« Nous sommes avant tout des animistes », dit le documentariste sénégalais, mais il décèle dans le Mouridisme un fond culturel africain.

Entretien de Catherine Ruelle avec Samba Félix Ndiaye

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La Confrérie des Mourides est un de tes premiers films. Qu’est-ce qui t’a poussé à t’interroger sur cette confrérie mouride ?
Moi je m’intéresse au documentaire. J’avais été impressionné par « Le grand Magal » de Blaise Senghor. A l’époque, N’Gaïdo Bah faisait « De l’autre côté du fleuve » : il nous avait tous embarqués dans cette histoire. On assistait à la naissance de cette jeune génération de Baye Fall qui sont les serviteurs des Mourides. Il y avait pour nous un parallèle à faire entre Baye Fall et Rasta jamaïcains. Cela nous a mené à Touba, la Mecque des Mourides, et après le voyage, moi j’ai pensé qu’il fallait faire un film. On n’avait pas les moyens, on n’avait même pas de quoi tourner. J’ai pensé qu’il fallait travailler sur le documentaire, je me suis lancé tout seul et Cheikh Tidiane est venu. Pourtant, à l’époque on se préparait tous à partir en Europe. Donc, nous avons commencé un court métrage qui n’a pas été terminé. C’était un film collectif mais tout le monde a voulu se l’approprier. C’était comme ça, à l’époque on parlait collectif mais on agissait individuel !
Félix, avec un nom pareil on est catholique, tu ne peux pas le cacher !
Non, moi je ne suis pas catholique. Dans ma famille il y a toutes les religions réunies ; ma mère est d’origine chrétienne et mon père est musulman, mais ma grand-mère maternelle était musulmane, mon grand-père paternel était catholique. Samba c’est du côté paternel, Félix c’est du côté maternel.
Ton père était-il mouride ?
Non, ils sont tous tidjanes mais j’ai des affinités mourides car mes amis étaient en majorité mourides. J’ai rencontré très jeune le grand Calife des Tidjanes – qui est maintenant décédé – parce que mon grand père m’y a emmené comme on le faisait à l’époque. Tout jeune, je suis allé à Touba, mais on n’allait pas à Touba pour le pèlerinage ou la ville sainte : on y allait pour faire la fête. C’est une ville religieuse mais il n’y pas d’interdit.
A l’époque , il n’était guère de mise d’avoir un sentiment religieux quand on était cinéaste ?
Le mouvement m’intéressait mais en plus, en arrière plan, il y avait toujours quelque chose d’un peu « anti-religieux ». Tous les grands marabouts sénégalais – c’était en tout cas le discours de l’époque – étaient aussi animistes, car les pratiques animistes restent toujours en arrière-plan. Nous, ce n’est pas le mouvement mouride qui nous intéressait, c’était les Baye Fall qui nous attiraient. Ce sont des musulmans mais ils sont exemptés de prières, car ils travaillent, pour la communauté. Nous on était plus proches d’eux, parce que c’était libertaire et que ça ressemblait au mouvement rasta.
Vous y retrouviez les racines d’autres mouvements ?
Il y avait quelque part une revendication africaine : nous sommes avant tout des animistes avant d’être des musulmans ou des chrétiens. Nous avions un profond respect pour la pensée d’Ahmadou Bamba, quand il dit par exemple que la Mecque c’est ici, au Sénégal, à Touba. C’est une terre sainte, si vous n’avez pas les moyens d’aller à la Mecque, venez à Touba. C’était ce genre de revendications qui étaient sous-jacentes.
Aujourd’hui je pense souvent à refaire un film sur les Mourides. Mais je n’y pense pas en temps que religion, j’y pense en temps qu’organisation.
Organisation sociale ?
Oui. Le Mouridisme une structure protégée : les Mourides ont une communauté de biens. L’économie est très développée, c’est pourquoi il y a de grands penseurs mourides, parce qu’ils sont aidés. Ce qui m’intéresse vraiment, c’est en quoi c’est profondément ancré dans la culture africaine. Cheikh Ahmadou Bamba s’est occupé de la spiritualité et Cheikh Ibra Fall a porté sa réflexion sur un partage du travail entre le spirituel et le temporel, les besoins matériels de la communauté. C’est ce qui ancre ce mouvement dans la solidarité traditionnelle africaine. Et ceux qui s’occupent des choses matérielles, ce sont les Baye Fall (du nom de Cheikh Ibra Fall). Le problème c’est que le mouvement peut être et est dévié, puisqu’il représente aujourd’hui une énorme force économique et politique avec laquelle il faut compter au Sénégal.
Oui mais çà, c’est humain !
Oui, mais à la source il y a deux hommes honnêtes, un qui s’occupe vraiment du Coran, de l’histoire de l’Islam, et l’autre qui se dévoue corps et âme au premier en lui disant : « écoute, toi tu réfléchis, moi je travaille ». De même Ahmadou Bamba pouvait répondre à Cheikh Ibra Fall : « tu n’as pas besoin de prier, moi je prie pour toi ». Quand les Mourides actuellement, ou les Baye Fall, pensent autrement, ils sont dans l’erreur.
C’est un détournement de la pensée ?
Oui, sans nul doute.
Donc, c’est un sujet sur lequel tu aimerais revenir ?
Cela m’intéresse. Ce n’est pas une recherche de spiritualité, c’est une recherche d’identité. Mes questionnements portent toujours sur l’identité. Même si les religions – que moi je prends comme des idéologies – traversent les cultures africaines, il reste que nous sommes Africains, de toutes façons et comme le Mouridisme prend en compte le terroir africain, on y est attaché.
Les Mourides rayonnent à travers le monde et représentent le secteur le plus important au Sénégal dans le domaine de l’économie informelle. Ils sont présents aux Etats-Unis, en France, et très structurés : aucun chef d’Etat ou de gouvernement sénégalais ne peut se passer des Mourides.
Ils ont donc transformé une confrérie d’ordre spirituel et théologique en un grand mouvement social ?
Oui, social, économique, puissant, le temporel et le religieux se rencontrent.

///Article N° : 2169

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