Entretien d’Olivier Barlet avec Baba Diop

Ouagadougou, février 1997
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Quel état des lieux ferais-tu de la critique africaine aujourd’hui ?
Trois types de critiques se côtoient : la critique quotidienne, les universitaires et les journaux spécialisés. La critique quotidienne est prise en charge par des journalistes culturels travaillant dans la presse quotidienne et qui, sans être des spécialistes, rendent compte des événements (tournages, soirées de gala ou projections de presse). Le film n’est donc vu qu’une fois, parfois non accompagné de documentation, et après la projection, il faut faire le papier pour l’édition du lendemain ou du surlendemain.
Dans les année soixante et une bonne partie des année soixante dix, les films étaient classés sans analyse suivant les critères occidentaux (films à caractère social, films engagés, satires sociales, films d’action etc.). Et aujourd’hui, le jugement exercé par de jeunes journalistes est souvent hâtif et complaisant, le film n’étant le plus souvent pas analysé sous l’angle des règles cinématographiques mais sous l’angle des valeurs : le respect dû aux anciens, la place de la femme dans la société, le village havre de paix, la ville féroce et perverse… La société est considérée comme. souffrant d’un clivage opposant modernité et tradition. C’est une vision qui faisait et fait encore le bonheur de nombre de journalistes critiques de cinéma. Cette critique quotidienne est souvent une critique laudative, élogieuse, dans laquelle le réalisateur qu’on a interviewé parle plus de ses intentions de départ que du film tel qu’il est livré au public.
Et les autres ?
Les universitaires qui s’intéressent au cinéma font davantage des études sur les films que de la critique journalistique. Ils partent des grilles d’analyse en vigueur dans leur discipline (littérature, sémiologie, psychanalyse etc.) pour l’appliquer au cinéma. Leur préoccupation est souvent de l’ordre de la thématique.
Le journaux spécialisés, eux, essayent par contre de voir l’évolution d’un réalisateur, la maîtrise du scénario, la direction des acteurs, les conditions de production et de tournage… Dans certains pays comme le Sénégal, on voit apparaître des associations de critiques qui organisent des rencontres autour de revues ou de festivals.
Quels sont tes critères d’analyse ?
La question est de savoir si le réalisateur a oui ou non maîtrisé l’histoire qu’il a voulu raconter. Comment s’y est-il pris et par quel cheminement il est passé pour capter l’attention du spectateur ? Quelle perception le réalisateur a-t-il de sa société ou des relations que les uns et les autres entretiennent au sein de sa société ?
Mon premier critère est la pertinence ou l’originalité de l’idée autour de laquelle s’articule l’histoire du film. Comment il a défendu son idée par les moyens technique que le cinéma met à sa disposition. La narration qui conduit à une émotion sans artifice est un deuxième critère. Le choix de la musique, du décor, des costumes concourent-ils à renforcer la narration ? Et si finalement la direction des acteurs qui demande un travail intérieur peut déboucher sur une idée claire de ce que représente le personnage dans le film.
Le cinéma est-il encore dans la presse un parent pauvre ?
Malgré la faiblesse de la production nationale, les jeunes journalistes s’intéressent au cinéma et à la critique cinématographique. Ayant pendant plus de treize ans enseigné le journalisme au Cesti (Centre d’études des Sciences et Techniques de l’Information), j’ai tenté de motiver mes étudiants à choisir le journalisme culturel plutôt que le politique voir l’économique. Je crois sincèrement qu’un bon critique est le journaliste qui a été un touche à tout ! C’est celui qui dans le domaine culturel est tout aussi capable d’écrire sur la musique, la littérature, la mode, les arts plastiques, les arts scéniques. Le cinéma est comme on le dit souvent un art de synthèse.
Comment se passent les relations entre public et cinéastes ?
Le défaut des réalisateurs est de prendre le public pour plus bête qu’il n’est. Et sous des airs condescendants lui proposer un scénario d’une simplicité déconcertante dans lequel le dire est plus important que l’image. Depuis que des films sont projetés sur le sol africain, le public a acquis une expérience dans la lecture du film. Il n’est donc pas un niais à qui l’on doit imposer des histoires simples et des personnages stéréotypés.
Et entre les cinéastes et le critique ?
Les rapports du journaliste critique et du réalisateur sont souvent conflictuels. Le réalisateur, tout en le niant, ne considère comme bon critique que celui qui fera son éloge, en somme le cireur de bottes…Un papier défavorable à son endroit est interprété comme cousu de mauvaises intentions. Certains réalisateurs, à la sortie d’un papier, cessent de te parler ou de te saluer alors qu’auparavant, vous étiez en bons termes et qu’il vous arrivait souvent de discuter cinéma ! La plupart des réalisateurs sont des techniciens de cinéma reconvertis à la réalisation. Cela n’a rien de péjoratif en soi mais la dimension ‘intellectuelle de leur création ne sent pas dans leurs films. Or la création est une activité intellectuelle : un réalisateur est un homme de culture curieux de tout ce qui peut agiter son époque. Dans les interviews comme dans leurs films, ils s’arrêtent souvent au niveau du constat. Combien sont-ils à ne lire ni revue, ni roman et n’assistent jamais à un défilé de mode ou à une représentation théâtrale ? Au Fespaco, lieu pourtant où on peut se nourrir de l’expérience des autres, combien ne vont pas les films ? Alors comment prétendre  » éduquer le peuple  » quand soi-même on n’est pas plus avancé que lui ?
Comment te sens-tu au Fespaco cette année ?
Il faudrait que le Fespaco conserve son caractère unique. A savoir rester un festival qui favorise les rencontres spontanées et qui fait participer toute la ville à la fête des images. Malheureusement, petit à petit, le Fespaco devient victime de son succès : beaucoup de gens y viennent pour parader. La frime, une valeur ! Peut-être est-ce le nombre croissant de festivaliers, mais il devient de plus en plus difficile de s’asseoir avec des gens intéressants pour discuter cinéma en profondeur. En ce qui concerne la sélection des films, il faut se dire que la temps du tâtonnement est fini, qu’il ne faut plus fermer les yeux sur les maladresses ni les justifier par je ne sais quel manque de moyen ! La sélection se doit d’être rigoureuse.
Le Fespaco 97 est de bonne qualité. Les films sont issus d’une génération qui a envie qu’on dise d’eux qu’ils sont des cinéastes et pas seulement des « cinéastes africains ». D’intéressantes lumières viennent du Zimbabwe. L’école malienne sait rendre le merveilleux avec une équipe technique à 80 voire 100 % malienne. Le cinéma burkinabè, mis à part quelques têtes de file, reste prisonnier d’un style de cinéma de développement à destination différente basé sur l’opposition ville / campagne.
Un mot de conclusion ?
Je crois que l’image du cinéma et de l’artiste a profondément changé en Afrique aujourd’hui. Des réalisateurs comme Ousmane Sembène ont montré que l’on peut vivre de son art, être respecté et écouté. La dimension industrielle apparaît dorénavant plus clairement, avec le souci de la rentabilité. Je crois qu’on peut raisonnablement être optimiste quand au devenir du cinéma sur le continent.

Baba Diop est critique de cinéma sénégalais, Sud, Dakar///Article N° : 140

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