A 29 ans, Nawel Ben Kraiem déploie son joli timbre sur le territoire de la pop, y glissant les sonorités de la langue arabe. Elle était, le 20 mai dernier, en concert à l’Institut des Cultures d’Islam pour lancer son dernier EP, Navigue. Portrait d’une artiste éclairée sur les enjeux de ce monde.
Le patio de l’Institut des Cultures d’Islam accueille Nawel Ben Kraiem, sur une scène ouverte vers le ciel, volontairement intimiste pour dévoiler Navigue, dernier opus de l’artiste franco-tunisienne, âgée de 29 ans.
Jusqu’alors, Nawel a dû composer avec les contraintes de l’autoproduction. Mais Navigue est d’une autre envergure. Produit par Pierre Jaconelli, un orfèvre de la variété française – dont le contact avec Nawel a été facilité par Pascal Obispo -, cet EP est résolument pop. Au risque de brouiller les conventionnels classements « world » de l’industrie musicale : « C’est un EP encore plus musique actuelle, même s’il y a de l’arabe et des instruments comme le oud et le guembri. Je dis « même », parce qu’on a l’habitude que la langue arabe amène un folklore traditionnel, alors que c’est une langue vivante et que dans ma génération, les jeunes ont été nourris au grunge, au rock, au hip-hop « . A l’image du titre éponyme de l’album, les notes percussives du oud se posent sur la belle voix rauque de Nawel, refrain électro en arabe, couplets mélodiques en français. Le charme opère, lorsque la jeune femme invite le public à coup de youyou, jouant du langage des mains, à la façon méditerranéenne.
Pour celle qui a grandi en Tunisie jusqu’à l’âge de 16 ans, l’hybridité est d’un « naturel » propre à sa génération, à même de rompre le cloisonnement réservé aux musiques du monde. Pierre Jaconelli l’a compris en proposant d’accompagner l’artiste « sans à priori d’une musique fusion », à son grand soulagement. Nawel semble ainsi avoir trouvé un terrain musical taillé pour ses inspirations, sept ans après les sonorités orientales de son premier groupe Cirrus, et suite à sa collaboration avec Orange Blossom, tremplin pour ses aspirations d’auteur-compositrice. « Orange Blossom savaient exactement ce qu’ils voulaient. Ce qui m’a donné envie de faire aussi, ce à quoi j’aspirai, et de ne pas être une voix seulement. J’ai compris que j’avais le droit d’être une chanteuse qui n’a pris aucun cours de chant, d’avoir une voix spéciale, de ne pas être une grande guitariste, mais d’arriver à évoluer avec tout ça et de cuisiner ma recette » en musique.
C’est une parole poétique que Nawel revendique dans ses compositions. Images et métaphores habitent ses textes, dans un tango à situer entre l’arabe, l’anglais et le français, en autorisant les non-dits, voire, la contradiction. Sur le titre « Enti essout », on l’entend chanter pour une campagne de sensibilisation au vote en Tunisie, et elle a composé, aussi, la bande originale du film « Yasmine et la révolution » en 2011. De fait, son contact avec le public français l’a amené à inscrire ses choix artistiques dans une démarche engagée, à travers ce que transporte la langue arabe. « Je me suis rendue compte que la société française n’était pas forcément à l’aise avec sa génération métissée. Alors c’est devenu un combat presque politique d’être une femme et de chanter de la pop en arabe. Plutôt que de dire non, c’est trop compliqué, donc je chante en anglais, j’affirme que non, ce n’est pas compliqué parce que l’arabe est une langue actuelle, une des langues les plus parlées en France ! ».
Nawal mène ainsi sa barque, soutenue par des références de la scène française. RTL, versée dans la culture pop rock l’a même sacrée lauréate du concours « Mon premier grand studio ». En marge de ses avancées dans l’industrie musicale française, Nawel répond aussi à cette « gourmandise porteuse » des scènes tunisiennes. Une scène alternative, animée par une jeunesse dont la créativité s’est déployée après la révolution de 2011. « Autant ici, il faut plus de temps parce qu’il y a des relais bien installés, médias, maisons de disque et qu’il faut se débarrasser de l’étiquette world, autant en Tunisie, comme les relais sont en mouvement et se définissent en même temps que la musique, ils sont en prise directe avec ce qui se passe », reconnait-elle, en aspirant à la structuration d’une scène « actuelle, exigeante, dans le monde arabe, comme sur le continent africain en général ».
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