L’Orateur, Oratorio pour cinq voix et apparitions, est le fruit d’une collaboration collective de la compagnie Théâtre Inutile, basée à Amiens. Pour ce spectacle, Kossi Efoui, Nicolas Saelens, Norbert Choquet, Karine Dumont, Hervé Recorbert, Marie Ampe et Eric Goulouzelle ont travaillé selon un processus de création cher au Théâtre Inutile, la co-inspiration, et nous livrent ce conte high-tech où tous sont sur la scène comme en coulisse.
L’orateur est une voix. Une voix qui raconte l’espace de la catastrophe ; la catastrophe du bûcher. Du bûcher de la sorcière, en passant par le bûcher du livre, jusqu’aux formes les plus contemporaines de l’étouffement de toutes les voix déviantes, celle des poètes notamment. L’orateur a plusieurs visages, plusieurs voix. C’est la voix de l’enfant, chantant les dies irae pendant qu’on brûle une sorcière. L’orateur, c’est un de ces enfants qui, des années plus tard, se souvient. C’est par le chant qu’on lui a fait prendre rang, en toute innocence, dans le camp des assassins. Il sait à présent que ce qu’il a regardé ce jour-là sans voir, c’est la figure de l’innocence bafouée. Et la conscience lui vient de ce qu’il a perdu : l’innocence de son propre regard, la confiance dans le monde qui l’a accueilli. Et c’est cette même voix qui aujourd’hui cherche un autre chant possible. Ce récit est une recherche des voix anonymes enfouies dans l’Histoire, ces voix que nous avons oubliées entre les grands divertissements des siècles. C’est un parcours au pied de la catastrophe, un spectacle pour éveiller nos sens dans l’obscurité de l’Histoire. Théâtre Inutile
Il faut imaginer cinq morceaux de tissus blancs assemblés, un écran de projection
Il faut imaginer l’ingénieur du son se retrouver sur scène, prise dans les carcans de sa table de mixage, une apparition moderne de femme-orchestre
Il faut imaginer le metteur en scène décriant les sirènes de l’autoritarisme en traçant des glossolalies scéniques
Il faut imaginer Kossi Efoui se faisant l’orateur de son propre récit ; un conte en quatre temps qui cherche à interroger l’Histoire en faisant appel à tous nos sens. Le spectateur est en alerte, traqué par la graphie, les sons, les images, les formes et les voix qui disent la traque de la sorcière et l’encouragement à la délation publique : Dénoncez-vous les uns les autres et vous serez sauvés !
L’orateur est le maître de cérémonie, l’omniscient du récit, le Prométhée moderne, l’anonyme pouvant recouvrir tous les masques pour mieux en détruire d’autres, notamment ceux des figures faisant autorité : savants, professeurs, juges et autres bureaucrates
Il mène une enquête sur les temps de l’Histoire et ce qu’ils signifient : temps de guerre, temps de paix, rituels du sacrifice offerts à la communauté
À travers la disparition d’un livre, l’orateur est cette voix anonyme qui conduit le voyage au cur des méandres du comportement humain qui stigmatise des figures pour mieux les éradiquer. Une existence qui semble ne se définir que par la destruction. Dans ce spectacle où toute matière est travaillée comme un tapis sonore et visuel, chaque élément reprend l’idée de la manipulation marionnettique à vue, un tissage de dispositifs rendant la proposition d’une pertinence accrue. Il s’agit d’accorder différents outils, différentes matières et plusieurs techniques pour mieux tracer des espaces à lire. On se laisse prendre par ce réalisme magique et la mystique d’un plateau mouvant où tout s’agit et s’anime à un rythme effréné. Le récit s’articule autour de ces invocations scéniques pour donner forme à un chant polyphonique qui matérialise la profonde choralité des uvres de Kossi Efoui, ici une multitude de personnages in absentia sont sur les planches.
La figure centrale est le visage de la sorcière, masque blanc, représentation obsédante projetée sur cet écran central qui n’est pas le seul espace de diffusion des images qui circulent dans tout l’espace du théâtre dessinant alors un fabuleux ballet de signes. Cette sorcière, traquée depuis les siècles des siècles, est l’allégorie du bouc émissaire (le poète, le fou et tant d’autres encore), du martyr sociétal, mais aussi de la différence. Les multiples visages de l’altérité représentent une source de réflexion récurrente pour le Théâtre Inutile qui poursuit ici son travail autour de la question des formes de divertissements et du mauvais traitement des corps dans l’espace public à travers l’Histoire. Concessions avait été l’occasion d’aborder la télé-réalité et ses pièges identitaires, Oublie ! marquait une tentative de réhabilitation du monde poétique écarté par le monde des Hommes qui avait étouffé toutes les voix déviantes
Riche et brillant, L’Orateur, spectaculaire avènement d’un nouveau langage permettant de dire l’invisible, s’inscrit en creux des pistes ouvertes par ces précédents spectacles et annonce une création prévue pour l’automne prochain : En guise de divertissement (titre provisoire).
Mercredi 6 mars 2013 – 20 h 30
Jeudi 7 mars 2013 – 19 h 30
Vendredi 8 mars 2013 – 14 h 30
Production : Théâtre Inutile
Coproduction : Le Safran, Amiens – Le Palace, Montataire///Article N° : 11335