Questions à la terre natale

De Samba Félix N'Diaye

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C’est par la belle voix de Samba Félix N’Diaye que débute ce documentaire : par le hublot de l’avion, la descente sur Dakar. Il rentre au pays. Et en quelques images chaotiques du centre-ville, le pose comme un cauchemar. Sa déception le mène à l’investigation. Il laisse la voix à « son carnet d’adresses », une série de brillants intellectuels africains qui vont donner leur diagnostic sur l’état de l’Afrique depuis les indépendances, ce qu’Adama Samessekou, qui préside à Bamako l’Académie africaine des langues, appelle un « bal macabre ».
Le film est alors un montage d’interviews, et aurait pu tomber dans le contraire du cinéma : un livre. Et c’est vrai que ça parle beaucoup, très frontalement. Mais Samba Félix N’Diaye n’est pas pour rien un des meilleurs documentaristes africains. Oui, il veut donner la parole sans autre illustration que leur visage à l’écran à ces hommes et femmes pour les écouter et essayer de comprendre. Et ce choix qui est déjà un choix de cinéma, il le rend possible et lui donne force par tous les moyens.
D’abord, ces personnes sont magnifiquement filmées. La caméra est fixe, pas de zoom ou de changement d’échelle : elles peuvent s’exprimer à loisir dans le temps qui est le leur, le montage sélectionnant leurs propos en accord avec le fil de la réflexion. Ce ne sont pas les boules noires qu’on voit si souvent à l’écran : l’éclairage met en relief tous les traits de leur visage tandis que le cadre les magnifie dans un environnement valorisant. En suivant la propre démarche du réalisateur, la construction du film nous accompagne dans nos questions : il arrive à Dakar, choisit la vie dans la ville plutôt que son refuge habituel dans l’île de Ngor, constate le chaos. Peu à peu, il s’inscrira davantage dans ces rues encombrées pour finalement y fixer sa caméra : c’est là qu’il doit atterrir et que la jeunesse doit prendre sa place.
Car c’est bien à une mobilisation des jeunes qu’appelle le vieux sage. La génération de l’indépendance, la sienne, a failli. « La responsabilité incombe aux élites », souligne El Hadj Ibrahima Sall, économiste sénégalais ancien ministre du Plan. « L’espoir est dans un changement de génération », déclare l’informaticien Moubarack Lô en écho. Plan de coupe : le président Wade passe à distance comme un zombie, figé dans sa décapotable au milieu du maigre foule, une multitude de gardes du corps courant à ses côtés. L’énergie est ailleurs : dans les artères de la ville, chez les sportifs qui s’entraînent sur la plage. Où trouver l’espoir ? Faut-il se retirer du monde ? Le vieil ami militant Serigne Babacar Mbow qui s’est retiré dans le village de Ndem pour y développer une coopérative artisanale capable d’exporter et toutes sortes d’activités éducatives distille une idée simple : « L’utopie est la sœur jumelle de la résistance ».
L’utopie de Samba Félix N’Diaye, c’est le cinéma, ce regard qui fait penser, pour « garder l’humanisme quand nous serons développés ». Le chemin de l’indépendance n’était pas simple. Il est encore ouvert. Place aux jeunes.

///Article N° : 4706

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