloup, sa productrice et complice, l’occasion d’un appel à projet du gouvernement algérien en 2012 à l’occasion du cinquantenaire de l’Indépendance, ils opèrent un lien rare et pourtant si prégnant avec la deuxième guerre mondiale, à travers l’existence des frontstalags, camps de prisonniers où les Nazis ont enfermé le 1,5 million de soldats capturés en mai-juin 1940, dont plus de 115 000 « indigènes coloniaux ». Alors que la majorité des prisonniers français part en captivité outre-Rhin, les Africains sont maintenus en France, le Reich n’en voulant pas sur son sol.
Ce lien est celui des violences et des vengeances mais c’est aussi un lien du coeur, qui sublime l’opposition entre les pays. A travers le personnage de Maguit mais aussi d’Aïcha qui va vers elle pour confier son secret, c’est le lien des hommes et des femmes, des rencontres et métissages, de la poétique relationnelle qui transcende les écarts. Ce lien, c’est celui d’une croyance en la fragilité des arbitraires et des murailles. Si chacun a reconstruit son Histoire nationale avec sa panoplie de héros, elle reste tiraillée par son propre dépassement car elle ne peut renier l’histoire humaine de ceux qui l’ont vécue. Il fallait la douce musique de l’Arménien Jo Macera, compère régulier d’Amor Hakkar, et de Matt Elliot pour accompagner cette plongée dans l’intime qui relativise tant les hymnes au drapeau. C’est dans ce lien qui vivra, cette poétique refondatrice d’un imaginaire commun, que ce beau film trouve sa puissante actualité.