Du 11 au 16 juin dernier, Madagascar a organisé la troisième édition de Gasy bulles, salon de la BD malgache, destiné à promouvoir la production locale. Moins animé que les deux éditions précédentes, Gasy bulles 2007 a révélé les faiblesses d’un secteur peu soutenu.
Pour sa troisième édition, Gasy bulles accueillait pour la première fois un pays invité, en l’occurrence l’Île Maurice, à travers le dessinateur Laval NG. qui y a animé un atelier et a fait l’objet d’une exposition rétrospective : Mythes, contes et légendes : l’univers de Laval NG. En dehors de ces deux évènements, seule une exposition intitulée Bédébé : planches récentes a présenté les derniers travaux d’auteurs locaux : Ramika, Dwa, ALDR, Ramafa, Anselme, Pov.
La différence avec les activités qui se sont déroulées en 2005 et 2006 est assez nette. Ces années avaient vu l’organisation de plusieurs expositions, animations, tables rondes et ateliers.
Cette relative discrétion n’est sans doute pas qu’un accident de parcours. Il est le signe d’une certaine lassitude de la coopération française qui aide la bande dessinée malgache sans discontinuer depuis 1984 (1) sans que ces efforts ne portent réellement leurs fruits.
Car si elle génère des talents graphiques, le marché de la bande dessinée tarde à voir le jour à Madagascar où peu d’éditeurs prennent le pari de publier des bandes dessinées.
En 2006, une seule bande dessinée a été éditée par un éditeur local, celle des Editions Jeunes malgaches (Marthe Rasoa raconte Rapeto et Jejy Voatavo). L’année précédente n’avait guère été plus productive avec les deux uniques albums de l’éditeur Soimanga : Vato ambony riana (Fondation de la nation malgache) et Ny fahatongavan’ ireo misionera voalohany tany atsimo (L’arrivée des premiers missionnaires dans le sud de Madagascar).
Il faut, ensuite remonter jusqu’en 2002 pour trouver trace d’un album de bande dessinée, Rakoto de Mamy Raharolary, soutenu par le Rotary club.
Depuis 5 ans, la BD malgache se compose essentiellement de recueils annuels reprenant les uvres des caricaturistes vedettes de la presse quotidienne et édités par ces organes de presse : Composez le 18 et En voie de développement en 2004 par Pov, l’ancien caricaturiste vedette du journal Midi madagasika (2), deux recueils de Elisé Ranarivelo : Une place pour deux (2004) et l’après 2002, les illuminations (2005) (3), Planches en vrac de Jary et Farahaingo (2004) et Tir en l’air de Ramafa (2004).
L’annuaire du livre malgache 2007 ne comptabilise que 6 bandes dessinées sur les 1028 ouvrages disponibles dans les catalogues des éditeurs locaux, dont, parmi elles, 2 recueils de presse et 2 albums datant de plus de 10 ans (4).
La situation ne risque guère d’évoluer puisque l’éditeur Aiza ? Edition qui avait publié Tir en l’air et Pions du dessinateur Dwa a décidé de ne plus produire d’albums de BD à l’avenir devant des chiffres plafonnant à 400 exemplaires vendus en 3 ans sur un tirage de 1000. Soimanga, pour sa part, a fait faillite en 2006.
Le principal soutien de la bande dessinée locale, en l’occurrence le Centre Culturel français Albert Camus, a contribué à l’édition de deux albums en 2005 : Citron de Ndrematoa et Nuits magiques de Rado, mais tous ses efforts ne pourront pas pallier l’absence de public et la frilosité des éditeurs.
En matière de magazines et de fanzines, l’époque des années 80 et des séries Benandro, Koditra et autre Kobra est bien loin. Hormis les journaux satiriques, la seule tentative actuelle est une réédition en couleur et en français de deux numéros de Benandro (5), soutenu par l’Alliance française, ce qui n’est pas le signe d’une grande vitalité créatrice.
En matière d’associations, on en dénombre au moins quatre : Kijary band (présidé par Ramafa), RTA Toon (Femosoa), Soimanga qui s’est retiré de l’édition (Alban Ratsivalaka) et la plus ancienne A.MI (Artiste Miray créé par Richard Rabesandratana), ce qui montre la désunion d’un milieu peu soudé.
A Madagascar, seuls les dessinateurs de presse et les caricaturistes peuvent vivre de leur art mais ils ne sont qu’une poignée : Elisé Ranarivelo (L’express de Madagascar), Hery (Madagascar Tribune), Aimé Razafy (La gazette) Ramafa (Les nouvelles) et Max Razafindraibe (Le quotidien).
Cette situation détourne les dessinateurs de leur vocation première. Ainsi, les talentueux Jary et Farahaingo travaillent maintenant comme info-graphistes pour des sociétés de création de tee-shirt (Baobab et Maki) et ne font plus de bandes dessinées. D’autres exercent des métiers qui n’ont rien à voir avec le dessin ou vivent de petits travaux d’illustrations pour des ONG et des projets de coopération.
La situation est loin d’être nouvelle. En 2000, Pierre Maury décrivait une situation similaire à celle d’aujourd’hui : « Il est aisé de définir le hiatus entre les créateurs et les lecteurs potentiels
: Le niveau des revenus est insuffisant pour que les Malgaches pensent même un instant à l’achat de livres [
] Hormis les dessinateurs de presse, la plupart des dessinateurs malgaches en sont ainsi réduits à vivre d’autres activités. [
] Ce n’est pas un hasard si les derniers albums parus ont été édités par ou avec l’aide d’organismes français et en français. Des associations se créent, on en compte au moins cinq. La vérité oblige à dire qu’elles semblent moins motivées par le travail en commun que par la recherche de partenaires financiers (6)« . Sept années après, ces lignes pourraient être écrites à l’identique (7)
.
Pierre Maury finissait pourtant sur une note plus positive en suggérant d’ « oublier la norme européenne en matière d’albums » et de se tourner vers des productions en langue malgache au format et contenu plus souples.
Son message avait été entendu par une partie de la profession puisque Andriankototiana Ratovohery (8) édite depuis plusieurs années le magazine Ngah, sur 8 pages en noir et blanc, entièrement en malgache, à un prix abordable, en s’appuyant sur le réseau des petits vendeurs de rue qui viennent chercher le matin directement chez l’éditeur leurs exemplaires et ramènent les invendus le soir. Le succès est important puisque Ngah se tire à plusieurs milliers d’exemplaires et est très populaire dans les rues et marchés de la capitale.
Cette expérience démontre qu’il y a un début de solution dans l’édition de bandes dessinées se situant en dehors des modèles d’édition et de distribution à l’occidentale, avec un contenu adapté à l’environnement.
Malheureusement, ici également, le miroir aux alouettes fonctionne à plein, les créateurs et dessinateurs malgaches ne rêvant que d’éditer « à l’européenne » selon des standards très éloignés des réalités locales.
Cette volonté est d’autant plus exacerbée qu’aucun dessinateur malgache n’a réellement percé au nord, malgré une présence assez importante dans les différentes anthologies et autres ouvrages collectifs de dessinateurs africains publiés en Italie par Lai momo ou par Albin Michel. Le seul auteur malgache qui soit visible en Europe reste Didier Mada BD (Didier Randriamanantena) qui a publié un album individuel chez Lai Momo : Imboa (en 2005) et participe aux réalisations de l’association L’Afrique dessinée, en particulier la Bd collective Une journée dans la vie d’un Africain d’Afrique sortie en juin et un mini album, The colours of the world, dans le cadre du projet européen Aprodi sur les réalités de l’immigration.
En dehors de son cas, seules Armelle Leung (9), dont la mère est malgache et surtout Jenny, auteur de mangas, arrivée en France à l’age de trois ans, qui vient d’éditer Pink diary chez Delcourt,, peuvent se rattacher d’une manière ou d’une autre à la grande île.
L’illustrateur Luc Razakadivony a également sa propre structure d’édition en France, Sary 92, mais celle-ci n’arrive pas à sortir d’un certain ghetto culturel, malgré une forte présence dans plusieurs salons de France et de Belgique.
C’est assez maigre pour un pays dont on ne cesse de vanter l’immensité du réservoir.
La situation peut sembler désespérante. Limités en interne par un pouvoir d’achat insuffisant, la frilosité des éditeurs locaux et l’absence totale de soutien des pouvoirs publics, les créateurs malgaches se retrouvent en concurrence à l’international avec des dessinateurs européens qui ont souvent une maturité graphique affirmée du fait d’un environnement stimulant, de projets plus élaborés et sont plus préparés culturellement à adapter un scénario écrit dans un imaginaire qui leur est proche.
La réalité est cruelle pour ces artistes : dans le monde de la BD francophone d’aujourd’hui qui fonctionne sur le mode périphérie (Afrique) – centre (Europe), le seul talent ne suffit plus et l’exotisme constitue un handicap tant que les marchés resteront inexistants au sud.
Mais ce constat pourrait être tiré dans bien d’autres domaines
.
1. Aventures dans l’océan indien, ouvrage collectif. Ed. Segedo, 1985. Avec les dessinateurs Roddy, Alain Bruno Ranaivonjato, Razafindrainibe, Anselme, etc
. Ouvrage publié suite au premier festival B.D malgache en 1984 en présence de Michel Faure, Edouard Aidans.
2. Pov a émigré en 2006 à Maurice où il travaille pour le plus gros journal du pays, L’express du dimanche.
3. Ranarivelo publie un recueil de caricatures quasiment chaque année depuis 1997.
4. On peut rajouter deux séries religieuses des éditions Filles de saint Paul : Ny baiboly vita tantara an-tsary, transcription malgache d’une série sur la vie des saints créée à Kinshasa dans les années 80 ainsi que les 12 albums de Vavolombelona, plusieurs fois réimprimés, qui raconte la vie de figures internationales de la paix (Gandhi, Martin Luther King
).
5. Pour des informations sur le succès de Benandro, voir l’article rétrospectif dans La gazette du mercredi 13 juin 2007, inséré dans un dossier au titre évocateur : Promotion de la bande dessinée : politique culturelle à revoir.
6. Pierre Maury, A Madagascar, des dessinateurs sans public ?, Africultures N°32, novembre 2000.
7. Sauf qu’à l’époque, les associations s’appelaient Soritra, APBDI (Association pour la Promotion de la BD et de l’Image), Abedema, Mada BD
8. Auteur de l’album Retournement en 1997, soutenu par le Centre Albert Camus.
9. Son site personnel est sur http://www.kiwimella.com/Christophe Cassiau-Haurie produit chaque mois un article sur l’histoire de la BD en Afrique sur le site BD Zoom. Madagascar sera le thème du mois d’octobre.///Article N° : 6646