Réalisé il y a dix ans, cet amer réquisitoire n’a pas pris une ride. Bien sûr, l’Histoire reste ce qu’elle a été : centré sur le Cameroun, le film évoque la colonisation, le travail forcé, les tirailleurs et les désillusions de l’indépendance, cette « démocratie truquée » qu’évoquait Célestin Monga dans une lettre au président Paul Biya. Mais ce qui n’a pas vieilli, c’est le génocide culturel orchestré en Afrique et la dépendance vis-à-vis de l’étranger. Teno enquête dans les bibliothèques des centres culturels français à la recherche des auteurs africains, dénonce la dépendance du marché du livre, ballade sa caméra sur les « librairies par terre » pour y trouver comme dans sa jeunesse des bandes dessinées comme Akim, encore dévorées par des jeunes qui se forgent ainsi une bien triste image de soi.
Le devoir de civiliser prôné par les colons s’adressait à des gens qui ne manquaient ni de créativité ni de culture ! L’alphabet bamoun en témoigne. Où était donc l’obscurantisme qui motive encore aujourd’hui un esprit missionnaire bien intentionné ?
Car c’est contre la persistance des représentations et des rapports coloniaux que s’érige ce film, et c’est malheureusement en cela qu’il a encore toute son actualité. Sa nécessité reste inchangée : opposer une réflexion critique aux préjugés qui fondent le racisme et la condescendance, contribuer à l’enseignement de l’Histoire par des images trop rares, participer au débat sur la multiculturalité dans la société française.
« Yaoundé ville cruelle » : Teno commence son film par les luttes pour la démocratie et le termine, avant de laisser la place à l’humoriste politique Essindi Mindja, sur les portraits des militants politiques assassinés, rendant ainsi hommage à ceux qui ont donné leur vie pour la liberté.
L’importance donnée au livre ne laisse planer aucun doute sur le message : l’éducation est en elle-même une résistance. Mais l’Histoire impose son amer constat : le choc est terriblement brutal. Les images d’archives évoquent la violence en jeu, et sa permanence, avant comme après l’indépendance, dans une évidente et accablante continuité.
Porté comme dans tous ses documentaires par un commentaire qui se fait davantage méditation personnelle qu’illustration des images, Afrique je te plumerai reste un document essentiel mais aussi une vivifiante réflexion sur l’Histoire contemporaine.
1991, 88 min., 35 mm et vidéo, images : Robert Dianoux, musique : Ray Lema, produit et réalisé par Jean-Marie Teno (Les films du Raphia).///Article N° : 2630