“Le premier réalisateur d’un album c’est le public”

Rencontre avec les DAARA J FAMILY

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Alors que le Sénégal fête les 30 ans du hip-hop galsen toute cette année 2018, Africultures a rencontré l’un des duos mythiques de cette histoire : Daara J Family. Depuis le début des années 1990, tout en menant des projets solo, Faada Freddy (Abdou Fatah Seck) et Ndongo D. (Mamadou Lamine Seck) poursuivent leur route ensemble. Africultures les a interviewés lors de leur tournée internationale, avant une prestation scénique des plus enflammées sur la scène du festival du Bout du Monde à Crozon (France). Une tournée qui devrait mener à la sortie de leur quatrième album à l’automne prochain. Ils nous ont laissé entendre que des featurings avec Gaël Faye et Kery James pourraient y figurer. Entretien.

Une nouvelle tournée, un album en préparation : qu’est- ce qui vous a donné l’envie de reprendre la route ensemble ?

Faada Freddy. C’est une évidence de reprendre la route ensemble. Avant nos projets solos, nous sommes d’abord membres actifs de Daara J Family. C’est le groupe dans lequel nous nous sommes formés, c’est notre cocon familial. Parfois les enfants du cocon familial peuvent aller à l’aventure, mais ils reviennent toujours au bercail.

Faada Freddy vous étiez sur le projet Gospel Journey, relativement différent de ce que vous faites avec Daara J Family.  Ndongo D. vous préparez un projet solo en parallèle.  Qu’est-ce cela apporte dans vos projets à deux ?

Faada Freddy. Gospel Journey m’a permis d’exprimer ma folie. Je l’ai gardée et je viens la réinjecter dans Daara J, sous une forme vocale et aussi dans les arrangements et l’ouverture d’esprit. Gospel Journey m’a aussi beaucoup apporté humainement. C’est une force. Ndongo est aussi en train de faire son album solo. Et je l’y encourage, car un album solo permet de se fortifier, c’est une expérience de connaissance de soi. D’où l’importance de partir à l’aventure de temps en temps.

Ndongo D. Oui je prépare en parallèle un projet solo. Je reprends des maximes d’un penseur sénégalais du 15e siècle : Kocc Barma.  Un penseur qui représente la langue wolof. Je fais des recherches avec des historiens au Sénégal. On est en train d’écrire notre histoire et cela est important pour moi. Daara J c’est la maison, c’est beaucoup d’expériences. Et refaire de la scène ensemble nous permet de tester de nouveaux morceaux, de créer cette liaison entre nous et le public.

Dans plusieurs textes phares des Daara J Family, on retrouve beaucoup de critiques sociales et politiques de la société notamment sénégalaise. Qu’allez-vous raconter dans ce nouvel album ?

Ndongo D. On a envie de parler aux jeunes, de parler de la situation actuelle, plus particulièrement ce qui se passe chez nous en Afrique. On parle de notre vécu, de ce qu’on voit sur notre route et nous allons essayer de nous projeter : nous sommes dans un mouvement qui regarde vers le futur en Afrique, nous allons essayer de montrer un chemin pour les futures générations. Nous avons été récemment au Congo, et on enregistrait dans un studio qui était en plein marché, avec des artistes hip hop. On continue dans cette lancée. Je crois qu’il y a aura de belles surprises dans cet album.

Faada Freddy. J’espère que le prochain album de Daara J va amener appeler à une remise en question de chacun et nous rappeler que nous avons des acquis qu’il ne faut pas délaisser.  Il suffit de voir notre rapport aux portables pour comprendre que nous sommes pris entre des chaînes invisibles. Il faut voir nos rapports aux Etats dans différents pays pour voir que nous sommes toujours pris dans des chaînes invisibles. Il faut voir certains rapports humains aujourd’hui pour comprendre que des distances se créent. Dans une même maison, un père, une mère, des enfants restent devant leur portable et ne prennent plus le temps de discuter entre eux. Il faudra qu’on requestionne le concept même de la liberté. De la liberté individuelle et de ce qui nous unit encore aujourd’hui. Et aussi, penser au fait que nous sommes en train de faire suffoquer la terre. Nous sommes nous-mêmes en train de crier à l’aide. Il faut revoir tout ça.

Au fil des albums, en termes de productions, on constate que vous intégrez de plus en plus d’instruments. Vous disiez sur Africultures il y a quelques années “On est en train de recréer le hip hop en Afrique notamment grâce aux musiques africaines”.

Ndongo D. : C’est ce qu’on disait en effet en 2003 : le hip hop est né en Afrique. Aujourd’hui on voit que la scène africaine est devenue énorme, elle est en train de prendre la main sur ce qu’on appelait avant la world music. Et on voit désormais aussi beaucoup d’artistes de musiques électroniques venir en Afrique chercher des sons. C’est important pour nous d’aller puiser dans nos traditions musicales, d’intégrer nos instruments, et de les faire évoluer. Il y a une image de la musique africaine avec tenues traditionnelles, sabar etc. Ce n’est pas que ça.

Faada Freddy. Il y a beaucoup d’influences mandingues dans ce nouvel album. Mais pas seulement. Notre travail est de construire des ponts entre musiques traditionnelles et musiques actuelles. Nous sommes une génération libre d’esprit. Il est nécessaire aujourd’hui d’imposer une plateforme où l’humanité se reconnaît. Nous le faisons à travers la musique ; essayer de refléter une musique qui vient d’Afrique et qui parle au monde.

Les tournées sont aussi l’occasion de tester vos titres.

Faada Freddy. Le premier réalisateur et directeur artistique d’un album c’est le public. Grâce aux tournées on teste ce qui plaît et ne plait pas. On ne fait pas de la musique pour qu’elle reste dans les chambres le soir. On fait de la musique pour partager. On a besoin que notre musique soit le miroir de tous et chacun. Qu’elle puisse résonner dans les vies, permettre l’épanouissement de chacun. Quand on voit qu’un morceau fait sourire, qu’il a de l’écho dans le coeur et dans les âmes, on le garde. Si tel n’est pas le cas, pourquoi le faire.

Ndongo D. Pour la question des tournées et des featurings, en effet, récemment nous étions à Rennes en concert avec un artiste, – Gaël Faye- et c’est là que nous nous sommes dits : pourquoi ne pas faire quelque chose ensemble.

Faada Freddy. Le hip hop est large et il y a des personnes dont les mots, l’attitude, la manière d’être résonnent en nous. On a toujours dit que le rap devait être “éducation” et “entertainment” (ndlr : divertissement) Quand le divertissement l’emporte sur l’éducation ce n’est pas le rap que reflète Daara J. Et Gaël Faye c’est quelqu’un en qui nous voyons ces deux valeurs là. Et on s’est rencontré, et ça a été spontané, sans médiation d’une maison de disque. On se reconnaît dans ce qu’on fait. C’est le début d’une très belle collaboration.

Cette année, ce sont les 30 ans du hip hop galsen avec toute une série d’événements célébrant cet anniversaire organisé notamment par Africulturban. Quel est votre regard sur ces 3 décennies, vous qui en avez été acteurs ?

Ndongo D. C’est une scène qui est en train de beaucoup se développer. Ces 30 ans là marquent aussi trois générations : celle des Positive Black Soul, les Pee-Froiss et nous. Ensuite celle des Fou Malade etc. Et actuellement nous avons une autre génération qui bouge aussi les choses. C’était important de créer cette généalogie. Aujourd’hui ça bouge beaucoup à Dakar et dans les régions. Le milieu se développe.

 

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