Alain Mabanckou (Congo, 1966) est auteur de plusieurs recueils de poèmes : Au jour le jour (Maison Rhodanienne de la poésie, 1993), L’Usure des lendemains (Nouvelles du sud, 1995), La légende de l’errance (L’Harmattan, 1995), Les arbres aussi versent des larmes (L’Harmattan, 1997). Son premier roman, Bleu, Blanc, rouge, paraîtra en 1998 chez Présence africaine.
Pour vous, qu’est ce qu’un poète ?
Question difficile ! On écrit sans doute pour chercher aussi le sens de la poésie, la définition de poète… Je pense qu’on se découvre poète. Si on remonte dans le temps, on s’aperçoit que la poésie a toujours revêtue un caractère mystérieux, évocateur. Etre poète aujourd’hui n’a peut-être plus le même sens qu’être poète hier. Si on s’en tenait aux définitions, être poète c’est écrire des poèmes. Mais, qu’est ce qu’un poème ? Là réside toute la question de l’écriture poétique. Je pense qu’un poète, c’est être quelqu’un de sensible, qui non seulement parle de soi, mais véhicule aussi un message.
Depuis votre premier recueil, Au jour le jour, jusqu’à La légende de l’errance, votre poésie est traversée par la notion de l’errance. Comment vous situez-vous par rapport à votre pays natal, par rapport à l’espace parisien ? Est-ce que vous vivez l’exil comme une déchirure ?
La thématique de l’errance, de l’exil et du déracinement occupe, obnubile même tout ce que j’écris. Mais, il faut quand même souligner que j’ai commencé à écrire avant de quitter le pays natal : heureusement pour moi, sinon on aurait dit que c’était une littérature de circonstance ! Avant de quitter le Congo, j’avais déjà commis un recueil de jeunesse, Au jour le jour, très marqué par la littérature française que je lisais en ce temps-là avant de découvrir, plus tard, la littérature africaine. Je ne pense pas que je ressente une certaine déchirure, c’est peut-être parce que je me fais une idée d’un certain pays auquel mon enfance est rattaché. C’est pourquoi j’aime beaucoup le symbole de l’arbre parce que les racines se prolongent, comme dirait Tati-Loutard, dans les profondeurs de la terre pour marquer son attachement au pays natal. Quitter le pays, c’est comme si on sectionnait ses racines pour aller ailleurs et on se forge dès lors un autre pays, un autre Congo, rêvé et réel.
Le temps et l’espace font partie de vos prédilections. Mais votre dernier recueil, Les arbres aussi versent les larmes, peut-être lu comme une poétique du silence, notamment dans la deuxième partie intitulée » Versets « , qui est une » réflexion « , à l’image de Tati-Loutard, sur la poésie. Quel est le lien entre l’espace, le temps et le silence ?
J’écrivais presque simultanément la première partie du recueil Les arbres aussi versent les larmes et les » Versets « . Ces derniers sont une sorte de réflexion sur la poésie, à la manière de Tati-Loutard et de l’Argentin Roberto Juaros. Est ce-que ma poésie est une poésie du silence et de l’errance ? Je pense qu’elle reflète la vie qui est la mienne. Car je refuse souvent de tomber dans la facilité de la tristesse, le pessimisme, des larmes qui pourraient être versées pour rien, j’interroge les éléments de la nature, je fais appel à l’espace, au temps… Le temps est présent parce qu’il reste le thème éternel de la poésie. Je ne ferais pas ici appel à Lamartine qui demandait que le temps suspende son vol ou aux Normes du temps de Jean-Baptiste Tati-Loutard. Chaque poète a toujours réfléchi sur le temps, sur la mort, sur l’existence, sur la vie. Ce sont des thèmes universels.
Après la publication de Au jour le jour, on était surpris par le deuxième recueil L’Usure des lendemains qui était très fort. Votre dernier recueil Les arbres aussi versent les larmes est aussi ambitieux. Il y a une volonté de relire toute l’histoire du Congo à travers une centaine de pages. Parallèlement, l’humour et le jeu émergent dans votre poésie. Vous sentez-vous actuellement un poète mûr ?.
Le mûrissement ou ce que j’appelle la véraison est une notion subjective. Dès lors qu’un écrivain se dit mûr, commence la fatuité, la suffisance. Il faut rester jeune tout en poursuivant l’oeuvre dans la voie que l’on s’est tracée.
Après la période des pères fondateurs, Senghor et Césaire, puis celle de Tchicaya U’Tam’si, Tati-Loutard, Paul Dakeyo…. Que nous proposent les jeunes poètes ?
La génération se forme en écrivant chacun de son côté, mais paradoxalement on se rend compte qu’on emprunte la même direction. Quand je lis les oeuvres de Waberi ou de Raharimanana, je m’aperçois que nous magnifions tous notre pays natal. Il y a dans Lucarne de Raharimanana, Madagascar exprimé dans son aspect le plus misérable. Vous prenez Cahier nomade ou Le pays sans ombre de Waberi, vous retrouvez Djibouti. En ce qui me concerne, je magnifie, en quelque sorte, le pays natal.
On lisant vos textes, on a l’impression que les jeunes écrivains africains de votre génération revendiquent, à travers les nombreux épigraphes empruntés à la littérature universelle, le statut autonome de poète ? Cette démarche est-elle consciente ?
Désormais c’est difficile de penser que l’on peut écrire de la poésie en se cantonnant de lire simplement ce qui passe dans son espace local. Aujourd’hui, la poésie est plutôt éclatée. Il faut apporter quelque chose qui puisse changer tous les courants que vous avez évoqués : les précurseurs, les poètes de la négritude… Les références qui sont dans nos livres sont des références universelles, qui peuvent être celles des auteurs arabes, en ce qui me concerne : Abdelaziz Lâabi, Tahar Ben Jelloun ou l’Argentin Roberto Juaros : un de mes auteurs préférés. Les jeunes poètes africains aujourd’hui ont peur de s’enfermer dans un courant. Chacun veut être indépendant.
Existe-t-il chez vous une ambition de tenir un discours sur votre poésie ?
Faire un discours, il faut avoir quelque chose à dire. On risque d’écrire des niaiseries. J’ai des fragments de textes éparpillés qui sont des réflexions sur le silence, sur l’écriture, sur la mort, et la vie. Si demain je devais discourir, puisque l’idée germe, j’écrirais sur l’oeuvre poétique de Tati-Loutard et d’Abdelaziz Lâabi.
Dans l’immédiat quels sont vos projets d’écriture ?
Pour l’instant, il y a le roman intitulé : Bleu, blanc, rouge. Comme l’indique le titre, la France en est au coeur. J’ai un recueil achevé, dont le titre : Les mots viennent mourir sur la page est emprunté à un vers Abdelaziz Lâabi, mais je ne pense pas le publier pour l’instant.
Et quel regard portez-vous sur la poésie africaine actuelle ?
La poésie africaine a un grand avenir parce qu’il y a, aujourd’hui, une grande ouverture. Beaucoup d’écrivains de ma génération, Waberi, Raharimanana, Léopold Congo, Gabriel Okoundji et beaucoup d’autres écrivent des textes poétiques. Ils finiront par remettre sur les rails le train poétique qui était oublié dans une gare perdue de la littérature.
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