entretien d’Olivier Barlet avec Bassek ba Kobhio

Co-réalisateur du Silence de la forêt

Cannes, mai 2003
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On a l’impression que le film nous dit  » regardez-vous vous-mêmes « .
Depuis quelques années, je suis très intéressé par la question des exclusions et des conflits ethniques. Le roman qui sert de base au film la traite très bien et permet de schématiser à partir de l’exclusion dont sont victimes les Pygmées la question du racisme en Afrique centrale. Didier avait une option sur ce livre et cela m’a amené à lire le roman. Comme il avait une formation de monteur et avait une expérience en vidéo, je me suis dit qu’on pouvait monter le projet. On ne connaît que les aspects militaro-politiques des soubresauts en Afrique centrale, mais c’est beaucoup sur une base ethnique. Les Pygmées sont considérés comme une sous-classe d’hommes, sans âme. Au début, je devais uniquement produire le film. Didier est venu un mois un Cameroun pour travailler sur le plan-ébauche et je me suis rendu compte que c’est de la fiction et qu’il fallait qu’on travaille ensemble sur le scénario. Nous avons eu le Fonds Sud mais je trouvais encore le scénario trop bavard. J’ai donc fait appel à Marcel Beaulieu, un Canadien que j’ai connu au Cameroun pour encadrer les jeunes des classes de cinéma pour le scénario. Nous étions donc mieux préparés, même si le scénario arrivé sur le plateau était encore un peu long par rapport à ce que nous devions faire.
Comment avez-vous fonctionné ensemble, Didier et toi ?
L’option donnée par Hatier était close mais le livre était encore libre. Hatier a donc fait une nouvelle option à ma société Terre africaine. Didier a écrit le scénario, que j’ai repris durant deux mois. Je ne voulais pas une adaptation linéaire du roman. Marcel Beaulieu avait ensuite fait un script-doctor sous la forme de 50 questions sur le scénario. J’ai demandé à Didier de le retravailler sur cette base. Nous tirions vers une américanisation et on a corrigé vers quelque chose de plus forestier ! Ce travail s’est étendu sur deux ans mais il aurait encore fallu trois mois enfermés dessus, car on économiserait beaucoup d’argent : j’ai tourné une autre fin où il retrouve Simone au sortir de la forêt. Ce sont quatre jours de travail qu’on aurait pu éliminer. Il nous faut minuter nos scénarios, enlever de l’écriture tout ce qui peut être superflu. J’aurais dû prendre encore deux semaines pour filmer de façon documentaire les Pygmées. Les trois jours que j’ai tourné ainsi sont dans le film, et j’aurais eu plus de matériel.
Pour mon prochain film sur les enfants-soldats qui devrait être une adaptation du livre de Kourouma  » Allah n’est pas obligé « , je vais encore travailler avec Marcel Beaulieu et nous allons nettement mieux travailler le scénario. Comme le film va être nettement plus cher, je voudrais qu’on story-board pour être plus proche du temps réel.
On a effectivement l’impression qu’il y a eu une ellipse au montage : on attend qu’il retrouve Simone.
Si j’ai préféré cette fin, c’était une volonté d’ouvrir la fin du film. Au fond, ce n’est pas la question pygmée qui est importante pour lui : il est mal avec lui-même, il n’est pas satisfait de sa vie, et à travers cette expérience avec les Pygmées, il a enfin fait quelque chose de sa vie. Le ramener chez Simone aurait réduit le champ du questionnement. J’ai préféré cette fin ouverte.
On sent dans le film une volonté documentaire, voire ethnologique, sur les Pygmées.
Oui. Il fallait la vie des Pygmées dans le film et j’ai pensé que ce serait plus fort que tous les discours pour montrer qu’ils ont leur bonheur à eux et que ce gars qui arrive pour leur apporter le bonheur, c’est finalement lui a des problèmes de bonheur !
Le message est clair pour l’humanité entière.
Absolument, je crois que seule une communauté peut savoir où est son bien et se déterminer par rapport à cela. Cette leçon qu’on ne fait pas le bonheur des gens sans eux est valable partout, à commencer bien sûr par chez nous : on a tout eu, les ONG de tous styles, qui voulaient faire notre bonheur sans nous. Lorsque Gonaba sort de la forêt, je ne suis pas qu’il en soit complètement conscient. Qui lui dit que ce serait le bonheur de l’enfant pygmée de l’amener en ville ?
Une production Sud-Sud est un événement. J’imagine que cela n’était pas simple.
Avec Charles Mensah, il n’y avait pas de problème : nous avons l’habitude de travailler ensemble. Mais avec la Centrafrique, c’était plus délicat. Charles arrivait comme structure officielle, moi comme structure privée. Ce fut très difficile mais nous sommes arrivés à ce que nous voulions : des techniciens et de l’argent des trois pays. Nous allons recommencer pour le prochain film d’Imunga Ivanga : le partenariat sera complet, en personnel technique, matériels et finances. Sur Les Couilles de l’éléphant, j’avais amené du personnel et du matériel. Là, je vais aller plus loin et nous espérons qu’à chaque édition d’Ecrans noirs, nous allons sélectionner sur une espèce de bourse d’Afrique centrale un film sur lequel nous réunirons nos conséquences.
On va pouvoir commencer à ne pouvoir considérer que le cinéma africain n’est pas seulement ouest-africain comme à la présentation du Silence de la forêt à la Quinzaine des réalisateurs où il a été présenté en tant que film d’Afrique de l’Ouest !
Oui. C’est important qu’on reconnaisse les spécificités d’Afrique centrale et de voir qu’on se bat sur cette sous-région !
Il vous a été reproché de ne pas assez utiliser les Centrafricains, notamment pour le casting. Etait-ce difficile à gérer ?
Dans le cas d’Eriq Ebouaney ou de Nadège Beausson-Diagne, les gens comprennent au bout de deux ou trois semaines pourquoi ils s’imposent. Je n’ai pas trop voulu en parler au colloque sur les comédiens au dernier Fespaco car c’est comme ça que ça fonctionne : si on prend un comédien à l’étranger, il faut qu’il y ait de bonnes raisons pour cela.

///Article N° : 2907

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