Diffusé sur Arte le 28 septembre 2021 à 23h40 (faisant suite à Algérie, les promesses de l’aube,immersion dans le hirak, à 22h45) et visible en replay dès le 21 septembre et jusqu’au 26 novembre sur arte.tv, le nouveau film de Malek Bensmaïl est un retour sur les trois dernières décennies de la politique étrangère de l’Algérie. Comme à son habitude, il offre ici un impressionnant décryptage pour dégager les enjeux actuels.
Pour écrire une Histoire non-officielle, il faut en aller voir les acteurs une fois qu’ils ne sont plus tenus à la langue de bois. C’est ce que fait Malek Bensmaïl pour comprendre comment l’Algérie – plus grand pays du monde arabe et grande productrice d’hydrocarbures – a tenté de peser sur la scène internationale et pourquoi ce ne fut pas le cas. Comment en est-on arrivé à cet isolement ?
Un petit rappel historique n’est sans doute pas inutile. Malgré leur dure répression, les émeutes populaires de 1988 avaient ouvert à une constitution démocratique et au multipartisme. L’interruption de ce processus suite au triomphe du FIS au premier tour des élections de 1991 plongera l’Algérie dans le chaos de 1992 à 2004 : la guerre civile opposant le pouvoir aux groupes armés issus du FIS fera 50 000 morts. Des élections présidentielles pluralistes élisent cependant le général Liamine Zéroual à la présidence en 1995 et une assemblée nationale en 1997. Après la démission de Zéroual en 1999, Abdelaziz Bouteflika est élu président, candidat indépendant pourtant sans adversaires, et soutenu par l’armée. Il sera réélu avec des « scores soviétiques » en 2004, 2009 et 2014, malgré son AVC de 2013. Le hirak empêchera sa réélection en 2019, alors qu’il est en chaise roulante, manifestement incapable de gouverner.
Bouteflika avait été ministre des Affaires étrangères d’Ahmed Ben Bella puis de Houari Boumédiène de 1963 à 1979. Convaincu de détournements de fonds, il avait dû s’exiler en Suisse de 1981 à 1986 et y retourne à l’élection de Zéroual, après avoir réintégré un temps le FLN. Les interlocuteurs de Malek Bensmaïl confirment son accaparement depuis 1999 de l’appareil d’Etat, la corruption et l’écrasement de tout contre-pouvoir.
Les ministres, diplomates et conseillers Lakhdar Brahimi, Abdelaziz Rahabi et Abdelkader Tafar rendent compte des années 90, présentant l’action de l’Etat comme une tentative de sauver la République. Bouteflika apparaissait comme le seul à pouvoir redonner sa place à l’Algérie. De fait, il dirige de main de fer la diplomatie tout en imposant une loi de concorde civile faisant fi des douleurs accumulées.
Sur la question du Sahara occidental, dont les défenseurs internationaux restent assez timorés, François Hollande suggère qu’ « il est de l’intérêt de tous d’avoir des conflits gelés » : cela conserve le soutien au régime. Et puis avec l’augmentation des cours du pétrole, l’Algérie était un marché : Bensmaïl insiste sur la contradiction des Occidentaux qui s’ingèrent dans les affaires intérieures au nom de la démocratie et des valeurs universelles mais œuvrent à la sauvegarde de leurs intérêts économiques et sécuritaires.
Face aux printemps arabes, le pouvoir algérien a eu peur mais avait l’argent nécessaire pour augmenter les salaires et étouffer le mouvement. Face à la déstabilisation de la région (implosion de la Libye et armes tombées dans les mains des trafiquants puis des terroristes au Sahel), la maladie de Bouteflika empêche l’Algérie de jouer un rôle. Or les Européens, signale Moncef Marzouki, « ont besoin de régimes dictatoriaux sous-traitants dans leur guerre contre le terrorisme et l’immigration ». Ils souhaitent donc davantage la stabilité de l’Algérie que sa démocratisation…
Et Bensmaïl de conclure sur une citation de Fanon : « Chaque génération doit dans une relative opacité découvrir sa mission, la remplir ou la trahir », centrant ainsi le terme de sa puissante introspection sur les enjeux actuels du hirak pour tourner la page de ces trois décennies d’effacement et d’incapacité.