Ouagadougou 28 février 2019 : soutenue par Africalia, la leçon de cinéma devant les élèves de l’ISIS durant le Fespaco. C’est cette fois le cinéaste malien Cheick Oumar Sissoko. On en trouvera ici le résumé. Ancien ministre de la Culture, élu secrétaire général de la Fédération panafricaine des cinéastes (FEPACI) en 2013, Président du parti Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance (SADI), il répond aux questions du critique et écrivain burkinabè Saïdou Alceny Barry. Il s’adresse donc ici à des étudiants.
Saïdou Alceny Barry : Cheick Oumar Sissoko est né à San au Mali le 21 décembre 1945. Il a fait des études d’histoire et de sociologie à Paris, où il a obtenu un Diplôme d’études approfondies DEA en Histoire. Puis, il étudie l’histoire du cinéma à l’École Nationale Supérieure Louis-Lumière. Quand il revient au Mali, il devient réalisateur au Centre National de la Production Cinématographique (CNPC) ; il y réalise des films institutionnels et de fiction, ainsi que des documentaires. Citons Nyamanton, la leçon des ordures (1986). J’ai appris il y a peu que dans toute sa filmographie, c’est le film qu’il aime le plus. En 1989, il réalise Finzan. Puis, Etre jeune à Bamako en 1992. En 1995, il réalise Guimba, un tyran, une époque qui parle du tyran de Kéniéba. En 1999, il revient avec La Génèse, une adaptation du texte bibliquee. En 2000, il réalise Bàttu – une adaptation de La Grève des Bàttu d’Aminata Sow Fall (1979) – qui a obtenu le prix RFI Cinéma du public au Fespaco en 2001. Enfin, il réalise Rapt à Bamako en 2014. On pourrait mentionner son engagement politique car il a créé un parti et a été ministre de la Culture. Il n’a jamais quitté la politique, il a fait la politique avec le cinéma.
Dans cette masterclass, nous lui demanderons d’évoquer les contraintes et les opportunités de la réalisation, dans un contexte d’évolution technologique. Sera également abordée l’inspiration dans la création. Tous les arts (écrits, visuels, etc.) nourrissent la création cinématographique, ce qui nous pousse à aller au-delà du cinéma, notamment pour les adaptations. C’est le cas pour La Genèse, Bàttu et Rapt à Bamako. Enfin, nous aborderons le cinéma et le combat politique.
Cheick Oumar Sissoko : J’ai étudié la science à Paris (Maths et Physique-Chimie) et j’y ai débuté ma carrière politique. J’étais syndiqué dans différentes associations nationales à Paris et dans la Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France. Quand je travaillais pour financer mes études, j’ai été syndiqué dans le plus gros syndicat français de l’époque. Dans les années 70, je faisais partie d’un front du peuple de France contre les dictatures, contre la guerre du Vietnam. Dans ce moule, et dans ce syndicat étudiant, je me posais la question : comment réussir à poursuivre mes idéaux de justice sociale dans un continent qui était fortement marqué et martelé par les dictatures. Voici ma réflexion : l’image s’est imposée à moi comme outil réel afin de construire un dialogue avec la population, et ensuite éveiller des consciences. La conscience collective est un facteur déterminant de prise en charge par les peuples. Un seul film peut définir tout un programme et révéler toute une façon de vivre (les coutumes, les traditions, les comportements). J’ai donc fini par choisir le cinéma, surtout que j’allais voir beaucoup de films italiens, qui étaient à la mode à l’époque. Vous avez sûrement vu Le Voleur de Bicyclette. J’allais dans une salle de cinéma à Paris, tout le temps ouverte à ce genre de films. Et je regardais aussi des films soviétiques d’Eisenstein. J’ai également vu Borom Sarret et Le Mandat de Sembène Ousmane, à la salle Racine dans la rue du même nom. Ils m’ont conforté dans ma conviction que le cinéma pouvait me permettre de contenir mes idéaux. Je rencontrais des personnes mais comme il n’y avait pas de liberté d’opinion, de réunion, et d’association, c’était la solution. Je me suis donc dit que je devais étudier l’Histoire de la société pour la comprendre. Donc j’ai fait une école de cinéma et j’ai obtenu un diplôme d’Histoire et de Sociologie. Je devais faire un doctorat mais je ne voulais pas enseigner à l’université, alors je ne l’ai pas fait.
Saïdou Alceny Barry : Abordons maintenant la question de la littérature et de la tradition orale, des contes.
Cheick Oumar Sissoko : Je veux conseiller aux jeunes de ne jamais oublier de discuter avec les gens, surtout avec les personnes âgées. Car dans nos contes, nos mythes et nos légendes, se situe un intérêt propice à l’apprentissage et à la connaissance, qui peut nous donner des idées. Ils ne doivent pas non plus oublier d’aller vers l’art plastique. Après mes études de cinéma, j’ai compris le « clair-obscur ». En voyant un tableau au musée de l’Ermitage me sont revenus les cours sur les questions de lumière sur une scène, mais que je n’avais pas compris. Cela m’a sauté aux yeux dix ans après mes études ! Il est intéressant de lire des romans. Lisez beaucoup. On ne peut pas faire des films au contenu profond si l’on n’a pas une connaissance de son Histoire, de l’Histoire du monde, et des sociétés. Je ne vous demande pas d’obtenir une maîtrise en littérature. Mais il s’agit de beaucoup lire. Ici, au Burkina Faso, vous avez la chance d’avoir Joseph Ki-Zerbo. Je vous conseille également Amadou Hampâté Bâ, écrivain malien. Vous avez vos romanciers, il faut les lire. Pourquoi faut-il les lire ? Parce que c’est la connaissance, c’est l’aventure, c’est le savoir-faire de l’écriture d’une histoire, de l’art des dialogues (pour permettre d’installer des situations conflictuelles). On ne peut pas être scénariste si l’on ne peut pas décrire et développer l’histoire, et ainsi installer une situation dramatique. Il est capital de lire. Ça vous donne des idées et vous pouvez faire des adaptations. Je n’ai pas choisi de réaliser La Genèse : quelqu’un m’a apporté La Genèse quand je cherchais un scénario pour faire un film sur les conflits fratricides. Quand je finissais de tourner Guimba dans la ville de Djenné en janvier 1994, à cent kilomètres de là, deux peuples se sont entre-tués et il y a eu une vingtaine de morts. Et à Paris, il y a eu une tragédie liée au racisme, racisme qui se développait dans le monde. En Amérique du Sud, il y avait également des conflits ethniques. Pour chaque film, j’ai été interpellé et cherché une histoire qui me convenait. C’est là qu’un ancien scénariste cherchait quelqu’un pour réaliser son histoire. Mais je ne l’ai pas fait tout de suite. J’ai mis trois ans pour étudier La Genèse, en tant que musulman. J’ai rencontré des scénaristes, des archevêques à Abidjan et à Bamako. J’ai été à Lyon pour rencontrer des jésuites qui m’ont conseillé des ouvrages que j’ai lus. Cela m’a pris des mois. La leçon que j’en ai tirée est qu’un film n’est pas si simple et rapide à réaliser. Un film se fait sur la base de la compréhension de l’histoire qu’on va tourner. Il faut en connaître les éléments conflictuels, émotionnels, dramatiques, et psychologiques. Sinon on se plante.
Saïdou Alceny Barry : Cela demande beaucoup d’exigence. Y a-t-il des moments où la technologie devient un handicap, une limite technique ?
Cheick Oumar Sissoko : Il faut vraiment maîtriser le scénario et s’y préparer avant. Mais réaliser un film correspond aussi à une préparation assidue en amont du tournage. Pendant cette préparation, on peut amener des modifications pas toujours faciles et économes pour le réalisateur, qui a déjà fait le point sur le coût réel du film, et qui souhaite faire des bénéfices suite à son investissement. Donc il faut anticiper les soucis techniques et financiers. Une fois qu’on a une parfaite connaissance du scénario, on vit avec, en marchant, en mangeant, en se réveillant… ! C’est une pression.
J’avais de très bonnes équipes sur ces deux films. Je tourne généralement avec deux étrangers : le chef opérateur et l’ingénieur du son. Tous les autres étaient des Africains du Mali et du Burkina, notamment un très bon chef électro, Maïga. Le costumier et le chef déco étaient du Mali, la chef maquilleuse était du Burkina Faso.
Sur Guimba et sur La Genèse, j’ai prévu des réglages afin de savoir quel matériel utiliser, pour que chacun puisse mesurer l’architecture et la lumière des lieux. Il faut absolument faire des essais de jour et de nuit, même sur le numérique. Si la caméra casse, il faut la changer. Donc, il faut laisser des cotations au laboratoire, et faire des contrôles (du tirage optique). Ça nous est arrivé sur Guimba : en milieu d’après-midi, la caméra est tombée. Si on n’avait pas fait cela, on nous aurait envoyé une caméra différente. De plus, avec les changements dans la technologie, on doit faire des contrôles. Les castings constituent un autre élément essentiel. Pour moi, on réussit le film à 40 % grâce à un bon casting. Il faut des acteurs que l’on connaît psychologiquement, car on ne peut pas travailler avec des personnes avec qui l’on partage des conflits. Même s’ils sont déjà extrêmement difficiles, on est obligés de les connaître. Parfois, certains ont besoin d’être guidés et accompagnés. C’est le travail du réalisateur et de son assistant. N’oubliez jamais de respecter cela.
Olivier Barlet était venu me voir sur le plateau de tournage de La Genèse pour un reportage. Il est dans la salle et il peut en témoigner. J’attendais toujours que tout le monde entre. Je m’inquiétais du sort de chacun, car nous ne sommes pas dans des situations de professionnalisme réel et on ne paye pas les gens à un niveau intéressant. On leur donnait 7700 francs CFA par jour, ainsi que trois repas par jour car il faut motiver et respecter les gens. Le choix du matériel technique est important. C’est le problème du producteur. Si on prend ces précautions, on peut minimiser tous les dérapages possibles.
Saïdou Alceny Barry : Et le numérique ? Quel est l’impact de l’outil sur le créateur ?
Cheick Oumar Sissoko : La pellicule impliquait une créativité. On pouvait la toucher, voir sur la table de montage ce que l’on pouvait faire avec la monteuse. Avec le numérique, c’est fini. C’est l’ordinateur qui gère tout. C’est le maître de demain (sauf pour ceux qui savent bien manipuler les ordinateurs). Beaucoup d’entre nous trouvent que la créativité change complètement. Mais en passant du DVD au Blu-ray, en changeant les caméras en fonction des cartes que l’on y met, je pense qu’on s’approche d’une meilleure qualité. Il faut aller vers le numérique car il ouvre beaucoup d’opportunités. Le fond vert permet des trucages qui étaient difficiles autrefois. Maintenant, on peut directement le faire à l’ordinateur, grâce à des laboratoires spécialisés, avec beaucoup plus de qualité et de précision. J’ai fait des trucages sur La Genèse mais si je l’avais fait aujourd’hui, ça aurait bien mieux fonctionné. C’était terriblement cher pour seulement trois secondes !
Question n°1 du public – Est-ce que vous avez bien vécu la transition de la technologie du cinéma vers le numérique ?
Cheick Oumar Sissoko : Moi, je l’ai bien vécue. J’étais dans une production américaine en 1997 pour tourner un film documentaire sur des femmes en lutte contre l’apartheid. C’était un tournage en Afrique du Sud. Et un deuxième film tourné en Erythrée, sur la construction d’une nation. L’Erythrée venait de finir sa guerre contre l’Ethiopie. Les Américains sont venus avec leur matériel, qui n’était pas très divulgué à l’époque. Ils avaient des caméras numériques que je ne connaissais vraiment pas. C’était une très bonne situation pour moi, surtout pendant le montage. J’ai remarqué la qualité du travail. On avait une équipe légère. Je m’étais entouré d’une équipe ghanéenne et d’un chef opérateur américain. On n’avait très peu de matériel, et je n’avais pas d’assistant, ni d’ingénieur du son, mais le caméraman en avait un. A l’époque, le matériel était plus lourd que celui que nous avons à présent. J’ai vu la commodité du travail, le coût réduit des déplacements, du logement, de la nourriture, des salaires… J’ai vu la facilité du montage. Avant c’était un éternel recommencement. Il fallait chercher. Car quand on tourne un plan sur vingt prises, que l’on en choisit trois, et qu’on se rend compte que les trois ne sont pas bonnes, il faut reprendre les 17 autres. J’étais ébloui de voir la rapidité du montage. Mais je n’étais pas maître de la situation, de la créativité. Ensuite, j’ai réalisé Bàttu et une fois tourné, nous avons digitalisé le tout pour travailler numériquement sur le montage. C’était un deuxième apprentissage pour moi. On l’a fini en 2000, et j’ai été nommé ministre en 2002. Pendant cinq ans, j’étais complètement en dehors du cinéma. Une fois, j’ai réalisé un film sur le SIDA. Mais je le tournais pendant la nuit (de 19h à 3h du matin). Quand je suis sorti de la sphère politique, j’ai eu peur de m’engager dans la réalisation de film. J’ai accompagné les autres pour découvrir les nouveaux types de supports, et leur incidence. Je ne suis pas plus avancé que vous. J’ai compris qu’il y a des caméras très faciles à manipuler. Je vous conseille de ne pas seulement laisser le contrôle au caméraman et au chef opérateur. J’ai fait une école de cinéma, où la technique était importante. Pendant les deux premières années, les maths et la physique étaient obligatoires, pour l’optique de la caméra et pour la composition de la pellicule. En maths, j’ai étudié l’espace et le son. Il faut arriver à maîtriser tout cela, même à l’ère du numérique. A mon avis, il faut connaître la lumière et la qualité de l’image dans le numérique.
En termes de lumière, la difficulté reste le choix et le contrôle du matériel numérique. Un autre avantage est qu’on n’est pas limité par les grandeurs de pellicule. Sur Rapt à Bamako , j’ai pu faire deux fois plus de rushs sans frais. C’est surtout le temps qui coûte. A l’époque, pour 100 000 francs, on avait quatre minutes. Pour faire une heure de temps, ça faisait 900 000 francs. Il fallait dix heures de temps de travail pour neuf minutes de film. Le matériel coûtait excessivement cher.
Question n°2 – Après la présentation de Bàttu au Fespaco, on n’en a plus entendu parler. Que s’est-il passé ?
Cheick Oumar Sissoko : Je ne suis pas le producteur de Bàttu, c’est une production française. Ils ont mis la clé sous le paillasson. La Société Des Auteurs Compositeurs Dramatiques m’en a informé et je me suis mis sur la liste des acheteurs. J’ai pu racheter le film pour 15 millions de francs CFA. Ce n’était rien pour un film réalisé avec 1 250 000 000, car il y avait de grands acteurs, dont Dany Glover (acteur américain). A l’époque, on payait un chef opérateur français 1 220 000 par semaine, ainsi qu’un hôtel quatre ou cinq étoiles pour le loger, sans compter les 51 % de charges sociales. C’était vraiment excessif. N’oubliez jamais la question des droits d’auteur. Cherchez un avocat qui peut vous les préserver. Mon avocat a pu avoir le dernier mot pour que je l’achète, mais nous avons alors appris qu’il y avait 52 millions d’arriérés à régler. Du coup, le film est jusqu’à présent bloqué mais on va essayer de le sortir. Il est adapté du livre de la grande romancière Aminata Sow Fall et le Fopica, le fonds d’aide du cinéma sénégalais, pourrait nous aider en ce sens.
Question n°3 – Le cinéma doit-il être vu comme une entreprise ?
Cheick Oumar Sissoko : Comment pouvons-nous arriver à structurer l’économie du cinéma, à professionnaliser le secteur et à former les gens ? Il faut que les écoles dans lesquelles vous êtes arrivent à augmenter le niveau de leur formation. Si vous êtes formés, et si nous avons des entreprises de postproduction, de distribution et d’exploitation en collaboration avec les salles de cinéma, vous arriverez à réaliser des films, des produits qui peuvent être rentables et qui peuvent permettre d’élargir le marché. L’exemple du Nigeria est à méditer.
Question n°4 – Comment reconnaissez-vous les téléfilms ?
Cheick Oumar Sissoko : Un téléfilm est réduit sur le plan des champs filmés. L’histoire n’est pas complète. Je ne vais pas entrer dans le débat théorique. J’ai fait le téléfilm Rapt à Bamako, les gens ont ri mais il n’a pas eu assez de succès !
Question n°5 – Vous considérez-vous comme un cinéaste engagé ?
Cheick Oumar Sissoko : Comme j’aime le dire, remplir notre mission c’est officialiser notre façon de vivre à l’écran, de souffrir, de lutter, de prendre du plaisir, et d’aimer. Je fais du cinéma pour parler de l’Afrique et des situations inacceptables, afin de faire avancer mon combat politique. Pour moi, chaque film a une substance psychologique. De toute façon, on est engagé en faisant un film car on aborde un sujet, on véhicule un message, on a une histoire à raconter qui est liée à un problème de société. Je veux apporter ma contribution à ce continent, qui est marginalisé, qui offre des conditions de vie misérables à sa population. Je me considère comme un cinéaste qui fait des films d’auteur.
Question n°6 – La FEPACI prévoit-elle d’ouvrir une école de cinéma ?
Cheick Oumar Sissoko : Les écoles de cinéma sont importantes : elles forment à tous les métiers du cinéma. Le montage est également capital, c’est là qu’est la vraie création. A la fin de mes études, j’ai fait trois mois de montage et c’est là que j’ai tout compris. Nous avons un business plan de 200 milliards de francs CFA accepté par l’Union Africaine. La Banque africaine de Développement a demandé à l’Union Africaine d’investir dans le business plan car elle voulait intervenir à hauteur de 50 milliards de francs CFA. Il faut un partenariat entre le public et le privé. Nous insistons pour que les écoles puissent former les jeunes africains au même niveau que les jeunes asiatiques et américains. Nous devons mener cette bataille pour notre continent. Le continent a besoin de voir sa propre image. Il y a beaucoup de triche et de mensonges dans les télévisions. On déstabilise complètement une situation. C’est pour ça qu’il faut des écoles performantes. Nous pouvons les encourager.
Question n°7 – Comment la femme africaine pourrait réussir à s’imposer dans le septième art ?
Cheick Oumar Sissoko : Elles sont là, elles sont à l’école. Vous croyez qu’elles sont à l’école pour regarder les hommes gagner les prix ? (rires) On a de plus en plus de femmes qui font de très beaux films. Quand nous avons créé les festivals en Afrique, le problème n’était pas que ce soit une femme ou un homme qui gagne le prix. Il faut que ça se fasse en fonction de la qualité du film.
Question n°8 – Quel est le rôle de l’humour dans vos films ?
Cheick Oumar Sissoko : L’humour permet souvent aux gens de s’intéresser à l’histoire. C’est le choix que j’ai fait. Dans Fizan, la violence est dure à supporter car c’est le lévirat : on force une femme à épouser le frère cadet de son mari défunt, et puis c’est l’excision ; donc j’y ai mis de l’humour. Je l’ai également fait pour Nyamanton, Guimba et La Genèse. La Genèse aborde un conflit fratricide où les éleveurs tuent les agriculteurs. Je construis un dialogue entre le spectateur et le réalisateur pour que le film fonctionne. Je choisis cela dans le drame que j’installe. L’humour fait ressortir une histoire sérieuse. Et ça m’amuse.
Question n°9 – Faut-il toujours se contenter de sujets locaux ?
Cheick Oumar Sissoko : Pourquoi pas. On nous a convaincus que nos films ne pouvaient pas être distribués en langue nationale. Yeelen en bambara, Tilaï en mooré se sont imposés à Cannes, des films dans nos langues nationales. Guimba a été diffusé partout, La Genèse a été sélectionné officiellement à Cannes. Il faut qu’on s’impose. Nos langues véhiculent notre futur. Chez moi, 50 % des gens ne parlent pas français. Il faut que nous fassions nos films dans notre langue.
Saïdou Alceny Barry : Derniers conseils aux étudiants ?
Cheick Oumar Sissoko : Voici mes conseils : n’oubliez jamais que vous devez connaître vos objectifs, et analyser car sur le plateau, vous devez savoir où poser la caméra (à quelle hauteur, et avec quel objectif). Ce n’est pas compliqué, avec l’habitude. Vous facilitez le travail du cadreur. Si vous savez dessiner, alors faites vos plans. Vous devez prévoir les plans à l’avance avec votre assistant. Parlez aux gens et mettez-les en confiance (surtout les acteurs qui ont parfois besoin qu’on les accompagne). C’est un art collectif et vous en êtes le coordinateur.
Vivre le festival est un privilège. Profitons-en, profitez-en. Faites-en des outils de vie qui doivent vous permettre de réaliser vos désirs en termes de carrière. Soyez collectifs, une communauté avec des objectifs, offrez de la qualité à travers l’exigence, donnez de l’importance et du respect aux autres, engagez-vous. L’humanité tout entière attend de vous. Il faut s’assumer, la responsabilité est importante. Regardez beaucoup de films africains. Vous êtes artistes et surtout artisans du développement (applaudissements).
Merci à Sarah Lebeau pour son aide à la transcription.