Christophe Ngalle Edimo : « Nous devons nous affirmer par des projets qui parlent de nous ou de nos espoirs »

Entretien de Christophe Cassiau-Haurie avec Christophe Ngalle Edimo

Saint-Ouen, Juin 2008.
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Comptant parmi les rares scénaristes professionnels du continent africain œuvrant dans la bande dessinée, Christophe Ngalle Edimo, d’origine franco-camerounaise, a commencé sa carrière par diverses publications collectives avant de se lancer dans la scénarisation d’albums individuels (1).
Son actualité laisse entrevoir quelques promesses : la sortie en octobre 2008 aux éditions Sary92 de Le retour au pays d’Alphonse Madiba dit Daudet, avec Al’ Mata (46 planches couleurs) et fin novembre 2008, Le secret du manguier ou l’enfance volée, avec Faustin Titi (et Didier Randriamanantena à la couleur), un album de commande de 52 planches couleur, édité par l’ONG « Le mouvement du Nid«  (ONG qui lutte contre la criminalisation de la prostitution en Afrique). Principal animateur de L’Afrique dessinée, il est également au cœur de la problématique de la bande dessinée africaine en France.

Vous êtes né en France d’un père camerounais et d’une mère française, et avez vécu au Cameroun jusqu’à l’âge de 24 ans. Le couple mixte formé par vos parents a-t-il été bien accepté en France comme en Afrique ?
Eh bien non. En France mon grand-père maternel nous a toujours soutenus et acceptés, mais après son décès les choses ont été très dures, et aujourd’hui, à part deux tantes très âgées on ne rencontre plus personne du côté maternel. Du côté paternel au Cameroun ce n’est pas mieux : ma mère a été « relativement acceptée » jusqu’à la mort de ma grand-mère paternelle. À partir de là mon père n’a pas su protéger sa famille de l’hostilité du « clan ». Pour résumer, même si nous avons eu des amis fidèles pour « délirer » ou se confier, ni la France ni le Cameroun n’ont été des havres de paix pour mon frère, ma mère et moi.
Votre histoire familiale pourrait faire un beau sujet de scénario, non ?
Oui, peut être qu’un jour j’en ferai une bande dessinée. Mais le genre autobiographique ne m’intéresse qu’à condition qu’il ait une portée… peut être pas universelle, mais en tout cas assez grande pour ses lecteurs. Il me faudrait avant tout demander leur accord à mon frère et ma mère.
À quand remonte votre découverte du dessin et de la BD ?
Je les ai découvert par l’intermédiaire d’un ami et d’un voisin dont les parents étaient coopérants, Brice Matthieu, aujourd’hui décédé. Il m’a fait découvrir les Tuniques bleues et Alix alors que j’étais en cinquième je crois. J’ai toujours gardé contact avec eux, même 30 ans après. Ma mère m’avait acheté des Astérix lorsque j’étais au primaire, mais je n’y comprenais rien à l’époque… et lors d’une remise de prix à l’école primaire, j’ai remporté un Lucky Luke, Dalton city. En fait on ne lisait pas de BD à la maison, c’est de l’extérieur qu’est venue ma véritable sensibilisation à la BD. À partir de la sixième, pas mal de copains me prêtaient des bandes dessinées italiennes telles que Ombrax, Mister No, Miki le ranger, Zembla, Blek le roc que mes parents n’achetaient pas. C’est comme ça que j’ai découvert la BD. Quant au dessin j’y ai vite renoncé, car mon père trouvait que j’y passais trop de temps.
Votre formation ne vous destinait pas à la bande dessinée. Comment avez-vous débuté dans le dessin et dans l’édition ?
Je me destinais en effet à faire de la géologie à l’université du Cameroun, ce qui ne me motivait pas particulièrement au départ, mais ce choix est le fruit d’une longue histoire… Au moment de la grave crise économique, sociale et politique de la fin des années 80, début 90, j’ai choisi de partir en France pour terminer des études de minéralogie et je suis aujourd’hui éducateur de jeunes délinquants au ministère de la Justice, en France ! En 1997, je crois, j’ai participé, par hasard, à un concours organisé par l’école d’arts plastiques Arc en ciel, à Anthony, en région parisienne. J’ai envoyé un scénario, sans dessins puisque je ne connaissais pas de dessinateur. L’organisatrice du concours m’a écrit plus tard pour me dire que bien sûr je n’avais pas gagné faute de dessin, mais elle m’encourageait à persister dans la voie du scénario de bande dessinée. Plus tard, en décembre 2000, Simon-Pierre Mbumbo (2) que je ne connaissais pas m’a contacté pour que j’écrive un scénario de cinq pages pour un album collectif publié en janvier 2001, A l’ombre du baobab, aventure organisée par l’ONG Equilibres & Populations, coordonnée par Aurélie Gal (3). Je ne me souviens pas comment Simon a pu avoir mon contact. Je me souviens qu’à l’époque je cherchais à rencontrer des dessinateurs et j’ai dû écrire au CCF de Douala ou de Yaoundé pour avoir des contacts. Je suppose qu’ils m’ont donné celui du journal Mac BD dont Simon est issu. Quelques semaines plus tard, la BD était éditée et nous nous sommes retrouvés sur le stand d‘ »Equilibres & Populations »à Angoulême. J’ai trouvé ce moment exceptionnel, et je me suis dit qu’il ne fallait pas que cette expérience reste sans lendemain.
Qu’avez-vous entrepris pour poursuivre cette aventure ?
J’ai demandé à Aurélie Gal les contacts d’autres dessinateurs africains, afin de créer une association pour lancer un mouvement BD centré sur l’Afrique, sans pour autant que ce soit un ghetto. « L’Afrique dessinée » est donc née en mai 2001. Aussitôt, avec Chrisany, dessinateur camerounais, nous nous sommes retrouvés au festival de Sierre, en Suisse. Là, dans les abris anti-atomique où nous étions logés, j’ai fait la connaissance des sympathiques Slovènes du Strip Burger, et aussi des Ivoiriens de G’bich ! (Zohoré, Mendoza et Olvis Dabley). De ce fait, j’ai été aussitôt invité au premier festival ivoirien de bandes dessinées, Cocobulles, qu’ils préparaient et devaient organiser à Grand-Bassam en novembre 2001. J’y ai rencontré aussi Barly Baruti, qui voulait créer une collection Afrique chez Glénat. Mais cette idée a fait long feu, et mes contacts avec Barly ont cessé un an plus tard.
Pour quelles raisons ?
En fait, on s’est rapidement rendu compte qu’il serait difficile de parler d’Afrique ou de faire émerger des dessinateurs africains dans la bande dessinée avec des éditeurs belges ou français. Ceux-ci arguaient qu’il n’y avait pas de public intéressé. Selon moi, sans l’ombre d’un doute, le meilleur moyen pour imposer la BD en Afrique est de passer par la forme du journal, ce qui avait été fait avec G’bich !. Si je résidais en Afrique, avec un peu d’argent, sans doute que j’aurais essayé ce type d’aventure, probablement au Cameroun.
Êtes-vous parvenu à vivre de votre travail ?
La BD ne me fait pas vivre. Je continue mon travail d’éducateur, qui est aussi une passion que je partage avec celle de la bande dessinée. Faute de temps, l’activité bande dessinée en pâtit, et sans doute ne suis-je pas arrivé à ce que je veux : être édité un peu partout, entretenir les contacts en étant présent sur certaines manifestations. C’est un milieu relativement fermé où l’entretien d’un réseau est, comme dans tous les domaines, très important. J’ai deux amis dans le milieu, pas plus. J’aimerais également produire plus régulièrement et dans des domaines différents.
Vous avez pourtant eu quelques succès avec « l’Afrique Dessinée »…
Oui, deux des dessinateurs de « l’Afrique Dessinée«  ont pu avoir des revenus intéressants, permettant de bien vivre en France, en 2007. Il s’agissait d’une BD de commande, pour laquelle, ils ont été payés très correctement. Mais aujourd’hui, l’objectif de l’association n’est pas seulement de chercher des travaux de commande – essentiellement axés sur les thèmes relatifs à la citoyenneté, – mais surtout de mieux s’affirmer par des projets qui parlent de nous ou de nos espoirs. Selon moi, c’est plus porteur sur le long terme.
Quels sont en ce sens vos projets, ou vos espoirs sur le long terme ?
J’aspire à multiplier les projets d’édition, et créer un vrai festival de bande dessinée quelque part en Afrique. J’aimerai écrire le scénario d’un long-métrage d’animation du calibre de Valse avec Bachir, film d’animation israélien de très grande qualité (4).
Comment voyez-vous l’avenir de la BD dans votre pays ?
Je considère, en fait, que j’ai deux pays. Pour commencer par la France, je dirai que la production est aujourd’hui pléthorique, et qu’il est de ce fait difficile non pas de sortir du lot mais d’être repéré par les lecteurs, qui sont quelque part noyés par la communication agressive des produits phares de la BD (Titeuf, XIII, etc.) et par la masse de la production actuelle. Cela est dommage pour tout le monde, car on a parfois l’impression que la bande dessinée n’aborde pas tous les sujets, ce qui est faux. Au Cameroun, tout est à faire, mais en tenant compte du pouvoir d’achat des habitants. Il faut donc un support papier pas cher. Et créer des héros et des histoires dans lesquels les Camerounais se reconnaissent et peuvent s’identifier. J’aimerais participer à l’émergence d’une telle BD au Cameroun.
Quels sont vos projets à venir pour l’année 2009 ?
J’y travaille. En septembre 2009 doit sortir Malamine, un Africain à Paris, avec Simon-Pierre Mbumbo : 128 planches en noir et blanc, édité par Les enfants rouges. Il y a d’autres projets, Sami avance, pour L’Harmattan. Avec Didier MadaBD, on peaufine une histoire d’une centaine de pages ou plus, en noir et blanc. Le titre actuel est Banlieue blues. J’espère qu’il y aura d’autres projets pour 2009. Mais pour 2010, j’aimerai monter ne serait-ce qu’une exposition concernant la coupe du monde en Afrique du Sud, avec l’œil de dessinateurs extérieurs (pas seulement africain) sur ce pays et aussi le regard de dessinateurs sud-africains sur leur pays. J’ai aussi des ébauches de scénarios sur des situations « franco-française », mais je n’ai pas encore trouvé le dessinateur à la fois intéressé et compétent pour travailler dessus.

(1) Une journée dans la vie d’un Africain d’Afrique – auto-produit en 2007 par l’association « L’Afrique dessinée » – premier ouvrage, auto-produit, qu’il scénarisa entièrement en 2007.
À l’ombre du baobab en 2001 (Une enfance volée avec le Camerounais Simon-Pierre Mbumbo), les recueils annuels Africa comics (Symphor et Marinette en 2003 avec le Colombien Rafaël Espinel, Homme Blanc d’Afrique en 2005 avec le Malgache Didier Randriamanantena), un épisode du collectif Approdi qui traitait de l’immigration en Europe et enfin Nous sommes là (toujours avec Didier Randriamanantena) dans l’album italien Mafiacartoon 2007. Par la suite, il a scénarisé plusieurs albums, en particulier les cinq albums de 30 pages de la collection Valeurs communes, publiée par Africa & Mediterraneo en 2005, adaptation de cinq nouvelles d’auteurs européens sur le thème de la tolérance et la diversité culturelle. Suivit l’album collectif
(2)Simon Pierre Mbumbo (né en 1976) est un auteur camerounais de bandes dessinées et le partenaire habituel de Christophe Ngalle Edimo. Ensemble, ils ont réalisé un album, Hicham et Yseult et plusieurs histoires courtes dans des albums collectifs : Une enfance volée (A l’ombre du baobab), Une journée dans la vie d’un africain d’Afrique et The plagues of king (projet Aprodi). Mbumbo a dessiné par ailleurs la série Les K-libres pour la revue Planètes jeunes.
(3)Aurélie Gal était chargée de programme pour l’ONG Equilibres et populations. Cette ONG fut la première à publier un album collectif d’auteurs africains de bandes dessinées en 2002 : A l’ombre du baobab. Cet album visait à faire passer des messages en matière de santé publique à destination des populations africaines. L’idée a été reprise plusieurs fois depuis.
(4)Réalisé par Ari Folman, il a rencontré un grand succès public et critique lors de sa sortie en 2008.
Depuis juin 2008 :
Christophe Ngalle Edimo a publié Malamine, un africain à Paris en août 2009, chez Les enfants rouges. L’album a connu un succès intéressant et a fait l’objet de plusieurs retirages. Plusieurs autres projets sont en cours dont un collectif sur l’Afrique du sud.///Article N° : 10240

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