Les 4èmes Rencontres de Hergla, organisées du 18 au 23 juillet 2008 par le cinéaste Mohamed Challouf et le critique Hassouna Mansouri dans un merveilleux petit village tunisien de bord de mer accueillaient cette année un colloque de réflexion sur l’uvre de Djibril Diop Mambety ainsi que la projection de tous ses courts et moyens métrages dans le cadre d’un cycle commençant à Paris par une soirée hommage au musée Dapper le 11 juillet et se terminant à Dakar du 23 au 30 juillet dans plusieurs lieux de la capitale, dont les centres culturels Douta Seck et Blaise Senghor. L’hommage coïncide avec la sortie du dvd collector d’Hyènes édité par Blaq Out en partenariat avec RFI.
Les projections sont organisées le soir sous la lune dans la grande cour d’une huilerie, incroyable et magnifique décor où les fauteuils sont disposés dans les bacs à olives et où un grand écran chaloupe légèrement avec le vent de la mer. Les jeunes du village s’y pressent mais aussi leurs parents, mêlés aux quelques invités que les maigres moyens ont permis de réunir et aux participants des ateliers qui se déroulent dans la journée : écriture documentaire (animé par le cinéaste documentariste italien Stefano Savona) et court métrage (animé par le cinéaste tunisien Mahmoud ben Mahmoud, dont on pourra bientôt lire sur ce site la leçon de cinéma donnée le dernier jour des Rencontres). De jeunes cinéphiles d’Italie avaient également fait le voyage de Gênes et de Lampedusa en bateaux à voile pour se mêler à de jeunes Tunisiens au sein d’un laboratoire « audiovisuel et sauvegarde de l’environnement » et participer aux Rencontres qui projetèrent une série de films italiens, notamment en ouverture Diari (Cahiers) d’Attilio Azzola (prix Cannes junior 2008). Les enfants n’étaient pas oubliés, un programme « Voyager les yeux ouverts » étant proposé en collaboration avec le Festival du cinéma africain, d’Asie et d’Amérique Latine de Milan.
Et l’on s’y gave de cinéma, le programme mêlant jusque tard dans la soirée une sélection de courts métrages internationaux, une rétrospective des films de moyen métrage de Djibril Diop Mambety et une sélection documentaire. Les présentations mêlent l’arabe, l’italien et le français pour ce public hétéroclite dans une ambiance de vacances.
Les Rencontres de Hergla sont ainsi un rendez-vous pour le court métrage et le documentaire avec un regard vers l’Afrique noire qui vient heureusement reposer la question de son africanité à une Tunisie encore très réticente à reconnaître sa multiculturalité et à problématiser son appartenance continentale. Comme le rappelle Mahmoud Ben Mahmoud, la question de la mémoire de l’esclavage et de la traite inter-africaine n’étant jamais prise en compte dans l’espace public, la représentation des Noirs et donc les clichés et les comportements racistes ne peuvent évoluer. On retrouve comme en France ce manque d’intérêt manifeste que ne peut masquer un discours de façade lors des Journées cinématographiques de Carthage, pourtant lancées en 1966 par Tahar Cheriaa dans la perspective de renforcer les échanges culturels continentaux et renforcer la réponse des Etats non-alignés.
Dans la foulée de la soirée hommage du musée Dapper et avant l’hommage organisé à Dakar, ce périple organisé pour rendre hommage à Djibril Diop Mambety dix ans après sa mort le 23 juillet 1998, un mini-colloque réunissait les témoignages et analyses de critiques et de proches du grand cinéaste qui définissait lui-même les Cinémas d’Afrique comme « des histoires balbutiées qui donnent rendez-vous au temps ».
Catherine Ruelle (RFI) a tenu à resituer son uvre dans le contexte historique qui en accompagne l’émergence, celui de la Nouvelle vague en France, du cinema novo au Brésil. Les premiers films de Djibril Diop Mambety s’inscrivent dans cette tentative mondiale de renouvellement du cinéma., une écriture en rupture par rapport à ce qui se faisait dans le cinéma de l’époque. Réalisant sa première version de Badou boy, en noir et blanc, aujourd’hui disparue, en 1966, Mambety arrive comme un des premiers cinéastes africains, à une période marquée par le début des indépendances. Il est nourri de cinéma américain, notamment les westerns dont on retrouve les marques dans ses films, mais aussi de cinéma en général par les ciné-clubs. Mais il est aussi un grand acteur du Théâtre Daniel Sorano qui créait de nombreuses pièces, ce qui marquera sa façon de faire jouer les comédiens, point focal de son travail, lui qui laissait la technique aux techniciens. La modernité de ton de son écriture en rupture avait frappé les spectateurs de la Quinzaine des Réalisateurs qui découvrent Touki bouki en 1973. Il avait décidé de casser les règles en vigueur dans le cinéma mondial : il dit lui-même dans des interviews sa volonté de sortir des structures de pensée occidentale pour se baser sur les siennes propres. Godard a été influencé par Mambety : c’est dire dans quel mouvement il se place dans le cinéma mondial.
Le frère de Djibril Diop Mambety, le musicien Wasis Diop, qui l’a accompagné sur ses films et a composé l’extraordinaire musique de Hyènes, a noté que Djibril « était un homme simple et que son cinéma est d’une grande simplicité. Quand il pouvait se réveiller et arriver le matin sur le plateau, on voyait qu’il essayait de transmettre son angoisse de l’existence sur la pellicule. Ses films sont des touches autobiographiques. Il disait que tous ses films racontent la même histoire : la conquête du pouvoir, avec une grande humilité et une grosse couche d’humour. Il me faisait sécher les cours pour me faire jouer l’acteur dans Badou boy, l’histoire de ce garçon qui veut devenir chauffeur de car rapide et doit donc être d’abord apprenti. Il y a toujours le flic, représentant de la loi, et un personnage intermédiaire que je jouais. Il ne faisait pas de film sans scénario. Il avait une plume incroyable. Ses improvisations étaient basées sur une vraie perception de l’existence. Il prenait énormément de temps à écrire le scénario et le film était ainsi entièrement pensé. Plan par plan, il combinait son montage. S’il avait eu les moyens de raconter davantage les histoires qu’il voulait raconter, on aurait eu beaucoup de films. Il vivait à 100 à l’heure, était un écorché, un artiste qui se sacrifie. Il s’appuyait sur moi. Les petits frères, en Afrique, subissent les grands frères ! Il avait besoin de moi parce que j’étais le petit frère, et il m’imposait cette complicité. Si je suis devenu quelque chose, c’est lui qui m’a imprimé cette détermination. Nourrir l’idée de faire du cinéma dans notre petit quartier, celui que l’on voit dans Badou boy, était une vraie folie. Notre quartier était le plateau de Djibril. Il était comme un peintre incompris qui s’interroge, qui souffre de l’existence, tous ses films parlent de nos réalités et de comment s’en protéger. C’est un cinéma très personnel. Il était obsédé par le montage, une façon particulière de travailler. Il avait du mal à en parler : c’était très spontané. Il n’aimait pas les conférences de presse et finissait par devenir provocateur, mais il était très modeste. A Cannes, où il avait l’occasion de passer une minute au journal télévisé de 13 h, une occasion inespérée pour les cinéastes, il a attendu que la caméra commence à tourner en direct et il proposa une minute de silence à la mémoire de Jacqueline Maillan qui venait de décéder. C’était un anti-conformiste avant l’heure ! Badou boy a été montré aux Journées cinématographiques de Carthage et les journaux tunisiens parlaient de l’invention cinématographique. Le cinéma est magique alors qu’aujourd’hui, on nous vole nos rêves : les effets spéciaux se substituent à l’invention des gens. Ces machines ont une telle violence pour résoudre les problèmes des gens que la magie s’altère d’une façon presque irréversible. »
Le critique et universitaire tunisien Tahar Chekhaoui s’est demandé : « quand Djibril Diop Mambety conseillait de fermer les yeux pour regarder et se taisait longtemps avant de répondre aux questions, n’était-il pas dans la position du véritable créateur ? » « Une image cherche à dire l’invisible », a-t-il poursuivi et a opposé l’arrivée de Linguère Ramatou par le train dans Hyènes et cette mise en scène de la sainteté médiatique que sont les images vues à la télévision d’Ingrid Betancourt qui descend d’avion, filmée comme si personne ne la regardait : « La télévision prétend être le porte-parole de l’opinion, comme si c’était nous qui regardions, alors qu’il y a bien quelqu’un qui regarde et que ce qu’on voit n’est pas ce qui s’est passé ».
Il a ensuite insisté sur la force testimoniale de la bête chez Djibril Diop Mambety : « Elle témoigne de ce qu’elle voit : elle est comme un narrateur. » Montrant le générique d’Hyènes où l’on voit des éléphants puis des hommes qui progressent, il a refusé d’y voir une pure métaphore : « Ces gens ne sont pas des éléphants. Il n’y a pas d’analogie sémantique. Les éléphants remplissent le champ, sans mise en récit dans l’espace ; les hommes sont dans une image aérée avec un partage entre le ciel et la terre, où l’on voit des hommes perdus. Les plans sur les pieds nous ramènent certes vers la métaphore mais pour nous dire autre chose. On les voit avancer d’un rythme particulier qui rappelle celui des éléphants. Les hommes marchent lentement comme s’ils répétaient quelque chose : Mambety montre son dispositif, il nous raconte son histoire mais toujours aussi comment il la traite, figure absolue de la modernité et différente de l’image Bétancourt. Il ne met pas du théâtre dans le cinéma : l’intrusion du théâtre est une façon de nous dire comment il filme. »
Montrant la séquence de l’arrivée du train, Tahar Chekhaoui a montré qu’elle n’est pas construite comme cela se fait d’habitude sur le montage d’un espace large qui placera ensuite les éléments. Un photographe revient de façon récurrente à l’image et sa présence n’est pas neutre, image dans l’image : « Mambety met en scène sa façon de filmer. Voir un photographe nous fait penser à la mise en scène. Et Mambety est là lui-même, non comme cinéaste mais au service de cette dame. Le désordre est amplifié par le fait qu’elle arrive par le train et non par la route : toute la mise en scène des habitants est bouleversée. Les entrées de train, c’est une vieille histoire de cinéma ! Une fumée obstrue l’image comme si on passait d’une vie à une autre vie, une renaissance, une autre dimension qui fait penser aux Contes de la lune vague après la pluie de Mizoguchi. Il construit à partir de ce qu’il a à disposition en Afrique, ce qui nous ramène à sa poétique, sa façon de créer le sens : la légitimation fondamentale vient de quelque chose qui a disparu, qu’on a oublié, qu’on ne voit pas. L’image advient, avec son impact visuel. Ce n’est pas une continuité narrative qui justifie son film. Ce qui est important, sa plus-value, c’est ce qu’il ajoute à l’histoire que l’on sait. La continuité narrative est sans cesse cassée car le sens pour lui ne vient pas d’un enchaînement d’événements. L’Afrique est le tiers exclu du grand écran du monde : l’Afrique n’est pas visible. Il veut la suggérer. Il arrache des bribes d’images à l’Afrique et les rapproche : c’est à nous de l’imaginer, de la construire. »
Insistant sur le rôle de la musique, Tahar Chekaoui a rappelé qu’elle n’est ni un ornement ni une narration, qu’elle a son existence propre dans l’ensemble. Elle concourt au sens : « Quand on est dans une attente classique, on est désemparé, mais si on est dans une posture moderne, ouverte à l’altérité, tout prend sens. Le montage ouvre à une image future. Ce n’est pas le fait que Djibril Diop Mambety soit africain qui est important mais ce qu’il apporte au cinéma. Truffaut n’a pas apporté quelque chose parce qu’il était français, sortons d’une vision culturaliste ! La terre est bleue comme une orange, disaient les surréalistes : il construit à partir de sa culture quelque chose que nous sommes appelés à compléter, à construire, c’est un respect énorme du spectateur qui s’oppose aux films dont on pense qu’ils nous disent quelque chose mais qui ne font que nous bavarder une idéologie. Si l’Africain considère qu’il est l’Autre, il est piégé. Je ne suis pas l’Autre du Blanc : le Blanc est mon Autre. D’où l’intérêt d’intégrer une Japonaise dans Hyènes ! »
Pour évoquer le rapport de Mambety à la mystique, Catherine Ruelle rappelle une histoire qu’il racontait lui-même : « Il part au ciel et fait sept fois le tour d’un nuage sur lequel Dieu dormait. Il s’aperçoit que des larmes lui coulent dans son sommeil, et il le réveille pour lui demander ce qui le rend triste. Dieu lui dit : Je rêvais à ma mère. Djibril réagit en disant qu’il n’a pas été enfanté. Et Dieu répond : C’est vrai, j’avais perdu la tête. Dis aux artistes que je suis de leur côté. »
Le critique sénégalais Baba Diop rappelle que « deux courants ont cheminé en parallèle dans la vie culturelle sénégalaise : les classiques et les rebelles. Dans le domaine du cinéma, les classiques ont fait en général une école de cinéma (Ababacar Samb, Paulin Soumanou Vyera, Sembène Ousmane) et les rebelles (Djibril Diop Mambety, Ahmet Diallo, Ben Ndiogaye Baye dans ses débuts, et aujourd’hui des traces chez Moussa Sene Absa) qui ne tiennent pas compte des contraintes habituelles. Même chose dans la littérature, le journalisme, le théâtre : dans chaque discipline, il y avait un bouillonnement, une école. Une école Djibril Diop Mambety comporte des cinéastes qui se réclament de lui comme la Française Laurence Attali, qui fait tous ses films à Dakar, ou Moussa Sene Absa. En littérature, Ken Bugul qui a écrit Rue Félix Faure pour retracer le parcours de la rue où se réunissait cette mouvance ou une autre Française, Laurence Gavron, avec son roman Dakar Boy. Les rebelles qui se réclament de Djibril Diop Mambety sont porteurs de la vie des petites gens, le décor est l’arrière-cour avec la vie souterraine de Dakar, et une part de loufoque, d’inattendu. Leurs personnages sont porteurs d’un destin créateur. Ils cultivent l’impertinence dans la mise en forme du sujet, le désir de s’affranchir des contraintes imposées par le genre pour aller chercher ce qui s’impose au créateur. Beaucoup n’ont pas fait des écoles : quand on fabrique ses propres outils, on y va avec sa vitesse. »
Mambety disait toujours aux enfants de fermer les yeux et les frotter : « Vous verrez des étoiles et derrière les étoiles il y a des images ». Cela voulait dire, déduit Baba Diop, que le cinéma de Mambety est « éblouissement, émerveillement et magie ». La dernière scène de Badou boy montre le personnage qui chemine seul avec la kora entre des barrières : « C’est une image contre les préjugés, poursuit Baba Diop, qui semble dire qu’il poursuit son chemin seul à sa manière, sans tenir compte des barrières du conformisme. Djibril Diop Mambety inscrivait une sorte de détachement dans la forme dans une poésie politique ou une politique de poésie, regard caustique sur la société sénégalaise. Badou boy est un carnet de notes, une sorte de bréviaire, où Mambety puisera pour alimenter ses autres films : Colobane, le détournement des objets, le détournement du sens. La chambre de commerce ressemble plutôt à un théâtre tandis que le théâtre Daniel Sorano ressemble à un HLM, le marché Kermel ne rentre pas dans l’architecture de la ville : tout est à contresens. C’est aussi le détournement des personnes : le policier n’est pas svelte, il est bedonnant et a du mal à bouger, le dandy qui pousse le car rapide rappelle Fred Astaire ou un magicien. »
Comment s’est-il formé au cinéma ? « L’apprentissage se faisait dans les cours. Pour faire un théâtre d’ombre, on installait un drap et une bougie pour la lumière, et on dessinait ou décalquait les personnages de dessins animés ou de bandes dessinées. David Crockett dans Hyènes pour le chasseur en fourrures ! Il fallait de l’imagination et des histoires pour animer ces histoires. Nous fréquentions les salles de cinéma, avec les films du monde entier, égyptiens, hindous, américains avec le western, etc. Des bagarres permettaient de se faufiler ou bien on escaladait les murs. Djibril Diop Mambety n’est ainsi pas venu vierge au cinéma ! »
Si le cinéma de Mambety est un éblouissement, c’est en tant que choc visuel : « Le film doit agir comme une forte lumière pour créer un choc, de troubler l’image fortement assise dans la convenance. Les images choc remettent en cause le regard. C’est inscrit que c’est une chambre de commerce mais ses images bousculent la conviction. » Il est émerveillement et il est magie, de par la construction du film « comme un art de soumettre à sa volonté la puissance le cinéma, de soumettre l’image à son propre désir ». « Il n’a pas cherché délibérément à asseoir ses règles : il me disait ne pas savoir les règles, il a fabriqué ses films selon sa sensibilité. » ajoute Baba Diop qui reprend aussi les expressions de cinéma de détournement, cinéma de récupération et de recyclage : « il annonce toujours des éléments de son film à venir. Même dans son dernier, un élément indique que la trilogie devait se terminer par la casseuse de pierre. Il avait commencé à approcher une vieille qui faisait cette activité, qui avait un regard magnifique et très prenant ».
Avec ses comédiens, jamais de professionnels : « quand je lui posais la question, note Baba, il me répondait qu’il parlait de rêve et donc d’histoires de rencontres. Ce sont donc les comédiens qui me choisissent et non moi que le fait, disait Djibril ».
Olivier Barlet est intervenu sur Touki bouki en posant la question : « de quelle hyène parle-t-on ? », une intervention qu’on peut lire par ailleurs sur le site (article n°7975).
Thierno Ibrahima Dia, universitaire et responsable de la Fédération africaine de la critique cinématographique, rappelle que Djibril Diop Mambety est né en janvier 45 à Dakar et que c’est en 1965, à l’âge de 20 ans, qu’il réalise une première version en noir et blanc de Badou boy : il n’était pas satisfait de ce résultat et l’aurait détruit. Seconde injustice sur le film, le second Badou boy est considéré comme un moyen métrage alors que La Noire de
, de la même longueur, est considéré comme un long métrage. Le film a été présenté à la Quinzaine des réalisateurs du festival de Cannes en 1971 à côté de films de Robert Bresson, Jacques Rozier, Ruy Guerra etc. et fait ainsi partie de ce cénacle de cinéastes.
Il note par ailleurs que dans Touki bouki, la moto porte le chiffre 10, et que ce même chiffre revient sur le pédalo de Charlie. Or en foot, le 10 est le libero, un passeur. Les moyens de locomotion qui libèrent le personnage vers un avenir fantasmé sont marqués par le 10.
Il insiste ensuite sur la structure oméga, en boucle des films de Mambety comme le Mory enfant de Touki bouki que l’on retrouve à la fin. En psychanalyse, cette boucle est un trou, espace du fantasme. Certains Antillais ont gardé en mémoire dans leur structure narrative ce mode de récit africain mais que l’on retrouve aussi chez d’autres cinéastes comme David Lynch dans Mulholand Drive. On retrouve ce schéma chez Imunga Ivanga dans L’Ombre de Liberty. Dans cette boucle, en général, le sujet n’arrive pas à maîtriser son environnement, est frustré dans son désir. Dans Badou boy, on retrouve la boucle de la kora portée sur les épaules, tandis que durant tout le film, il essaye d’échapper au policier, fantasme qui l’obsède. Dans la boucle de Hyènes : les éléphants marchent au générique, mais comme le dit Mambety la férocité des hyènes ne pourra pas arrêter la marche des éléphants.
« Mambety, dit Thierno Ibrahima Dia, intègre une forme de récit à l’africaine où le narrateur mobilise le spectateur, en se posant en Georges Méliès qui détourne les images, en opposition au cinéma de Sembène où le message prend le pas sur l’esthétique, notamment dans Ceddo et Faat Kiné. Ces deux mamelles du cinéma sénégalais sont en confrontation permanente. Sembène disait dans notre interview de 2005 que Mambety était le meilleur de sa génération. »
« Le cinéma de Mambety se nourrit beaucoup du burlesque et du cinéma muet, note Thierno. Quand il y a le son, c’est en terme de contrepoint. Dans l’intro de Touki bouki, la violence de l’abattoir n’est pas seulement sur le mode documentaire mais aussi dans la violence du son qui va faire corps avec le spectateur. Contras’City distortionne la musique classique en musique traditionnelle (classique) sénégalaise. Le visuel en donne à voir. »
Il note que Senghor, homme de culture, a mis des bâtons dans les roues des cinéastes qui n’étaient pas dans sa ligne : finalement, aucun cinéaste ne s’est réclamé de la Négritude. « Les cinéastes sont dans « l’esthétique de réfutation » contre l’image coloniale, souligne Thierno. L’image de l’arabe ou du noir se retrouve chez Fassbinder quand Ali est désigné par « le Noir » dans Tous les autres s’appellent Ali ». Fassbinder a vu Touki bouki et a dit que ce cinéaste était un auteur essentiel pour le cinéma. Cette reconnaissance internationale va être importante pour l’acceptation de son cinéma. Avec Hyènes, « je n’étais pas en compétition mais en confrontation », dira Djibril Diop Mambety vu les grands auteurs qui étaient présents à Cannes.
En confrontation : c’est bien là l’intérêt de cet hommage, confronter aux démarches actuelles un cinéma qui déborde d’originalité et pose crûment la question de l’esthétique comme expression de soi, une tentative de trouver comme le disait lui-même le cinéaste « un langage africain, excluant le bavardage et s’intéressant davantage à l’image et au son ».
Sudplateau rend hommage à Djibril Diop Mambety par un intéressant film de 1 h 20 à visionner sur www.sudplateau-tv.com (extraits de films et interviews)///Article N° : 7976