Après Afrique, je te plurmerai et Vacances au pays, Jean-Marie Teno voulait poursuivre sa réflexion sur l’Histoire commune entre l’Europe et l’Afrique. Le Malentendu colonial (qui portait le titre Allez dans le monde entier lors de sa diffusion sur Arte dans sa version plus dense de 68 minutes) cherche à comprendre le cheminement des Européens dans leur rapport à l’Afrique. Il se concentre pour cela sur les missionnaires allemands en Namibie, lieu du génocide des Hereros en 1904-1907 pour lequel l’Allemagne vient de demander officiellement pardon. Teno ne reconstitue pas : il interroge les vivants, par exemple ce vieil Allemand qui, vivant en Afrique depuis 1937, confie : « Ils en savent plus sur vous que vous n’en savez vous-même ». Il se rend à Wuppertal pour retrouver l’origine de la mission de Wupperthal (1830), près de Cape Town, ou de celles de Namibie. Ce va-et-vient est instructif : « Alors que le travail des missionnaires portait sur les langues et les hommes, les portes de la culture leur sont restées fermées », lui souffle un vieux missionnaire. Camerounais, Teno explore aussi l’aventure missionnaire dans son pays, découvrant que les premiers étaient d’anciens esclaves noirs alors qu’on retiendra comme figure emblématique le premier missionnaire blanc, Alfred Saker. La différence est de taille, Saker prônant une conformation au modèle occidental. On aide les gens mais pas à être autonome : vieille ambiguïté de la coopération. La mission s’intègre dans le colonialisme d’Etat.
Là est pour Teno la source du malentendu colonial : cette alliance entre la volonté missionnaire et le fusil du colon, entre l’éthique chrétienne et les intérêts marchands. Convoquant archives d’époque et interviews, il documente ce lien avec le cas des Hereros, que l’on a cherché à anéantir en poussant les survivants dans le désert ou en les parquant dans les précurseurs des camps de concentration (qui en portaient déjà le nom). Heinrich Vedder, responsable missionnaire, soutiendra l’apartheid, pensant qu’une séparation était préférable pour permettre un développement autonome, sans voir qu’il s’agissait aussi d’un système d’exploitation.
Mais on ne changera pas le passé : l’Afrique est exsangue, sans les moyens de s’en tirer. La charité des ONG évite de sortir de la logique coloniale tandis que les Africains sont dépouillés de leur mental. Le constat de Teno est amer. Ce commentaire méditatif qui accompagne tous ses films n’est pas l’étalage d’une thèse mais le partage d’une interrogation, un appel à évoluer. Il n’est pas pessimiste, il est lucide : cela prendra longtemps, le chantier de la reconstruction est colossal. Il faut analyser, mettre en perspective, lutter contre l’érosion de la conscience noire, retrouver une estime de soi, se regarder en face (cf. Le Mariage d’Alex), démonter les hiérarchies (cf. Chef !), se réapproprier l’éducation (cf. Vacances au pays). C’est à cela que Teno contribue par son travail. On sent cette volonté dans ce film dense et touffu où la parole est intense. La complexité du devenir historique du Continent ne se laisse pas réduire à un film mais des idées simples se dégagent. Teno rejoint le Sembène de Guelwaar : combattre l’injustice pour rendre la charité inutile, refuser l’aide alimentaire qui place les Africains hors du champ de l’humanité (cf. le bel exemple de la Zambie dans le documentaire Les Maux de la faim de Jihan El Tahri).
Le Malentendu colonial n’est donc pas une démonstration impeccable basée sur des années de recherche : c’est une étape dans la compréhension d’un cinéaste qui interroge l’Histoire pour saisir le présent mais c’est aussi un cri. Le manifeste est chez Teno inséparable de l’analyse. Sa radicalité place elle aussi dans un embarras mobilisateur. Si elle n’est pas stérile, c’est qu’elle n’est pas slogan : elle propose au spectateur une recherche commune, une relation copain-copain. D’où le commentaire qui fait la marque Teno à une époque où on a tendance à le gommer au profit de l’image, avec des expressions comme : « Une voix intérieure me rappelle
», et une certaine ironie. Le tout dans une mise en abyme car c’est bien la crise le sujet, celle d’un peuple et celle d’un cinéaste face au scandale du monde.
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