Wallay, de Berni Goldblat

L'imprévisible tissu du monde

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Connu pour son intarissable engagement malgré son handicap pour la reconstruction du Cinéma Guimbi à Bobo-Dioulasso, Berni Goldblat, cinéaste de nationalités suisse et burkinabée, marié et parfaitement intégré à Bobo depuis longtemps, avait marqué par son documentaire sur les orpailleurs, Ceux de la colline, et les différents films réalisés dans le cadre de l’association qu’il anime, Cinomade (cf. critique n°8859). Après sept ans d’efforts, il livre avec Wallay une fiction qui a commencé sa carrière internationale à la Berlinale puis à Cannes avant de parcourir le monde, mais que le Fespaco de Ouagadougou avait scandaleusement relégué au rang de séance spéciale.

Qu’est-ce qui empêchait en effet un film largement supérieur aux trois films burkinabés sélectionnés d’accéder à la compétition du Fespaco alors que Wallay est réalisé avec une équipe presqu’entièrement burkinabée, tourné à 95 % au Burkina Faso, coproduit par le Burkina et soutenu par le ministère de la Culture. (1) Si ce n’est que son réalisateur a la peau blanche ? Cela aurait-il fait brouillon si un Européen recevait la suprême récompense ? Autant qu’un président américain noir ? Si j’insiste à nouveau sur ce point (cf. article n°14102), c’est que nous ne sommes pas loin du thème du film : la relation interculturelle et le métissage, et partant la question de la place de l’Afrique dans le monde.

Comme l’écrit Achille Mbembe, « parler en tant qu’Africain ne garantit pas grand-chose, parfois pas même une certaine mesure d’authenticité ». (2) Cela n’enlève rien à la pertinence des voix africaines et la nécessité de leur visibilité, mais cela appelle une exigence : sortir du paradigme de la différence pour accueillir la pensée d’un monde décloisonné.

Pourquoi l’Afrique nous importe-t-elle ? Pourquoi allons-nous voir des films africains ? Justement parce que dans un monde qui se replie en renforçant ses frontières, les expressions culturelles africaines ouvrent les portes à une humanité unie dans sa diversité. Dans le moindre village africain se vivent des tensions en miroir avec le monde. La façon qu’ont les gens de les résoudre en valorisant l’incertitude nous importe car elle nous apprend à exister dans un monde en crise. C’est ce qui se passe à Gaoua, ce bourg du Burkina Faso où Ady (Makan Nathan Diarra), un jeune de Vaulx-en-Velin, est envoyé par son père au pays. Il comprendra qu’il n’est pas en vacances mais pour se faire redresser par Abdou, son oncle pêcheur (l’immense Hamadoun Kassogué). Accueilli par son cousin Jean (Ibrahim Koma), voici donc que ce jeune « insolent, qui vole et qui ment » va devoir s’adapter, coincé, révolté mais peu à peu touché par ce qui l’entoure, notamment lorsqu’il va voir sa grand-mère au village (Joséphine Kaboré), dans la maison où son père est né. Cela pourrait être mièvre et cousu de fil blanc, c’est d’une finesse extrême. Simplement parce que cette grand-mère représente la conscience que les Occidentaux dénient si souvent aux Africains : « On est davantage le fils de son époque que le fils de son père », dit-elle. Simplement parce que cet oncle va savoir reconnaître les contradictions de ses principes éducatifs traditionnels. Simplement parce que ce cousin accueille sans juger tout en tenant bon sur l’important. Simplement parce que le jeune Makan découvre la richesse qu’il porte sans le savoir dans ses différentes identités.

Rien n’est caricatural, rien n’est forcé. Comme dans la belle scène de la fête au village, Ady rentre dans la danse sans s’imposer. De même, son rapprochement avec la jolie Yéli (Mourina Kankolé) reste au niveau des possibles. Le violoncelle de Vincent Segal caresse doucement les visages et la brousse. Ce film nous dit que ce qui importe n’est pas la marque culturelle mais la trace, qu’une initiation se doit d’être subtile, que la beauté se cherche dans le partage et l’écoute.

Wallay est une expression issue de l’arabe, à la mode dans différents pays subsahariens pour dire « c’est vrai, je te jure », comme on dit ya sida en mooré. C’est une affirmation, une reconnaissance. Rien d’étonnant à ce que Berni Goldblat, lui-même métis culturel, veuille traiter de l’initiation d’un jeune métis vivant au Nord et venant découvrir sa part africaine. De père polonais et de mère suisse, ayant grandi en Suède et ayant adopté le Burkina depuis vingt-cinq ans, il a lui-même vécu cette rencontre sensible des mondes, le bouleversement et le recentrage de son personnage en quête d’avenir. Sans pour cela tomber dans l’idéalisation ou l’essentialisation d’une illusoire dualité qui situerait la vérité d’un seul côté de la Méditerranée.

Ce faisant, Berni cultive la tendresse pour ses personnages et réussit à nous émouvoir en accueillant dans son esthétique les fondamentaux des cinémas d’Afrique tout en les modernisant dans le montage et le cadre, introduisant habilement des gros plans dans les habituels plans moyens ou d’ensemble, épousant le rythme des corps tout en préservant les scènes de déplacements. Le film y trouve une justesse de ton sans effets inutiles et sans flagornerie, renforcée par des acteurs remarquablement dirigés et bien choisis. Son invitation au voyage nous emporte à la rencontre d’une Afrique qui valorise le tissu des affiliations pour appréhender l’entièreté d’un monde à mettre en oeuvre.

    1. Comme ce fut également le cas de Tant qu’on vit (Medan vi lever) de Dani Kouyaté.

 

    1. « Penser le monde à partir de l’Afrique », in : Ecrire l’Afrique-Monde, éd. Philippe Rey/Jimsaan, 2017, p. 381.

 

 

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Un commentaire

  1. Wara Musso le

    Juste en passant : on dit « burkinabè », c’est invariable et inscrit ainsi dans la constitution du Burkina Faso.

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