Mamounata Nikièma : « Etre aussi technicienne me permet de gagner de l’argent que je réinjecte dans la production »

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Dates clef de Mamounata Nikièma
1979: Naissance à Ouagadougou
Janvier 2008 : Maîtrise en sciences et techniques de l’information et de la communication (Université de Ouagadougou), option Communication pour le Développement
Juillet 2008 : Master 2 en Réalisation documentaire de création à Saint Louis (Sénégal)
2011 : Crée sa structure Pilumpiku Production et coproduit deux courts-métrage dans la collection documentaire Une journée avec

Principaux films réalisés
2007 : Les Bénéficiaires (fiction, 8’, producteur Guy Désiré Yameogo)
2008 : Manges-tu le riz de la vallée ? (documentaire, 10’)
2011 : Aïcha la petite ouagalaise (doc., 13′, Pilumpiku Production & Ardèche Images Prod., Arte)
2011 : Savoir Raison Garder (doc., 54′, Les Films Essentiels & Vies des Hauts Productions)
2013 : Osez la lune (documentaire, 10′)
2015 : La princesse du Goetho  (doc., co-réalisation, 4’)
2015 : Lumière d’octobre  (doc., co-réalisation, 90′, Ardèche Images Production, Les Films du Djabadja, Étalons Films, Pilumpiku Production)
2016 : Osez la scène  (doc., 8′, Écoles des Arts de Zurich, Institut Imagine)

Produits ou coproduits
2011 : Une journée avec Aïcha (Mamounata Nikièma, 13’, Ardèche Images Production, Les Films du tambour de soie, Arte GEIE)
2011 : Une journée avec Ato (Simplice Ganou, 13’, Ardèche Images Production, Les Films du tambour de soie, Arte GEIE)
2014 : Circulation ya yélé (Parfait K. Kaboré, 26’, avec le soutien de l’OIF)
2015 : An 27 (Wabinlé Nabié, 15’, Dreammaker, avec le soutien de l’Ambassade de France et la participation des Ateliers Varan)
2015 : Monsieur Bayala ( Delphine Yerbanga, 15’, Cimages, avec le soutien de l’Ambassade de France et la participation des Ateliers Varan)
2016 : La lutte continue (Marie-Laurentine Bayala, 13′, avec le soutien de l’OIF)

Après une maîtrise en communication pour le développement, Mamounata Nikièma s’intéresse au cinéma documentaire et se spécialise en master en réalisation documentaire de création. Très impliquée dans les réseaux de cinéastes burkinabè[1] elle mène de front sa carrière de réalisatrice (2007) et celle plus récente de productrice (2011) et directrice de production au sein de sa structure Pilumpiku productions, essentiellement en free lance. Profondément optimiste sur son avenir et celui du cinéma en Afrique, elle milite pour la qualité et le professionnalisme afin que les producteurs puissent pleinement vivre de leur métier.

Quelles sont vos expériences de production ?
J’ai débuté mon activité de productrice en 2011, avec une collection de dix courts métrages sur le quotidien d’enfants de la sous-région ouest africaine, que nous avons appelée Une journée avec, en coproduction Ardèche images, basée à Lussas en France. On avait le diffuseur Arte, et sur cette collaboration j’ai été réalisatrice et productrice pour Une journée avec Aïcha, et en même temps productrice sur un autre court métrage. J’ai produit des films par la suite, des courts et moyens métrages, avec ma société de production Pilumpiku Production, et actuellement je suis en train de finaliser un moyen métrage documentaire que je produis. J’ai également été productrice exécutrice sur un documentaire en 2013, Femmes, entièrement femmes (Dani Kouyaté et Philippe Baqué, 52’).
Je coproduis avec la France essentiellement mais j’ai aussi une expérience de coproduction sur la région Ouest africaine (Burkina Faso, Niger, Togo, Cameroun, Gabon) pour une collection qui s’appelle Vues d’Afrique[2].

Quels sont les fonds disponibles pour produire des films au Burkina Faso ?
Le ministère de la Culture a créé un fonds dédié au cinéma, et des mécènes ou des sponsors financent les projets. Ce fonds a évolué vers 250 millions de francs CFA, ce qui donne des possibilités à plus de projets pour voir le jour. Il a encore évolué parce que le besoin de productions augmente d’année en année, et l’Etat a créé un Fonds de Développement Culturel et Touristique. Il s’agit d’un nouveau guichet où tous les projets qui concernent la culture seront déposés avec un comité spécifique par domaine, dont le cinéma, qui siégera pour décider quel projet soutenir, selon le besoin de financement, avec un prêt (avance sur recettes) ou une subvention.
Le montage d’un dossier de financement prend énormément de temps, parce qu’il il faut ajuster  selon le fonds : un dossier pour l’Organisation Internationale de la Francophonie sera différent de celui pour Alter cinéfondation, pour Hot Docs Blue Ice, ou pour Cinémas du monde. Il faut tenir compte des critères d’éligibilité, de la sensibilité du fonds, s’ils sont plus thématiques qu’artistiques, et on est tout le temps dans un perpétuel travail de dossiers qui prend du temps.
Dans mes productions, toute la partie de développement est assumée par l’auteur et par le producteur ; c’est un apport en participation, qui n’est pas financé parce qu’il n’y a pas de financement dédié au développement sur place. Le financement de l’Etat était réservé à la production et la promotion des films, mais pas pour le développement. Donc le producteur doit s’engager avec son matériel et c’est encore un apport en participation ; par la suite il va monter un bout à bout qui peut lui servir lorsqu’il sollicite des fonds pour la finition, notamment à l’OIF qui est le financeur principal du cinéma africain. Sur les projets sur lesquels j’ai suivi en développement, j’ai mis en participation mon matériel et mon travail en tant que productrice, que je n’ai pas pu récupérer ensuite. C’est du bénévolat, on ne peut pas rentabiliser ce qu’on a déjà investi tant que le film n’a pas reçu de financement.

Avez-vous obtenu des aides pour vos projets à venir ?
J’ai obtenu des bourses pour mes deux projets, documentaire et fiction. Je porte actuellement un projet de documentaire sur un homme d’affaires qui va en France, en Belgique, en Allemagne, y achète des véhicules et revient en Afrique pour les vendre. Ce personnage est vraiment délicieux dans son univers professionnel, dans ses rapports avec ses collaborateurs européens comme africains. Il montre une autre vision de l’Europe qui peut être une destination d’affaires et non l’Eldorado. Et ce projet (Paris est mon jardin) est soutenu par la région Bretagne pour le développement, et a récemment été sélectionné par la PROCIREP parce qu’il y a dessus une productrice en Bretagne, Sylvie Plunian (Les Films de la pluie).
En fiction j’ai obtenu récemment une bourse en développement par le bureau burkinabè du bureau des droits d’auteur, qui fait ça depuis plusieurs années. Ce n’est pas énorme mais ça permet de travailler avec un mentor à côté, qui vous briefe pour vous guider sur ce qui fonctionne. Donc on retravaille le dossier, et je viens de finir l’écriture du scénario. Mais j’ai également obtenu une autre bourse de développement d’un fonds qui a été créé au mois de décembre 2016 en partenariat  avec la coopération suisse, qui s’appelle Succès cinéma Burkina Faso (SCBF)[3]. Il soutient les femmes cinéastes burkinabè en développement, production et promotion. Pour le volet de l’aide à l’écriture, j’ai soumis un projet qui a été retenu ; je commence  l’écriture avec un scénariste qui va m’accompagner.

Est-ce que vous arrivez à vivre du métier de productrice ?
Il faut se dire la vérité : non ! Je fais ce métier par passion et quand je m’engage sur un projet, je fais tout pour qu’il aboutisse, mais il n’y a pas un retour économique qui nous permet de gérer le quotidien. J’y arrive parce que je suis aussi technicienne, réalisatrice. Je peux assister des gens sur des tournages, je peux cadrer, faire le son et la régie. C’est être aussi technicienne qui me permet de gagner de l’argent que je réinjecte dans ma maison de production, pour faire face aux charges de fonctionnement, aux impôts, car il faut être en règle si on veut pouvoir continuer à soumettre des projets aux fonds. Car à chaque fois ils demandent des références pour vérifier si la structure est en règle.
Actuellement je suis en train de repenser les choses, pour allier l’économique à l’artistique. Je travaille sur des séries documentaires avec des thématiques qui peuvent intéresser des ONG ou des institutions. Et du point de vue artistique j’ai des idées pour pouvoir intégrer dans un projet d’auteur le volet économique qui serait susceptible d’intéresser des mécènes, mais également des fonds cinéma.

Par quels moyens avez-vous diffusé vos films ?
Le premier diffuseur c’est la télé. C’est le partenaire clé pour que nos documentaires soient vus. Aussi les festivals. Et de plus en plus la diffusion en ligne, la VOD. Je fais partie du réseau Africadoc qui a un système de circulation des films. L’association Lumières du monde[4] aide à la diffusion, mais ça prend du temps. En tant que productrice j’essaye aussi d’explorer d’autres façons de diffuser le film, sur les plateformes de diffusion du net, et quand il y a des opportunités je l’envoie à un festival.
Au Burkina existe une association de documentaristes et un festival de films documentaires depuis 2010, Les rencontres Sobaté, qui servent à révéler les nouveaux talents africains. Jusqu’à présent nous étions plus préoccupés que les films soient vus qu’ils ne soient rentables ! Les projections sont gratuites et on acquiert les droits de diffusion auprès des ayants droits des films. Mais de plus en plus on essaye d’intégrer des partenaires et on réfléchit pour que les projections de films soient payantes, même avec une contribution peu élevée à l’entrée. Afin d’assurer le fonctionnement et payer des droits. Quand un auteur fait un film, il a le droit d’être payé. Si on diffuse son film il doit avoir un retour et le producteur aussi parce qu’il a travaillé et que sa société doit fonctionner. D’autres festivals comme Ciné-Droit-Libre, KoudougouDoc, sont des relais de diffusion aussi importants au plan national.

Pour le producteur, quelles sont les différentes taxes qui existent au Burkina?
C’est le même régime que tout le monde. Il n’existe pas une spécificité pour le domaine de la culture ou le cinéma. Il faut être aux normes quelques soient les taxes. Je dois payer des taxes pour avoir l’autorisation de tournage, pour avoir un agrément, pour pouvoir exercer en tant que maison de production et être reconnue par le ministère de la culture des Arts et du tourisme. C’est ce qui me donne l’aval pour chercher des financements à l’international. Egalement il y a un impôt sur les activités de la société, un certain pourcentage sur le chiffre d’affaires qu’il faut reverser au niveau des impôts.
Je fonctionnais dans une société unipersonnelle à responsabilité limitée en 2011, mais je suis passée en SARL (société à responsabilité limitée), et je dois faire ces déclarations depuis 2013. Les deux premières années le bilan était négatif ; la société n’a pas eu de financement extérieurs autres que mes apports, mais elle a dépensé des millions sur l’année donc les impôts m’ont exonérée des taxes. Une maison de production n’est pas une société comme n’importe laquelle ; on travaille sur des projets qui sont pour la plupart du temps subventionnés, et on passe l’année sans soumettre un dossier pour un marché. La plupart du temps je fais des films institutionnels ou des films avec de la publicité, et je soumets rarement des projets pour un marché public parce que ça prend du temps.

Quel type d’accompagnement l’Etat  pourrait-il mettre en place ?
Une subvention au démarrage de la société par exemple. Si telle société est arrivée en deux ans à faire quelques films seule, sans un financement de l’Etat, mais que du point de vue de son fonctionnement elle rencontre des difficultés et que son bilan est négatif, une aide pour payer ses taxes et pour tout l’administratif lui serait très utile pour supporter les coûts de fonctionnement.

Comment verriez-vous un meilleur amortissement des films ?
A l’étape de projet le film doit pouvoir convaincre, pour obtenir des financements au plan local. Il existe de grands entrepreneurs qui ont envie d’investir dans quelque chose, mais qui soit rentable ; donc il faut arriver à convaincre ces entrepreneurs sur la rentabilité de nos projets cinéma. Et ça, ça manque. Sur un projet de documentaire, il faut sensibiliser des structures par rapport à la thématique qui peuvent les intéresser. Au niveau du documentaire on finance le projet avant la production, mais au niveau de la fiction, il faut avoir des têtes d’affiche pour présenter le film. Les investisseurs commencent à s’intéresser à votre projet souvent à cause d’un acteur, et après il est plus facile de les rassurer et convaincre à participer au projet. On peut proposer un remboursement, par exemple de 30% ou 40% sur la vente du film. Donc ça veut dire qu’il ne donne pas ses sous mais les prête et va les récupérer.
Sur un projet cinéma on pourrait demander à une entreprise de téléphonie mobile de devenir partenaire, et que cette entreprise de téléphonie mobile ait le droit de diffuser le film sur sa plateforme numérique mobile six ou douze mois après sa sortie.

Est-ce qu’il existe des syndicats ou associations de producteurs pour peser sur le marché et sur les pouvoirs publics ?
Il existe une association de comédiens, une de techniciens, et une fédération nationale de cinéastes qui approche l’Etat et des partenaires clés comme l’Union européenne ou l’OIF pour faire du lobbying. Les producteurs travaillent sur leurs projets, et travaillent ensemble s’il y a des opportunités, mais pas en syndicat. En 2015, il y a eu une coordination entre producteurs avec des aînés du domaine, et j’étais dans le bureau comme adjointe en 2015, mais jusque là on n’a pas encore démarré les activités. Le calendrier des uns et des autres ne l’a pas permis.

Comment voyez-vous votre avenir en tant que productrice ?
Je suis très optimiste. Aujourd’hui en tant que productrice je dois miser sur la qualité des films que je produis, mais aussi sur le sens du relationnel et sur le sens des relations publiques. Il faut intégrer tous ces éléments ; être productrice ça veut dire être une sorte de manager, donc il faut avoir du style, il faut savoir parler, il faut savoir convaincre. Je suis optimiste avec ma nouvelle stratégie qui est de m’ouvrir à l’international, participer au marché en tant que productrice, en tant qu’africaine, me déplacer pour aller dans les marchés de films. J’ai des projets, que je vais proposer, en étant présente sur place, discuter avec des producteurs mais aussi des distributeurs, pour faire vivre ma société. Il faut avoir ce réflexe d’aller chercher le nouveau, d’aller se former, d’aller à la rencontre des gens, des professionnels du monde.

Est-ce que vous produisez pour le public, ou pour vous ?
En tant que productrice, quand un auteur porte un projet et que je m’y intéresse, je m’engage dessus ; c’est d’abord le côté artistique qui m’attire, ensuite le côté thématique, et aussi l’engagement de l’auteur à travailler sur le projet. Cela me motive à rester dessus et j’avoue que j’oublie le public. Mais de mes expériences en production, je me suis rendu compte qu’il est vraiment nécessaire de se poser la question du public. A qui ce film est-il destiné?  Est-ce un film national ou très local ? La thématique ne peut intéresser que celui qui vit sur place, et ne pas parler à quelqu’un en Côte d’Ivoire ou au Mali. Et ça m’a interpellée, ça m’a obligée aussi  à penser au public, et orienter les auteurs à travailler en fonction de ceux à qui on va s’adresser.
Pour l’avenir, il n’y a pas de raison de baisser les bras, il faut toujours changer de stratégie et aller vers les gens, avoir les réflexes de trouver les moyens, et pour cela participer aux marchés de films. Productrice est un métier de passion, et si on s’engage il faut aller jusqu’au bout.

Propos recueillis par Camille Amet, Mariam Aït Belhoucine, Sofia Elena Bryant et Claude Forest à Ouagadougou en février 2017. Entretien réalisé par Claude Forest.

[1] Elle est notamment la secrétaire générale de l’association Africadoc Burkina depuis 2014.
[2] Une série documentaire de 6 x 26’produite par Elhadji Magori Sani (Niger), Cyrille Masso (Cameroun), Nadine Otsobogo (Gabon), Mamounata Nikièma (Burkina Faso), Joël M’Maka Tchédré (Togo) et Faissol Gnonlonfin (Bénin).
[3] D’un montant global de 49 millions de F CFA, cette aide,  financée par la coopération suisse,   s’étend sur trois ans et comprend 4 composantes : l’aide à l’écriture (9 millions de F CFA), l’aide au développement de projets de films (12 millions de F CFA pour 12 films), l’aide à la production (24 millions de F CFA pour 2 films) et l’aide à la promotion de films produits et/ou réalisés par des femmes (4,8 millions de F CFA).
[4] Les films produits entre les membres de l’association sont réunis au sein de collections propres à chaque zone géographique, puis promus en partenariat avec plusieurs festivals. http://www.lumieremonde.org/

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